Seul un migrant en situation irrégulière éligible à l’aide médicale d’état sur deux (49 %) a recours à ce dispositif pour accéder aux soins, révèle une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé et de l’université de Bordeaux publiée le 27 novembre(1).
Réalisée en 2019 auprès de 1 223 étrangers qui peuvent prétendre à l’AME, l’étude met en évidence un taux de non-recours supérieur à celui estimé pour l’ex-CMU-C et comparable à celui estimé pour l’ex-aide à la complémentaire santé (ACS). « La plupart des migrants ont peu de connaissance de l’AME et n’ont pas tous la capacité à se saisir d’un dispositif complexe », note l’étude. « Même après cinq années ou plus de résidence en France, 35 % […] n’ont pas l’AME ». Selon l’étude de l’Irdes, 7 personnes éligibles à l’AME sur 10 sont des hommes, même si les femmes y ont beaucoup plus recours (60 % contre 47 %). 6 exilés sur 10 sont originaires d’Afrique subsaharienne, 25 % d’Afrique du Nord.
Le recours à l’AME est en lien avec le niveau de maîtrise du français des bénéficiaires. Ainsi, les 26 % de personnes ayant déclaré une « très bonne » maîtrise du français sont 58 % à être couvertes contre seulement 17 % pour celles déclarant une pratique de la langue « mauvaise ou très mauvaise ». En revanche, le taux de recours des personnes ayant répondu dans une langue étrangère est de seulement 42 %. La durée de séjour en France apparaît comme un autre facteur déterminant de l’accès à l’AME. Ainsi, les personnes présentes sur le territoire depuis plus de cinq ans (26 % de l’échantillon) sont 65 % à être couvertes alors que celles qui ne vivent sur le territoire que depuis trois mois à un an ne sont que 24 % à bénéficier de l’AME.
Pour ce qui concerne les 49 % de personnes éligibles ne disposant pas de l’AME au moment de l’enquête, 33 % déclarent ne jamais en avoir entendu parler. Parmi les 67 % ayant entendu parler de l’AME mais n’en disposant pas, 24 % en ont bénéficié par le passé. « La plupart d’entre elles ne l’ont pas redemandée le plus souvent en raison de la complexité des démarches, ou de l’incapacité à fournir un justificatif de résidence ou de revenus », explique l’étude.
La majorité des personnes n’ayant pas recouru à l’AME ne l’ont donc jamais eue. Les raisons ? 47 % des répondants sont en attente de réponse, 1 % a essuyé un refus, 8 % ont abandonné les démarches et 41 % ne les ont jamais entreprises. « L’absence et l’abandon des démarches sont alors le plus souvent expliqués par l’absence de connaissance sur le dispositif, le lieu où se rendre pour l’obtenir, l’absence de justificatifs de revenus, de résidence ou d’identité », poursuit l’Irdes.
Les auteurs de l’étude rejettent l’idée d’un « tourisme médical » lié à l’AME, argument pourtant avancé par le gouvernement début novembre pour expliquer sa réforme du dispositif. Commandé par le Premier ministre, le rapport des inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF) sur l’AME, rendu public le 5 novembre, affirmait que la « migration pour soins n’est clairement pas un phénomène marginal ». « Les personnes en mauvais état de santé restent en grande partie non couvertes, ce qui suggère que le recours à l’AME n’est pas un choix guidé par les besoins », relève au contraire l’étude de l’Irdes. Ainsi, les personnes déclarant un état de santé général dégradé ont un recours inférieur à 50 % alors que celles déclarant un très bon état de santé dépassent les 60 %. « Le dispositif AME ne couvre donc pas aujourd’hui de nombreux besoins de soins de la population éligible », précise l’étude.
(1) Enquête « Premiers pas » de l’Irdes et de l’université de Bordeaux réalisée à Paris et dans l’agglomération bordelaise en 2019 auprès de 1 223 étrangers.