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“Sans passé, vous n’avez pas d’avenir”

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Le droit aux origines est inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant. Pourtant, de nombreux enfants nés sous X n’ont pas accès à leur identité. Une violence faite aussi aux mères, qui témoignent dans le livre Les Fantines de Maria Pia Briffaut.

À sa naissance, elle s’appelait Maria Pia. Entre 4 et 18 mois, sa famille d’accueil l’a surnommée Maryse. Puis elle a été adoptée et ses parents l’ont prénommée Monique. Aujourd’hui, elle préfère qu’on la désigne par son premier prénom, celui que sa mère biologique lui a donné. Maria Pia Briffaut est née sous X en 1955 à Lille, mais elle a grandi à Valenciennes, dans une famille aimante qui lui a raconté très tôt l’histoire de sa venue au monde et de son adoption. « Ce qui m’a évité un choc plus tard. En même temps, comme tous les enfants nés sous X, j’avais des questions sans réponses, des zones d’ombre », souligne-t-elle. Elle attendra le décès de ses parents adoptifs pour s’autoriser à entamer des recherches. Elle a 39 ans quand son parcours du combattant commence. Première déception : au bureau des adoptions du conseil général de Lille, elle apprend que son dossier est quasi vide. Seule la description de sa mère, une « petite femme brune », est mentionnée. Découragée, la jeune femme fait appel à l’Association pour le droit aux origines des enfants nés sous X (Adonx), dans laquelle elle s’engage et dont elle deviendra présidente en 2007. Pendant vingt ans, Maria Pia Briffaut a cherché sa mère. En vain. Et puis, le 6 décembre 2010, le téléphone de l’Adonx sonne. « Au bout du fil, une voix féminine me dit rechercher sa sœur inscrite sur les fichiers de l’association et donne son nom. C’était moi, s’étonne encore émue la présidente. J’ai appris que j’avais deux frères et deux sœurs et que ma mère avait été contrainte de m’abandonner par sa belle-famille parce que j’étais supposée être l’enfant d’une liaison extraconjugale. » Malheureusement, elle ne rencontrera jamais sa mère biologique, décédée six mois plus tôt. Son regret est d’autant plus grand que ses frères et sœurs lui avouent que celle-ci a tellement regretté ce qui s’est passé qu’ils s’étaient mis en quête de la retrouver pour lui faire une surprise !

L’histoire de Maria Pia Briffaut est loin d’être isolée. Au moment où elle est née, environ 10 000 femmes accouchaient sous X par an en France. Des « mères de l’ombre », comme elle les nomme dans son livre, qui, pour la plupart, ont été abandonnées par les hommes qui les ont mises enceintes ainsi que par leurs familles. Pour la militante d’Adonx, très peu d’entre elles étaient véritablement informées sur la procédure de l’accouchement sous X : « J’ai recueilli des témoignages de femmes à qui on a pris l’enfant de force à la maternité. Elles n’ont pas eu le choix, elles ne savaient pas. » C’est apparemment le cas de sa mère, jeune Italienne, orpheline et victime d’un mariage forcé avec son cousin. « Une croix a été faite en bas de mon dossier, ma mère n’a pas signé. L’information des femmes est capitale. Quand elles sont documentées, 20 % d’entre elles reprennent leur bébé avant la fin du délai de rétractation légal de deux mois », affirme la sexagénaire. Aujourd’hui, 600 à 700 femmes accouchent encore sous X chaque année. « Une violence faite aux femmes » pour Maria Pia Briffaut, qui milite pour la suppression de cette disposition instaurée en 1941 par le maréchal Pétain : « Il serait préférable que les femmes puissent accoucher dans le secret, en laissant leur nom dans le dossier de naissance ou en ayant la possibilité de revoir l’enfant. On ne sépare pas un enfant et une mère jusqu’à la fin de leurs jours. Toutes les études prouvent que les enfants ont besoin de connaître leurs origines pour pouvoir se construire. Si vous n’avez pas de passé, vous n’avez pas d’avenir. »

Le droit à ses origines

Hormis le Luxembourg, où l’accouchement sous X reste exceptionnel, la France est un des rares pays européens où les enfants peuvent ne pas avoir accès à l’identité de leur mère. En Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Suisse… son nom figure obligatoirement sur l’acte de naissance. L’Angleterre favorise même le rapprochement en tenant à jour un « fichier de contacts » entre enfants adoptés et parents d’origine. Une avancée relative a eu lieu dans l’Hexagone en 2002 avec la création du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop). Mais sur 1 000 saisines reçues annuellement, 600 seulement sont traitées et, dans 30 % à 40 % des cas, la mère de naissance n’est pas retrouvée, faute d’éléments suffisants. Maria Pia Briffaut a eu recours à ce dispositif sans résultat. Pour cause, malgré ses demandes répétées aux archives de l’hôpital Jeanne-de-Flandre, à Lille, où sa mère a accouché, elle n’a jamais pu avoir accès à la moindre trace de son dossier. Parfois, il lui était répondu qu’il avait brûlé, parfois, qu’il avait été détruit… La présidente d’Adonx a appris que c’était faux quand, après avoir retrouvé ses frères et sœurs, elle leur a demandé de faire avec elle une ultime requête à l’hôpital lillois. Deux semaines plus tard, elle reçoit son dossier en recommandé. Le nom de sa mère y est inscrit en toutes lettres. « Ça a été terrible d’apprendre que l’on m’avait menti et que j’aurais pu rencontrer ma mère de son vivant. Pour moi, c’est un préjudice énorme. » En septembre 2018, elle a porté plainte contre l’hôpital Jeanne-de-Flandre et son ancien directeur pour dissimulation de son dossier de naissance.

Actuellement, environ 500 000 personnes vivent en France nées sous X. Impossible de savoir combien d’entre elles recherchent leur famille biologique. « Il n’y a pas de chiffre mais elles sont nombreuses. Ce qui est sûr, c’est que les jeunes veulent savoir. On le voit notamment dans le cadre des PMA et des GPA », assure celle qui est aussi à la tête du Collectif pour le droit aux origines. Surtout, là où, auparavant, les recherches prenaient des années, voire des décennies, une piste peut désormais être remontée en quelques mois grâce à l’utilisation des tests génétiques. « Le plus souvent, les tests ADN permettent d’établir telle ou telle correspondance avec des grands-parents ou arrière-grands-parents, et moins fréquemment avec des oncles, cousins, demi-frères ou demi-sœurs », commente Maria Pia Briffaut. Son association tente de guider les personnes en recherche dans le dédale administratif, effectue des médiations destinées aux acteurs de la naissance sous X et favorise les rencontres – très délicates – entre parents et enfants qui le désirent. Et si les familles ne souhaitent pas avoir de lien ? « Les personnes sont libres, c’est leur droit le plus strict de ne pas vouloir être mises en relation. Mais quand elles font appel à nous, c’est qu’elles sont généralement d’accord. » Le lendemain matin du jour où elle a su qui était sa mère, Maria Pia Briffaut a pris le train de banlieue pour aller travailler comme d’habitude. Mais, cette fois, quelque chose avait changé : « Une fois assise, pour la première fois de ma vie, je me suis sentie à ma place. C’est une impression difficile à expliquer mais que partagent beaucoup d’enfants nés sous X ayant retrouvé leurs origines. »

Présidente de l’Adonx

(Association pour le droit aux origines des enfants nés sous X), Maria Pia Briffaut est l’auteure de Les Fantines, l’accouchement sous X, une violence faite aux femmes (éd. Le Lys bleu) et de De cœur et de sang, paru en 2016 (éd. Amalthée), où elle raconte sa rencontre avec sa famille biologique.

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