Alors que l’hypothèse d’une intégration de l’allocation aux adultes handicapés dans le périmètre du futur revenu universel d’activité (RUA) est toujours dans les tuyaux, la Cour des comptes a jeté un pavé dans la mare avec son rapport du 25 novembre. Les Sages de la rue Cambon étrillent la procédure d’attribution de l’AAH dont le coût a bondi de 70 % en dix ans. Financée par l’Etat, cette allocation – d’un montant mensuel de base de 900 €, est perçue par plus de 1,1 million de personnes, pour un coût total de 9,7 milliards d’euros en 2018 – constitue le deuxième minimum social après le revenu de solidarité active (RSA).
L’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei) regrette l’angle de ce rapport « guidé par des logiques purement budgétaires et qui se trouve être déconnecté de la réalité des situations de vie des allocataires de l’AAH et des difficultés rencontrées par les maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH). » L’association APF France handicap juge les recommandations de la Cour des comptes « inquiétantes car elles jettent la suspicion sur les bénéficiaires de l’AAH, remettent en cause l’accès effectif aux droits et se situent dans une seule perspective de soutenabilité financière de la dépense pour l’Etat ».
La frontière entre le RSA et l’AAH-2 (allouée aux personnes dont l’incapacité est évaluée entre 50 % et 80 % et qui sont considérées comme éloignées de l’emploi) « apparaît comme incertaine », selon la Cour des comptes, qui, de fait, souligne l’ampleur des passages de l’un à l’autre : environ 25 % des nouveaux allocataires de l’AAH percevaient auparavant le RSA. Elle préconise, de fait, d’inclure l’AAH et plus particulièrement l’AAH-2 dans le périmètre de la réforme en cours des minima sociaux, pour laquelle le gouvernement a lancé une grande consultation(1). « En pointant la prise en charge par l’AAH-2 de situations de précarité ou de désocialisation, la Cour des comptes entretient une confusion inquiétante entre précarité et handicap », juge l’Unapei. Et de dénoncer « un risque de remise en question de la vocation spécifique de l’AAH et de dégradation des droits des personnes handicapées ». APF France handicap insiste sur le fait que l’AAH est attribuée sur la base de critères médicaux et que son octroi se fait à partir du constat de la reconnaissance d’une incapacité durable et substantielle du bénéficiaire, créatrice de handicap. L’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) fait remarquer que si le rapport étudie le passage du RSA vers l’AAH, il « ne relève aucunement les passages de l’AAH vers le RSA, liés aux baisses de taux d’incapacité de 80 % à 50-79 % lors des demandes de renouvellement de l’AAH, ou des rejets d’AAH au motif, souvent non justifié, que la personne handicapée n’aurait pas ou plus de restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi (RSDAE)… et ce malgré des années passées sans possibilité d’accéder à un emploi du fait du handicap ».
La Cour des comptes fustige « l’absence de mécanismes de détection des demandes frauduleuses » de l’AAH et conclut à l’existence d’un « angle mort » en termes « de lutte contre le recours frauduleux à l’AAH ». Les demandeurs présentent, à l’appui de leur dossier, un formulaire médical rempli par un médecin qu’ils ont « librement choisi », et les vérifications de ces données par les MDPH sont « rares, voire exceptionnelles ». Cette situation « présente un risque en termes de fraude », puisqu’elle ne permet pas de détecter « certificats de complaisance, faux dossiers (ou) fausses déclarations », pointe la Cour des comptes. APF France handicap déclare que le rapport de la Cour des comptes s’appuie sur « des constats aléatoires et inexacts ». Pour l’association, « cette présomption d’une fraude potentielle à l’AAH s’inscrit dans une représentation erronée des démarches des bénéficiaires de minima sociaux alors que plusieurs études ont démontré que la fraude sociale était résiduelle et qu’il s’agissait bien souvent d’erreurs des allocataires et non d’une volonté délibérée de frauder ».
La Cour des comptes préconise, par ailleurs, des « contre-visites médicales obligatoires » avant attribution de l’AAH. L’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) juge que cette disposition « complexifierait considérablement les démarches des usagers et allongerait encore les délais de traitement, déjà trop longs dans un nombre important de départements ». Elle rappelle également le côté irréaliste de cette mesure alors que les MDPH rencontrent aujourd’hui « les plus grandes difficultés pour recruter des médecins afin d’assurer leurs missions actuelles ». Pour l’Unapei, ce scénario « remet en cause les certificats médicaux rédigés par les médecins traitants ou spécialistes qui connaissent leurs patients, qui sont en mesure de fournir précisément des éléments cliniques, des données sur le retentissement fonctionnel des troubles, sur les changements éventuels depuis le dernier certificat, sur les traitements et effets secondaires, ce que ne saurait faire un médecin de contrôle qui ne connaît pas la personne ». L’Unafam rappelle que les MPDH peuvent déjà convoquer, si nécessaire, des experts à une visite médicale (médecin généraliste, spécialiste), qui demandent parfois des bilans complémentaires. « Pour améliorer sensiblement les évaluations, et cela est nécessaire, il faut des équipes pluridisciplinaires formées, spécialisées, des outils facilitant le recueil des informations », ajoute-t-elle.
La Cour des comptes suggère également de conditionner l’octroi de l’AAH-2 à une « prise en charge médico-sociale adaptée, quand celle-ci est possible », et à un entretien préalable « d’évaluation de l’employabilité ». « La recommandation de la Cour de faire de la prise en charge médicosociale adaptée un nouveau critère d’éligibilité à l’AAH-2 (et pas à l’AAH-1 ?), répond de cette confusion entre minima sociaux et AAH, et instaure de facto des contreparties à l’octroi du droit à l’AAH, renforçant la discrimination dont sont victimes certaines personnes handicapées », critique l’Unafam. Plutôt que d’imposer un entretien d’évaluation de l’employabilité préalablement à l’attribution de l’AAH-2, disposition qui jetterait la suspicion sur le demandeur, l’Apajh sollicite la généralisation du dispositif « Potentiel emploi » expérimenté entre 2011 et 2016 avec succès, qui associe services publics de l’emploi et du handicap et prestataires extérieurs pour réaliser des bilans médico-psycho-socio-professionnels dans l’intérêt des personnes, pour accompagner leurs démarches d’insertion professionnelle sans préjudice pour leurs droits.
Le rapport propose de donner la majorité des voix à l’Etat, en tant que financeur, pour toutes les décisions relatives à l’AAH. « L’ouverture du droit à l’AAH risquerait alors d’être conditionnée à une enveloppe budgétaire donnée et non plus aux critères d’éligibilité définis par la loi, avec un risque de remise en cause de l’effectivité des droits des personnes », juge APF France handicap. Alors que les Sages jugent les associations « peu soucieuses de la juste utilisation des deniers publics » et du coût de l’AAH, l’Unafam déplore cette « défiance injustifiée » et rejette en bloc la notion d’« irresponsabilité ».
Les associations voient dans ce rapport de la Cour des comptes une préparation du terrain pour l’intégration de l’AAH dans le futur RUA. « Il nous semble, ici, que le principe de la séparation des pouvoirs appelait, au regard de cette actualité aux enjeux forts pour notre secteur, un peu plus de distance s’agissant d’une problématique de politique générale », tacle la présidente de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath). « Aujourd’hui, loin de s’opposer au RUA sans autre proposition concrète, il faut, au contraire, reprendre ce mouvement et aménager les conditions afin que l’AAH soit définitivement intégrée aux prestations en espèces de la sécurité sociale et servie comme telle pour parachever l’œuvre du président Chirac en 1975 et de sa ministre de la Santé, Simone Veil », suggère-t-elle.