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Les femmes handicapées en première ligne

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Quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de violences psychologiques et physiques. Une réalité méconnue que le département de Loire-Atlantique a choisi d’aborder lors d’une journée d’étude le 3 décembre dernier.

Hier largement ignorée des politiques publiques, au mieux réunie sous le vocable de « maltraitance », la question des violences faites aux femmes en situation de handicap commence, doucement, à sortir de l’ombre. En octobre dernier, le Sénat y a consacré un rapport dans lequel ont été formulées 14 recommandations(1). Fin novembre, six des mesures prises dans le cadre du Grenelle des violences conjugales concernaient le handicap. Le 3 décembre dernier, Journée internationale des personnes handicapées, c’est le département de Loire-Atlantique qui s’est emparé du sujet lors d’un séminaire. Car il y a urgence à agir. Selon un rapport du Parlement européen, publié en 2007, 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences psychologiques et physiques. Ces mêmes femmes courraient un risque plus élevé que les autres de subir des violences sexuelles. Les études et statistiques précises manquent cruellement, illustrant la relative méconnaissance du sujet mais ces constats donnent une idée de l’ampleur du défi à relever. A commencer par celui de la visibilité.

Dans les structures d’aide aux femmes, le handicap est peu pris en compte. Et inversement : dans les associations liées au handicap, l’approche par le genre demeure rare. « C’est un problème car ce sont, par conséquent, majoritairement les hommes qui bénéficient des aides publiques pour le handicap. Dans les statistiques d’égalité femmes-hommes, il n’y a pas non plus d’approche du handicap. Cela rend difficiles la connaissance de la réalité et l’évaluation des politiques publiques », remarque Claire Desaint, coprésidente de Femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA). Créée en 2003 par Maudy Piot, l’association est, aujourd’hui encore, la seule à rassembler des femmes handicapées(2).

Le handicap rend vulnérable

Les violences prennent des formes multiples. Elles peuvent être physiques, verbales, sexuelles, psychologiques, économiques ou encore administratives. « Les femmes en situation de handicap vivent les mêmes violences que les autres femmes. Mais le handicap peut les amplifier ou être à l’origine d’actes spécifiques de violence, expliquent Valérie Thébault et Lucie Guerreiro, assistantes sociales et formatrices à l’association Solidarités femmes. Certaines situations de dépendance peuvent constituer un frein à la libération de la parole. Dénoncer, c’est aussi prendre le risque de perdre l’aide que l’on a au quotidien et de se retrouver dans une situation de vulnérabilité encore plus forte. » En 2015, l’association FDFA avait réalisé le film « Violences du silence » (consultable sur son site web), à partir de témoignages de victimes. On y entend ainsi Olivia, 47 ans. Elle décrit une vie heureuse avant cet AVC qui a bouleversé ses rapports avec sa fille qui l’humilie, la frappe, lui souhaite de mourir… « Devant les autres, elle est bienveillante, témoigne Olivia. On dit que j’ai de la chance d’avoir une fille comme ça. Le handicap, ça rend fou les autres. » Nombreuses sont ces situations où l’entourage des victimes ne se rend pas compte des violences, tapies dans la sphère privée.

Si la question est si peu abordée, c’est aussi que les violences, en soi, restent parfois silencieuses. « C’est un sujet difficile parce que difficile à voir, introduit Marie-Hélène Neyrolles, directrice territoriale de l’agence régionale de santé Pays de la Loire. Difficile à voir pour les personnes elles-mêmes : les adultes ayant une déficience intellectuelle rencontreraient des difficultés à distinguer les relations abusives des relations consentantes. Difficiles à voir pour nous-mêmes parce que nous sommes dans une représentation des personnes en situation de handicap qui fait qu’elles ne sont pas considérées comme sexuées par les personnes valides. » Et bien souvent, ajoute Claire Desaint, « ces femmes ont une tolérance à la violence et à la souffrance plus forte que les autres ». D’un point de vue réglementaire, le travailleur social a l’obligation de signaler tout délit ou crime dont il a connaissance, sans qu’il puisse opposer le secret professionnel. Mais comment identifier les violences ? « La première chose à faire est de poser la question, tout simplement, conseille Lucie Guerreiro, à Solidarités femmes. Si vous ne vous sentez pas à l’aise, posez une question plus globale qui permet de prendre la température […]. Et si l’interlocutrice ne répond pas, elle aura au moins entendu que vous êtes ouvert à cet échange au besoin. »

Des comportements, parfois, alertent les professionnels : ces femmes peuvent être agressives, ne pas honorer les rendez-vous. « Dans la mesure du possible, rappelle Valérie Thébault, c’est important d’échanger avec des collègues, pour ne pas s’engager trop vite dans le dépôt de plainte, dans le fait de dire à une femme de partir. » FDFA et Solidarités femmes sont des ressources pour les professionnels dans le doute. Tout comme le centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) qui a proposé, en Loire-Atlantique, des ateliers de sensibilisation permettant aux professionnels d’identifier les situations de violence et de faire du lien entre les acteurs du handicap et de l’aide aux victimes.

L’accompagnement des victimes

En matière d’accompagnement, deux lignes d’écoute sont disponibles. Le 3919, géré depuis 2007 par la Fédération nationale Solidarités femmes. Et la ligne spécialisée « Ecoute violence femmes handicapées » créée en 2015 par FDFA : des bénévoles formés proposent une écoute bienveillante au 01 40 47 06 06. « On essaye de ne pas laisser un blanc s’installer et solliciter un prénom pour entamer une discussion sur un ton tout à fait avenant, compréhensif, en incitant vraiment la personne à parler », explique Jocelyne Vaysse, psychiatre et administratrice de FDFA. « On propose ensuite des rappels téléphoniques possibles, des rendez-vous avec des psychologues, on incite à porter plainte et à se rapprocher des institutions comme les CIDFF. »

L’association propose également des permanences juridiques, d’assistance sociale ou d’une écrivaine publique. FDFA, c’est aussi un groupe de parole, animé par une psychothérapeute et un psychologue, pour travailler sur les émotions, apprendre à vivre autrement. « L’intérêt, c’est de pouvoir échanger entre femmes qui vivent les mêmes violences », explique Claire Desaint. L’association travaille sur le retour vers l’autonomie grâce à un atelier d’accompagnement vers l’emploi. Et aussi sur la reconstruction avec, par exemple, un atelier beauté et bien-être censé permettre de reconquérir une certaine estime de soi. L’an dernier, FDFA a comptabilisé 411 heures d’écoute pour 2 067 appels, ouvert 214 dossiers et honoré 41 rendez-vous sociaux ainsi que 26 rendez-vous d’aide administrative.

Progressivement, des initiatives naissent pour se prémunir des violences. En Loire-Atlantique, l’Esat Nantest, confronté à des témoignages de travailleuses victimes de violences conjugales ou de travailleurs protégeant leur mère de leur conjoint, a mené un travail sur l’information à la vie affective et sexuelle. D’abord, avec le planning familial pour libérer la parole. Ensuite, avec Solidarités femmes qui a proposé des espaces de réflexion sur les violences. « Ces deux structures sont désormais bien identifiées au sein de l’Esat, on peut faire le lien avec elles quand on identifie des violences, explique Jennifer Lefeuvre, intervenante de l’Esat. De notre côté, on peut proposer un accompagnement vers un psychologue, travailler avec la famille ou aider à accompagner pour un dépôt de plainte. » Pour la FDFA, il faut changer le regard sur les femmes en situation de handicap. « Les voir d’abord comme des citoyennes qui ont des compétences et développer l’information sur leurs droits », pense Claire Desaint. Et l’une des clés du changement réside dans la formation des professionnels qui interviennent dans les champs du handicap et de l’aide aux victimes.

Qu’entend-on par « violences conjugales » ?

L’association Solidarités femmes insiste sur la distinction entre violences conjugales et conflits de couple. « Un conflit violent peut amener des violences physiques très graves et on peut déposer plainte. Mais ce n’est pas du tout la même chose qu’une situation de violence conjugale, note Valérie Thébaud, assistante sociale et formatrice de l’association. Les violences conjugales sont un processus au cours duquel un partenaire utilise des comportements qui visent à contrôler et à dominer l’autre partenaire, dans un rapport unilatéral qui s’installe souvent dès le début de la relation. »

Notes

(1) Voir ASH n° 3132 du 01-11-19, p. 19.

(2) Voir ASH n° 3093 du 18-01-19, p. 34.

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