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“Entre punition et compassion”

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La présence croissante de détenus âgés en prison invite l’administration pénitentiaire et les professionnels à interroger leurs pratiques. Après avoir enquêté dans quatre prisons et interrogé détenus et personnels, Caroline Touraut nous livre ses réflexions dans « Vieillir en prison ».
Y a-t-il beaucoup de personnes âgées incarcérées ?

Au 1er octobre 2018, 12 % des personnes écrouées en France étaient âgées d’au moins 50 ans et 4 % d’au moins 60 ans. La même année, l’âge médian des détenus était de 31,8 ans. La population sous écrou est donc jeune. Mais, depuis une trentaine d’années, elle connaît un vieillissement marqué. Ce phénomène est lié à plusieurs facteurs : la démographie a crû et l’espérance de vie s’est élevée ; entre 1990 et 2015, les condamnations à des peines de plus de cinq ans sont passées de 35 % à 45 % ; les incarcérations motivées par une infraction à caractère sexuel ont triplé dans les années 1990, passant de 9 % à 25 %. Or les auteurs sont en moyenne plus âgés que leurs codétenus. En janvier 2018, plus d’un tiers des détenus de 50 ans et plus purgeaient une peine supérieure à dix ans de prison (contre 14 % pour l’ensemble des condamnés) et 4 % étaient condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité (contre 1 % de l’ensemble des codétenus). Les viols ou agressions sexuelles, les homicides sont particulièrement surreprésentés chez les plus de 50 ans. Les détenus âgés sont très majoritairement des hommes, mais ne constituent pas un groupe homogène. Ceux incarcérés après 65 ans ont une vie plus « routinière » en détention que ceux qui arrivent pour la première fois en prison à 52 ans et chez lesquels émerge l’angoisse des perspectives de retraite, par exemple.

La prison est-elle adaptée à ce public ?

Jusqu’à présent, elle ne l’est pas vraiment. L’environnement carcéral est régi par des normes et des règles, avec une organisation spécifique. Les détenus âgés ont plutôt tendance à faire leur peine à distance. Ils se mettent à l’écart des plus jeunes, dont ils veulent se démarquer. Ils se comportent comme s’ils n’appartenaient pas au même monde et construisent un discours du « jeune déviant et dangereux », du voyou, pour s’efforcer de préserver leur propre moralité. Le jeune détenu est aussi celui qui est plus instruit et maîtrise les codes de la prison, qui fait du bruit, qui ne respecte rien… En revanche, ils se présentent respectueux de l’autorité et du personnel de surveillance mais, comme pour les autres détenus, leurs échanges sont limités. De même, les détenus âgés ne se regroupent pas, ne partagent pas les mêmes activités. L’autre grande caractéristique est leur sentiment de vulnérabilité, qui va parfois jusqu’à la peur. Ils se vivent comme des cibles potentiels des autres détenus, dont ils redoutent la dangerosité. Ils ont l’impression d’être plus exposés à la violence, aux vols et aux rackets en raison de la fragilité liée à leur âge. Il est très difficile de savoir s’ils en sont plus souvent victimes que d’autres, mais leur isolement est certain. Ils sont très nombreux à décrire aussi des douleurs physiques. L’architecture de la prison n’est pas adaptée (beaucoup de marches, pas d’ascenseur), de même que les postes de travail (port de charges lourdes, longues stations debout, cadences parfois difficiles à suivre…).

Quel est l’impact de ces détenus sur les pratiques professionnelles ?

On observe une certaine ambivalence des professionnels, qui ont du mal à articuler deux visions antinomiques : celle de la personne âgée, qui exige du respect et de la bienveillance – certains professionnels disent « notre papi » –, et celle de la personne détenue, dont il faut se méfier car elle est dangereuse. La loi n’ayant pas défini de régime de détention particulier pour les aînés, leur prise en charge repose surtout sur les surveillants, dont le métier consiste autant à veiller sur eux qu’à les surveiller. Cette double contrainte interroge leurs missions et leurs conditions de travail. Comment apporter une attention spéciale à un ancien dans un établissement surpeuplé où le surveillant est seul à l’étage pour 100 détenus ? Une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation m’a avoué se sentir schizophrénique face à cette population. On est entre la punition et la compassion. Certains surveillants vont s’adresser différemment aux détenus âgés, ajuster leur comportement, quitte à affaiblir un peu le rapport de domination. D’autres, au contraire, les considèrent avant tout comme des détenus, leur âge avancé ne modifiant en rien le travail de sécurité. D’autres, encore, se situent entre les deux postures. La fragilité physique des détenus âgés provoque également malaise et irritation chez les professionnels. Malaise par rapport à certaines pratiques comme la fouille ; irritation parce que les corps vieillis demandent de la patience et donc du temps, là où il n’y en a pas.

Comment l’administration pénitentiaire fait-elle face à la perte d’autonomie ?

Il y a une volonté et de vraies actions de la part de la direction de l’administration pénitentiaire pour s’adapter. Le cahier des charges du bâti intègre désormais les détenus à mobilité réduite, et l’accessibilité aux droits sociaux, notamment en ce qui concerne la perte d’autonomie, doit être facilitée. La feuille de route « santé » 2019-2022 établie par le ministère de la Santé et de la Justice affiche comme objectif de mieux repérer et prendre en charge la dépendance en milieu carcéral. Autre axe de réflexion : la préparation de la sortie des détenus âgés. Cependant, dans la réalité, la situation reste très compliquée. La dépendance génère un ensemble de besoins extrêmement nombreux et divers : aider un détenu à se déplacer, lui couper les ongles, l’asseoir sur un fauteuil roulant, s’occuper de la maintenance du lit médicalisé, se procurer des couches… Aucune de ces tâches ne figure dans la fiche des professionnels, qui estiment que ce n’est pas « leur boulot ». La loi de 2009 prévoit l’intervention d’auxiliaires de vie mais cela impose un processus administratif lourd et long, et peu d’associations d’aide à la personne acceptent de travailler en prison. De plus, le fait que les détenus âgés aient souvent commis une infraction à caractère sexuel ne facilite pas la venue de professionnels de l’aide, en très grande majorité de sexe féminin. Résultat : les codétenus sont les principales personnes en prison à faire fonction d’aidants au quotidien. Ce qui n’est pas sans poser des questions juridiques et éthiques.

Est-il possible de trouver un équilibre entre punition et humanisation ?

C’est un enjeu social pour l’institution et pour la société. Comment répondre à un acte contraire à la loi et comment préserver la dignité des vieux détenus ? Jusqu’où adapter la prison sans créer d’inégalités entre condamnés ? Un médecin m’a dit : « On peut adapter la prison à toutes les pathologies, mais il est inhumain de garder un détenu en prison qui ne respire plus qu’avec une bouteille d’oxygène. » Une suspension de peine s’obtient assez facilement quand le pronostic vital est engagé, c’est beaucoup plus difficile quand l’état de santé est incompatible avec la détention. Qu’est-ce qui est moralement acceptable ? Qu’est-ce que le sens de la peine ?

Chercheuse associée

au Centre sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), chargée d’études à la direction de l’administration pénitentiaire, la sociologue Caroline Touraut est l’auteure de Vieillir en prison (éd. Champ social) et de La famille à l’épreuve de la prison (éd. PUF).

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