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La réinsertion à la peine

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Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) vient de rendre un avis pour faire de la réinsertion des personnes détenues, une priorité. Il formule une vingtaine de propositions pour améliorer l’accès aux soins, aux droits sociaux, à l’emploi ou encore au logement ou à l’hébergement à la sortie de prison.

« La prison désocialise, déresponsabilise, crée de multiples ruptures ou exacerbe celles qui existaient déjà. » Saisi en septembre, pour la première fois par le Premier ministre sur le sujet de la réinsertion des personnes détenues, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) présentait, le 26 novembre dernier, ses conclusions en présence de Nicole Belloubet, la ministre de la Justice(1).

Dans un précédent avis de 2006 sur les conditions de la réinsertion socio-professionnelle des détenus en France, le Cese alertait déjà sur les difficultés de réinsertion et sur la sortie de détention trop peu préparée. « Plus de 12 ans après, les progrès ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux », constate l’instance.

Au-delà de la lutte contre la surpopulation carcérale et le développement d’alternatives à la détention, les travaux du Cese se sont centrés sur l’enjeu de l’accès aux droits sociaux des personnes détenues tant pendant la détention qu’à la sortie. Le Cese organise ses propositions autour de huit priorités : le parcours de peine, la continuité de soins, l’effectivité des droits, la formation et le travail, les liens familiaux, la culture et le sport, l’accès à l’hébergement, les droits d’expression et le pouvoir d’agir.

Des parcours jalonnés de ruptures

« La prison est une peine privative de liberté mais elle ne doit en aucun cas priver les personnes détenues de leur accès aux droits sociaux et aux droits fondamentaux », insiste Antoine Dulin, vice-président du Cese et rapporteur de l’avis. Or, la détention est trop souvent synonyme de rupture et 80 % des personnes détenues sortent sans accompagnement (en « sortie sèche »).

« Trop souvent, la détention s’inscrit dans une “chaîne des exclusions” que les politiques publiques n’ont pas réussi à arrêter. Au-delà, les données disponibles montrent que les personnes incarcérées connaissent des parcours jalonnés de ruptures, marqués par une forte précarité. 9 % des personnes détenues se déclaraient sans domicile fixe au moment de l’entrée en détention. L’emprisonnement ferme est plus fréquemment prononcé à l’encontre des personnes sans emploi : 31,4 % des personnes prévenues disposant de moins de 300 € mensuels ont été condamnées à de l’enfermement ferme contre 7,1 % de celles déclarant au moins 1 500 € », expose l’avis. Pour le Cese, l’entrée en détention reste un moment clé pour organiser la réinsertion et devrait comporter « une évaluation beaucoup plus approfondie, interdisciplinaire et systématique, de la situation de la personne détenue ».

Comme en 2018, dans son avis « Les personnes vivant dans la rue : l’urgence d’agir », le conseil souligne le manque d’effectivité du droit à la domiciliation des détenus. Il demande la mise en place d’une procédure d’ouverture automatique de compte bancaire à la fin de la détention, via éventuellement la Banque de France dans le cadre du « droit au compte » (qui s’exerce après le refus des établissements bancaires). Afin d’assurer l’accès aux droits indispensables à toute démarche de réinsertion, le Cese souligne l’importance de faciliter le renouvellement des documents d’identité et titre de séjour des intéressés.

Un RUA pour les détenus

Rappelant que la vie en prison a un coût : location d’une télévision, d’un réfrigérateur (à partager entre codétenus d’une même cellule), le prix de la « cantine » pour acheter des produits alimentaires, des timbres, le Cese souligne que les détenus disposent de faibles ressources. « A noter en particulier : la suspension du revenu de solidarité active (RSA) pour les personnes détenues après 60 jours d’incarcération, la réduction de 70 % après 30 jours de détention de l’allocation aux adultes handicapés, la suspension des indemnités chômage pour la personne qui travaillait (pas de possibilité de recherche active d’emploi). L’allocation temporaire d’attente, supprimée le 1er septembre 2017, a eu un impact très important sur les jeunes de 18-25 ans sortant de prison qui ne bénéficient pas du RSA », égrène l’avis. Dans ce contexte, le Cese recommande que la situation des personnes détenues soit intégrée à la réflexion en cours sur le revenu universel d’activité (RUA). Ce qui leur permettrait d’avoir une vie décente en prison et éviterait les « ruptures de droits à la sortie ». Dans un contexte de numérisation des services publics, le Cese plaide pour la mise en place pour les détenus d’un système sécurisé d’accès aux sites administratifs indispensables à la réinsertion.

Un contrat de travail spécifique

« La formation professionnelle et le travail sont des outils bien peu utilisés pour la réinsertion », constate Antoine Dulin. Ainsi, seuls 15 % des détenus ont bénéficié d’une formation professionnelle en 2018. « Certaines régions se sont complètement désengagées de la dynamique de la réinsertion des personnes détenues et de la formation professionnelle en détention », déplore le rapporteur. Par ailleurs, l’emploi en milieu pénitentiaire n’a cessé de décroître ces derniers années : 28 % des détenus exerçaient un emploi rémunéré en 2019 contre 46,2 % en 2000. La raison ? Les entreprises des secteurs qui recouraient traditionnellement au travail carcéral ont beaucoup délocalisé. « Le travail en prison est peu qualifié et porte sur de simples tâches d’exécution. Il est actuellement utilisé comme un outil de paix sociale et pas comme un vecteur de l’insertion professionnelle après la détention. Il consiste en des tâches répétitives de façonnage, de tri qui, à l’extérieur, auraient été automatisées. Les tâches ne sont pas valorisantes et n’ont pas de sens pour la personne détenue », critique le Cese. Par ailleurs, le code du travail et le Smic ne s’appliquent pas au travail en prison, la personne détenue ne signe pas de contrat de travail mais un acte d’engagement. Le Cese préconise la création d’un contrat de travail spécifique permettant l’acquisition des droits à l’assurance chômage et à la retraite ou de droits à la formation. Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a déclaré être « très favorable » à cette proposition.

Depuis la loi « pénitentiaire » de 2009, l’insertion par l’activité économique (IAE) a été étendue aux personnes détenues. « Mais il a fallu attendre dix ans pour que les décrets d’application ouvrent effectivement la possibilité aux personnes détenues d’accéder aux dispositifs de l’IAE au sein de la prison », rappelle l’avis. Depuis 2017, le déploiement de sept structures de l’IAE (SIAE), entreprises d’insertion, ateliers et chantiers d’insertion, est expérimenté dans des établissements pénitentiaires après conventionnement avec l’Etat. Ces structures proposent un parcours d’insertion aux détenus en associant accompagnement social et professionnel et mise en situation de travail. Le Cese appelle de ses vœux le développement de l’IAE en prison « en levant les freins persistants et en conventionnant les projets sur une base identique à celle des ateliers et chantiers d’insertion (60 % de l’aide aux postes) ».

Maintien du logement pour les courtes peines

De la cellule à la rue… En 2017, 28,2 % des personnes sortant de prison ne disposaient d’aucun hébergement. Le Cese préconise de favoriser le maintien au logement pour les courtes peines. Le plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme (2019-2022) a, parmi ses objectifs, d’étudier les modalités de maintien dans le logement des personnes soumises à une courte peine.

Autres propositions pour améliorer l’accès à l’hébergement : mettre en place un référent « personnes sous main de justice » dans chaque service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) et de développer le nombre de places de transition de façon à pallier la problématique des dates de sortie de détention. « Le besoin de logement est le plus souvent couplé d’un impératif d’accompagnement individuel global : si l’accès à une solution d’hébergement est indispensable en sortie de détention, il est aussi un préalable à toute démarche de soins et d’insertion. Le passage par des structures d’accueil peut être nécessaire pour retrouver de l’autonomie après l’exécution de la peine », ajoute l’avis.

Renforcer les effectifs de CPIP

Le Cese préconise enfin de renforcer les moyens accordés aux politiques publiques de réinsertion jugeant les effectifs des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (Cpip) « très insuffisants au regard de la population carcérale en augmentation et du temps qu’implique la réalisation du suivi des personnes condamnées, qu’elles soient en détention ou en milieu ouvert dans le cadre d’une alternative ou d’un aménagement de peine ». De plus, les Cpip sont trop peu nombreux, voire inexistants. Alors que le Conseil de l’Europe recommande qu’un agent de probation suive au maximum 60 personnes, en France de nombreux conseillers prennent en charge plus de 100 personnes, parfois jusqu’à 130, « ce qui ne permet absolument pas de mettre en place un suivi personnalisé ». Les 1 300 créations de postes prévues en 2019 au sein de l’administration pénitentiaire ne suffiront pas : seuls 400 emplois sont prévus pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). « La loi de programmation et de réforme de la justice prévoit le recrutement de 1 500 personnes supplémentaires dans les Spip. Nous avons commencé le recrutement de ce personnel et il y aura 900 personnes recrutées à la fin 2020 », a assuré la ministre de la Justice.

« La question de la détention, de l’accès aux droits sociaux des personnes détenues et de leur réinsertion n’a pas, dans le débat public, la place qu’elle devrait », juge Antoine Dulin. Le Cese se fixe pour objectif de sensibiliser la population aux enjeux de la réinsertion, pour changer les mentalités et dépasser les idées reçues. « L’opinion publique se durcit. En 2000, 72 % des Français pensaient que la prison devait avant tout préparer à la réinsertion. En 2018, ils n’étaient plus que 45 % », reconnaît Antoine Dulin. « Davantage que la prison, c’est la réduction de la récidive qui protège la société : cela passe à la fois par un travail sur le passage à l’acte et sur la réinsertion. On oublie trop souvent que les gens qui entrent en prison en sortent », conclut le rapporteur.

Récidives après une « sortie sèche »

Au 1er octobre 2019, on dénombrait 70 818 personnes détenues pour 61 005 places opérationnelles. « La moyenne des peines en détention est de huit mois. La majorité des peines sont donc de courte durée. Plus de 67 % des personnes en prison exécutent des peines de moins de deux ans », précise Antoine Dulin, rapporteur de l’avis du Cese. Le recours important à la détention n’a pas d’effet positif sur la récidive : en 2017, 61 % des hommes condamnés à une peine d’emprisonnement ferme ont récidivé et ont été réincarcérés dans les cinq ans. « Le taux de récidive semble corrélé aux conditions de sortie des personnes détenues et aux types de peines prononcées », indique le Cese. On note 63 % de récidive pour les personnes libérées en « sortie sèche » contre 39 % pour celles en liberté conditionnelle et 34 % après une peine de travaux d’intérêt général.

Notes

(1) « La réinsertion des détenus : l’affaire de tous ! » – Rapporteur Antoine Dulin, vice-président du Cese – Avis adopté en séance plénière avec 150 voix pour, 1 voix contre et 2 abstentions.

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