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Pour moi, sans moi

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« Ne t’inquiète pas maman, j’ai tout organisé ! »

Je n’aime pas quand il me dit ça. Je n’aime pas ça du tout. « J’ai tout organisé », généralement, ça veut dire « j’ai tout préparé dans ton dos et tu n’as plus qu’à signer là, là et là, voilà merci ! »

Je le connais, mon fils. Comme si je l’avais fait.

Il a tout organisé, en effet. Il a appelé le service d’aide à domicile, est allé rencontrer une responsable, a convenu d’un rendez-vous chez moi… et m’a tranquillement annoncé tout ça la veille dudit rendez-vous.

J’ai protesté. Je me débrouille très bien toute seule, et, de toute façon, je ne suis pas seule. Floyd m’aide beaucoup à la maison et…

« Mais Floyd a un travail, il n’est pas toujours là… Et puis, tôt ou tard, il faudra bien qu’il s’en aille ! », a coupé mon fils d’un ton suspicieux. J’ai compris le message. Le problème, ce n’est pas moi. Alors, pour le rassurer, et parce que je n’avais pas envie d’une bataille de coqs, j’ai dit oui. Oui pour le rendez-vous, oui pour les aides à domicile, oui, oui et oui.

Alors voilà, ça y est, je suis officiellement vieille. Vieille et dépendante et vulnérable. Je suis ce cliché de la vieille et gentille petite mamie tellement complice avec la jeune et gentille auxiliaire de vie. Exit Floyd et son look de bad boy, place à la douce et serviable Céleste et à la moins douce mais tellement dynamique Martine. Mes gentilles sauveuses de vieux en détresse viennent deux fois par semaine pour « l’aide à l’entretien du cadre de vie » et « l’aide et l’accompagnement aux achats ». Traduction : elles viennent pour le ménage et les courses.

Chaque fois, le même rituel. Elles sonnent et entrent, portable à la main, elles disent joyeusement « bonjour ! » tout en bipant sur une espèce de badge, elles font leur travail et tapotent des trucs sur leur portable, puis elles disent joyeusement « au revoir ! » tout en re-bipant leur badge et s’en vont.

Chaque fois, je leur pose les mêmes questions. Qu’est-ce qu’elles écrivent sur leur portable ? A qui ? Pourquoi ? Et chaque fois elles me donnent les mêmes réponses. Elles écrivent ce qu’elles ont fait, ce qu’elles ont acheté, ce qu’il faudrait prévoir. Elles parlent de moi, de mon moral, de ce que je fais. Elles écrivent tout ça à leur responsable, à mon fils, à l’infirmière, à leurs collègues, peut-être même à mon médecin, qui sait ? Elles pianotent et textotent avec leurs potes, et moi, je nage dans la compote.

« C’est pourtant simple ! », m’a dit mon ingénieux ingénieur de fils. « Tu télécharges l’appli, tu ajoutes des utilisateurs, et tu peux communiquer ! »

« C’est pourtant simple ! », m’ont dit Céleste et Martine. « Avec ça, on peut transmettre des infos en temps réel, reporter des observations et contribuer à une meilleure prise en charge ! »

Moi, j’aurais préféré un bon vieux cahier. Un cahier dans lequel j’aurais pu écrire des choses et que j’aurais pu relire une fois parties les sauveuses de vieux, un cahier à moi, chez moi, pour moi. Et puis j’aurais préféré que mon fils m’appelle pour prendre de mes nouvelles, pas qu’il se contente du texto d’une inconnue qui vient de passer deux heures avec moi. Au lieu de ça, j’ai un badge dans l’entrée et une Gestapo des temps modernes sur le dos. Il paraît que c’est pour mon bien. Il paraît que c’est pour moi. Mais c’est sans moi.

« Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi »(1).

Notes

(1) Nelson Mandela.

La minute de Flo

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