Recevoir la newsletter

L’accompagnement des orphelins pris en charge par l’ASE

Article réservé aux abonnés

« Les jeunes orphelins placés : quels sont leurs conditions de vie et leur devenir à la sortie du placement ? », tel est l’intitulé d’une recherche du laboratoire Printemps du CNRS et de l’Ined récemment publiée. Les chercheurs se sont ainsi intéressés à ce public souvent invisible, qui représente pourtant entre 18 % et 31 % des enfants placés.

L’objectif de cette recherche, mené par six chercheuses, est de mieux connaître les parcours et les conditions de vie des jeunes orphelins en protection de l’enfance alors que ce public est peu visible. Cette zone d’ombre se vérifie notamment par une absence de données. Il n’existe en effet pas de statistiques nationales permettant de repérer les orphelins parmi les enfants pris en charge en protection de l’enfance ou placés. Cette recherche, récemment publiée, de l’Ined et du laboratoire Printemps du CNRS, intitulée « Les jeunes orphelins placés : quels sont leurs conditions de vie et leur devenir à la sortie du placement ? », s’est donc appuyée sur deux autres études(1) pour établir cette estimation, selon laquelle 18 % à 31 % des enfants placés sont orphelins d’au moins un parent. Une proportion nettement supérieure à la population générale. Un chiffre qui a d’ailleurs tendance à évoluer à la hausse ces dernières années en raison de l’arrivée des mineurs non accompagnés (MNA).

La reconnaissance de l’orphelinage

« La proportion de l’orphelinage en protection de l’enfance est importante, cela concerne un jeune sur trois entre 17 et 20 ans, une réalité qui va à l’encontre de l’imaginaire collectif, selon lequel les orphelins en protection de l’enfance sont de moins en moins nombreux, consent Isabelle Freuchon, sociologue et responsable de cette recherche. Nous nous sommes rendu compte que ces enfants n’intègrent pas la protection de l’enfance pour raison d’orphelinage, ce n’est d’ailleurs pas un motif d’entrée. Le décès du parent arrive souvent après le début de la prise en charge, pour ceux qui sont nés en France. » Cette étude met ainsi en lumière la difficulté pour les professionnels d’identifier ces enfants en tant qu’orphelins car, « issus de familles complexes et de milieux très précaires », ils intègrent la protection de l’enfance pour d’autres motifs tels que des problèmes de violences conjugales, de maltraitance ou de conditions éducatives défaillantes. Une difficulté de repérage qui est étroitement liée à la question de l’accompagnement ou du non-accompagnement au deuil, le décès d’un parent intervenant dans un continuum de problèmes sociaux et économiques. C’est davantage ce cumul des difficultés qui est traité dans son ensemble par les professionnels que le décès d’un proche en tant que tel.

Un accompagnement non différencié

« Il y a très peu de différences au niveau de la prise en charge des orphelins car les motifs d’entrée en placement sont les mêmes que les autres enfants. Par ailleurs, les non-orphelins n’ont pas forcément plus de liens avec leurs parents, donc les professionnels qui vivent au quotidien avec ces jeunes ne basent pas leur accompagnement éducatif sur cette problématique », argumente Isabelle Freuchon.

Néanmoins, cette étude avance l’idée que le parcours de placement est différent selon le sexe du parent décédé. Les chercheurs ont ainsi analysé les trajectoires de prise en charge en distinguant les orphelins simples ayant gardé un lien avec le second parent (le plus souvent la mère) des orphelins doubles ou des orphelins sans lien avec le second parent. Il en ressort trois profils de parcours. Pour les jeunes nés en France métropolitaine dont au moins la mère est décédée, à 17 ans, deux tiers n’ont plus de lien avec leur père. Ils ont connu plus tôt leur premier placement, près de la moitié avant leur entrée au primaire, 82 % ont été placés au moins une fois en famille d’accueil et 63 % vivent encore dans ce type de placement à la veille de la majorité. Malgré cette rupture des liens parentaux, 40 % seulement ont été concernés par une mesure organisant l’exercice de l’autorité parentale que ce soit une délégation partielle ou totale, ou une reconnaissance comme pupille, ou une tutelle. Les orphelins de mère poursuivent en très grande majorité en contrat jeune majeur et restent protégés plus longtemps que les autres sauf lorsqu’ils ont été confiés à un tiers digne de confiance. En revanche, les jeunes nés en France métropolitaine dont le père est décédé entrent plus tardivement que les orphelins de mère en placement et que les non-orphelins, vers neuf ans et demi en moyenne (7,5 ans lorsque la mère est décédée). 73 % sont toujours en lien avec leur mère à 17 ans, ils ont en conséquence moins souvent été concernés par une mesure de transfert de l’autorité parentale, seulement 15 %. Par rapport à l’ensemble des jeunes placés, les jeunes orphelins de père connaissent une plus grande diversité de modes d’hébergement à 17 ans : 35 % en collectif, 16 % sont en hébergement dit « autonome », 6 % en lieux de vie.

Il a été également observé que les jeunes qui maintiennent des liens avec au moins un autre parent poursuivent moins en contrat jeune majeur, et pour ceux qui y accèdent, y restent moins longtemps. Le troisième profil correspond aux jeunes nés à l’étranger. Leur spécificité de prise en charge résulte plus de leur arrivée tardive dans le placement que de la situation d’orphelinage. Cette arrivée tardive les amène à être accueillis surtout en foyer ou en hébergement dit « autonome ». Ainsi, il n’y a pas de réelle distinction entre la prise en charge des orphelins et celles des autres, car c’est leur statut d’absence d’autorité parentale sur le sol français qui joue davantage que l’absence par l’orphelinage pour les mineurs non accompagnés. A la majorité, ils poursuivent en grande majorité en contrat jeune majeur et lorsqu’ils sont orphelins, ils poursuivent plus longuement leur prise en charge.

Les pistes de réflexion

Cette recherche met également en lumière des effets pervers. En ce qui concerne, par exemple, le fait que les orphelins sont davantage pris en charge en « tiers digne de confiance », c’est une mesure judiciaire qui laisse à la charge d’un proche le protégé en contrepartie d’un financement de la protection de l’enfance. « Une mesure qui semble bien fonctionner mais l’effet pervers est que ces jeunes ont peu accès au contrat jeune majeur », souligne Isabelle Fleuchon. Un procédé qui interroge néanmoins les chercheurs, qui ont constaté que ceux qui ont un contrat jeune majeur ont souvent un diplôme, à l’inverse de ceux qui n’en bénéficient pas. Le développement de ces mesures de « tiers de confiance » est présenté dans ce rapport, comme une piste de réflexion pour améliorer la prise en charge des orphelins placés mais à la seule condition qu’une proposition de poursuite de l’aide en tant que jeune majeur soit systématisée lorsque cette mesure est mise en place, afin que le relais par l’entourage ne signifie pas un moindre accès à la protection. Cette démonstration démontre que la logique d’un prolongement de l’aide aux jeunes majeurs sous condition d’isolement est à revoir car il laisse à la charge des tiers dignes de confiance, des mères encore présentes ou bien encore des frères et sœurs, le poids de la sortie de placement. Et c’est au final l’absence d’entourage parental qui va permettre mécaniquement aux jeunes de poursuivre un peu plus leurs études, dans la mesure où ils sont plus favorablement perçus comme nécessitant une prolongation de l’aide aux jeunes majeurs. L’amélioration de l’accompagnement de ces orphelins placés passe ainsi par deux axes de recommandations : d’une part, une meilleure prise en compte de l’entourage sans fragilisation de la prise en charge institutionnelle ; d’autre part, une formation des professionnels au contact quotidien des enfants concernant le deuil et ses manifestations, ce qui pourrait permettre aux adultes de mieux comprendre des manifestations qui peuvent parfois surprendre (absence de larmes, agressivité…), ainsi que d’avoir moins de réticences à évoquer avec les jeunes le décès, si celui-ci en ressent le besoin, et afin de favoriser une prise en charge spécifique dans les cas qui le nécessitent.

Une parentalité précoce pour les orphelines

Cette recherche révèle que 34 % des 60 jeunes femmes orphelines (d’au moins un parent) sorties de la protection de l’enfance ont des enfants ou en attendent, contre 16 % des non-orphelines. Cette surreprésentation est encore plus forte pour les orphelines doubles. Deux situations distinctes ont été observées : une partie des jeunes femmes présente l’arrivée de l’enfant comme non prévue, elles n’avortent pas pour des raisons religieuses ou en raison d’une découverte tardive de leur grossesse. Pour les autres, le désir d’enfant s’exprime différemment et s’ancre dans une envie de créer une famille, désir parfois explicitement mis en lien avec la situation d’orphelinage. L’arrivée de l’enfant renforce pour elles l’objectif d’accéder à un logement indépendant, d’autant que la protection jeune majeur se fragilise à partir du moment où elles deviennent mères. Malgré les difficultés rencontrées, les enquêtées évoquent quasiment toutes la transition à la parentalité comme une bifurcation positive dans leur trajectoire, qu’elle ait été choisie ou non.

Notes

(1) Les analyses reposent sur deux études réalisées à cinq ans d’intervalle. La première, Elapdossiers, est une étude rétrospective à partir de dossiers archivés de l’aide sociale à l’enfance et des tribunaux pour enfants, ce qui permet de retracer les trajectoires de prise en charge de 809 jeunes placés au milieu des années 1980. La seconde est l’enquête longitudinale Elap, qui a interrogé directement 1 622 jeunes encore placés à 17-20 ans et nés entre 1993 et 1996 et qui a suivi une partie d’entre eux dans le temps. Une seconde vague a été réalisée auprès de 756 jeunes 18 mois plus tard et deux autres vagues qualitatives ont permis de suivre plus d’une centaine de jeunes, dont une quarantaine d’orphelins. La question de l’orphelinage dans le placement est ainsi analysée au travers des témoignages des jeunes placés.

Focus

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur