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Le vœu pieux de la coopération

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Proposer un accompagnement global et partagé aux enfants en situation de handicap pris en charge par les services de la protection de l’enfance constitue toujours un défi pour les différents acteurs concernés. Une étude des Creai Nouvelle-Aquitaine et Ile-de-France identifie les obstacles et les freins à une réelle coopération. Diagnostic.

Près d’un jeune sur cinq relevant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) serait en situation de handicap. En novembre 2015, Geneviève Avenard, défenseure des enfants, et Jacques Toubon, défenseur des droits, consacraient leur rapport annuel à l’accès aux droits de ces enfants dont le nombre était alors estimé à 70 000. Ces enfants doublement vulnérables « devraient bénéficier d’une double attention et d’une double protection, mais […] vont paradoxalement, parce qu’ils se trouvent à l’intersection de politiques publiques distinctes, être les victimes de l’incapacité à dépasser les cloisonnements institutionnels, l’empilement des dispositifs et la multiplicité des acteurs, ainsi que les différences de cultures professionnelles, notamment autour de la place des parents et du travail avec les familles ».

Quatre ans après, où en sont les velléités de coopération entre les différents acteurs ?

Dans une étude – dont la synthèse a été publiée en novembre –, les centres régionaux d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (Creai) de Nouvelle-Aquitaine et d’Ile-de-France se penchent sur la manière d’améliorer la prise en charge par la protection de l’enfance et par le secteur médico-social des enfants relevant de ce double accompagnement.

Le rapport présente les résultats de l’expérimentation d’une méthode partagée entre les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et l’Education nationale pour construire des projets coordonnés à l’intention des enfants. Objectif : proposer des pistes d’amélioration de la coopération des services concernant les enfants en situation de handicap et suivis par l’ASE et éviter ainsi « le morcellement des parcours de ces enfants doublement vulnérables ». L’expérimentation, qui s’est déroulée dans quatre départements volontaires (Charente-Maritime, Corrèze, Landes, Val-d’Oise), concerne 328 enfants en situation de handicap et protégés tirés au sort et a porté sur « des situations communes actives ».

Des cultures professionnelles cloisonnées

L’étude constate que « l’élaboration de projets d’accompagnement globaux et partagés reste difficile à réaliser » en raison des écarts de cultures professionnelles et du manque de coopération entre les acteurs. Conséquence ? un accompagnement ASE-secteur médico-social-Education nationale en tuyaux d’orgue… « Pour le moment, chaque secteur considère l’autre comme spécialiste d’une question connexe, auquel on doit se référer pour traiter une part de la problématique d’un enfant, note l’étude. La scolarisation concerne l’Education nationale, la santé mentale concerne la pédopsychiatrie, le handicap concerne la MDPH et les structures médico-sociales, les mesures de protection concernent les services de l’ASE. »

Ce constat n’est pas nouveau et, depuis 2000, de nombreux textes réglementaires invitent et incitent les acteurs à coopérer. Il n’empêche que les cloisonnements demeurent. En juin dernier, le rapport du groupe de travail « Mieux accompagner les enfants en situation de handicap », coprésidé par Michel Autissier, président du conseil départemental du Cher, et Jean-Jacques Coiplet, directeur général de l’agence régionale de santé des Pays de la Loire, pointait « ces cultures professionnelles cloisonnées ». « Les champs professionnels de la protection de l’enfance, du médico-social et de la psychiatrie apparaissent cloisonnés avec un faible niveau d’articulation et de communication spontanées. Les coordinations se mettent en place majoritairement lorsque les situations sont déjà dégradées, en urgence, notamment dans le cadre de la “réponse accompagnée pour tous”. L’enjeu est de construire pour ces jeunes des réponses adaptées à leurs besoins dès le début de leurs parcours en protection de l’enfance. Dans l’ensemble, les professionnels de la protection de l’enfance ne sont pas formés et outillés à l’accompagnement du handicap, tandis que les professionnels du champ du handicap ne sont pas formés à la protection de l’enfance. Il existe peu ou très peu de formations (initiales ou continues) croisées entre ces deux champs. » Il peut également exister des difficultés de partage d’information entre professionnels, ajoutaient les rapporteurs.

Cette logique de fonctionnement en silos dans l’accompagnement des enfants aboutit à une superposition de plusieurs plans, tel un millefeuille : un projet pour l’enfant (PPE), que tous les départements n’ont pas encore mis en œuvre ; un plan personnalisé de scolarisation (PPS) et son document de mise en œuvre ; un guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (Gevasco) ; un plan personnalisé de compensation (PPC) si une demande de prestation de compensation du handicap (PCH) a été faite ; un projet de soins lorsqu’un acteur du soin intervient ; un ou plusieurs projets personnalisés lorsque l’enfant est accueilli par une structure sociale et/ou par une structure médico-sociale. Cerise sur le gâteau, « ces plans ou projets ne sont pas reliés entre eux, même si les finalités et les logiques se rejoignent », font remarquer les auteurs de l’étude.

L’axe commun pour la coopération entre les différents acteurs (les secteurs médico-social et sanitaire, l’école et les services de protection de l’enfance) est « le développement de l’enfant au cœur du méta-besoin de sécurité ». Si les professionnels des différents secteurs ont en ligne de mire ce même « objet de travail », leurs approches n’en demeurent pas moins distinctes. « En protection de l’enfance, la finalité est d’assurer le méta-besoin de sécurité des enfants afin de les conduire vers l’autonomie et la socialisation (démarche de consensus). Dans le champ médico-social, la finalité est de compenser les limitations d’activité afin de permettre la meilleure autonomie possible et de favoriser la participation sociale. Pour le moment, ces approches parfaitement complémentaires ne s’incarnent pas dans des modalités de travail en commun. »

Écarts de temporalité entre les institutions

L’étude des Creai met en exergue « les écarts de temporalité entre les institutions ». Le regard sur les situations des enfants accompagnés n’est pas porté au même moment par les différents acteurs. Tous font la même course, mais chacun dans son couloir et à son propre rythme : « Chaque institution possède sa méthode et ses procédures en cohérence avec les finalités de sa fonction. » Si la MDPH et l’Education nationale ont à synchroniser leurs actions dans le cadre de la rentrée scolaire des enfants, ce besoin de concordance des temps d’action avec les autres intervenants n’existe pas pour l’aide sociale à l’enfance, dont les mesures de protection doivent se déterminer et se mettre en place à tout moment. L’étude met également en évidence le manque d’informations partagées, voire communes, entre les acteurs. Dans 16 % des cas, les données relevées par l’ASE et la MDPH différent complètement quant au lieu de vie de l’enfant. Les écarts d’évaluation entre les dossiers ASE et MDPH sur l’autonomie dans les actes de la vie quotidienne sont également importants. Ainsi, il manque des informations sur les compétences en lecture-écriture-calcul et en communication dans respectivement 14 % et 10 % des dossiers de l’ASE. Enfin, les MDPH n’ont pas accès à une information fiable et actualisée concernant les mesures de protection en cours.

Une coopération coûteuse et chronophage

Au regard de ces constats, la coopération est-elle condamnée à n’être qu’un vœu pieux répété à l’envi par la puissance publique ? « Il existe un consensus pour dire que l’intérêt de l’enfant est dans la cohérence des actions menées par les institutions, mais la mise en œuvre de la coopération est coûteuse en temps et en investissement pour s’approprier la logique et les fonctionnements de l’autre institution. Elle est coûteuse aussi pour apprendre sur les formes de handicap, sur les interventions adaptées. Autrement dit, si la coopération interinstitutionnelle possède un intérêt pour l’enfant, l’intérêt est plus complexe à percevoir pour les institutions. La coopération est susceptible de ralentir leur action, de gêner leur réactivité et leur marge de manœuvre », constatent clairement les auteurs de l’étude.

Ce manque de coopération entre les acteurs aboutit-t-il à des situations de rupture dans le parcours des enfants accompagnés ? « Les services de l’aide sociale à l’enfance repèrent davantage de ruptures dans le parcours des enfants que les MDPH. Selon les services ASE, 83 enfants auraient connu au moins une rupture d’accompagnement, contre 59 enfants selon les MDPH. Ces chiffres relativisent l’hypothèse selon laquelle le fait d’être à la fois accompagné par un service de protection de l’enfance tout en étant en situation de handicap est source de rupture de parcours », nuance l’étude.

A partir des séances de travail avec les professionnels de l’ASE, de la MDPH et de l’Education nationale en Charente-Maritime et dans le Val-d’Oise, les Creai ont identifié quatre thématiques pour « structurer le travail en commun » : le développement de l’enfant, la scolarité et la formation, la participation sociale de l’enfant, les actes de la vie quotidienne. « Le PPE devrait être le document synthétique reprenant l’ensemble du “plan d’aide” de l’enfant », soulignent les auteurs de l’étude.

L’expérimentation n’a toutefois pas permis d’aboutir à la détermination de projets coélaborés pour l’enfant, tant l’évaluation des besoins ne se réalise pas selon des critères partagés par les secteurs concernés. « Car aujourd’hui l’action des institutions est construite à partir de leurs contraintes de fonctionnement et non pas à partir des besoins des personnes accompagnées. La temporalité des institutions en est l’exemple premier. Les institutions relèvent des données concernant les enfants au moment où elles en ont besoin pour mener leur action, lorsque les décisions en cours arrivent à échéance la plupart du temps. Et puisque les fonctionnements des institutions sont indépendants, les temporalités ne coïncident pas. Il en résulte des écarts quant à la connaissance de la situation des enfants et quant à l’élaboration des réponses à apporter aux besoins. Aussi, l’émergence d’un projet partagé portant sur l’ensemble des domaines de vie est aujourd’hui, dans de nombreuses situations, irréalisable », déplore l’étude.

Un système d’information partagé

Les solutions possibles ? L’étude souligne l’intérêt de la réalisation de diagnostics territoriaux partagés, « première étape de la construction d’un dispositif intégré », des temps de travail commun et des formations communes propices au rapprochement des cultures professionnelles. Les auteurs insistent sur « l’absolue nécessité » de disposer d’un système d’information partagé pour pallier notamment les écarts de temporalité entre les acteurs. « Le partage en temps réel et l’actualisation des données utiles à chaque institution pour mener sa fonction permettrait d’élaborer un projet pour l’enfant qui synthétise et articule les différents projets (PPS, PPC, projets personnalisés…). Ce n’est plus l’organisation et la temporalité des institutions mais bien le service du parcours de l’enfant qui doit justifier l’actualisation des données. »

La « stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022 », présentée en octobre dernier par Adrien Taquet, secrétaire d’Etat, comprend une série de mesures pour « créer des dispositifs d’intervention adaptés aux problématiques croisées de protection de l’enfance et de handicap », sans oublier que certains jeunes peuvent relever également de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Si les différents acteurs doivent apprendre à travailler ensemble pour accompagner ces enfants, l’accompagnement de la parentalité pourrait être également « un sujet partagé », considèrent les auteurs de l’étude.

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