« Ouvrir tout les possibles du droit commun et ouvrir tous les possibles du droit spécifique médico-social quand c’est nécessaire ». C’est ainsi que Brigitte Bernex, directrice de projet « Serafin-PH » à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), a résumé, le 14 novembre, la philosophie de cette réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux du champ du handicap lors d’une journée d’échanges organisée par Médialis à Paris.
Ce même jour, lors du comité stratégique Serafin-PH présidé par Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, les équipes Serafin-PH (CNSA-DGCS) ont présenté les différents modèles de financement envisagés pour la réforme de la tarification. Trois scénarios possibles étaient sur la table : une solvabilisation directe de la personne ; un financement à l’établissement ou au service à partir des caractéristiques de la personne et de l’ESMS, appréciées au moment de l’évaluation ; ou enfin un modèle mixte alliant un financement de la personne et un financement de l’ESMS. Pour rappel, l’objectif du projet Serafin-PH est de fonder le financement des ESMS sur des éléments objectifs : le lien entre les besoins des personnes qui sont accueillies et les réponses qui leur sont apportées.
S’il correspond a priori et sur le papier au développement de la logique de parcours et au renforcement de l’autodétermination des personnes en situation de handicap, le modèle fondé sur un financement alloué à la personne a été rejeté par les fédérations du secteur. Les craintes étaient nombreuses : marchandisation du secteur, freins à l’accès aux droits selon les territoires, restes à charge élevés pour les personnes… Sophie Cluzel a exclu, elle aussi, cette option, considérant que « le risque d’isolement des personnes les plus fragiles serait accru, du fait d’une probable concentration de l’offre sur les demandes les plus courantes ou les moins coûteuses » et voulant écarter le risque d’une « dérégulation et désorganisation de l’offre actuelle par le jeu libre du marché ».
Parmi les trois combinaisons possibles, la secrétaire d’Etat a donc choisi « le modèle tarifaire hybride, à 360 degrés, structuré à partir des choix de vie des personnes », qui sera déployé en 2021. Concrètement, la rénovation de l’allocation de ressources doit reposer, pour les ESMS, sur un budget socle et une part variable. « Le budget serait construit avec une part socle, fixe sur la durée du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) et déterminée pour chaque ESMS selon ses propres caractéristiques (à partir d’un recueil de données, par exemple la file active, le plateau technique spécialisé, les prestations d’hébergement, la fourniture de repas ou le nombre de journées d’ouverture…) », explique le groupe de travail Serafin-PH dans son rapport. A ce socle s’ajouterait une part variable calculée à partir de référentiels tarifaires réglementés fondés sur les caractéristiques et sur les besoins des personnes accompagnées. Cette allocation pourrait être ajustée à un rythme plus fréquent que la durée du CPOM afin de l’adapter à l’évolution des caractéristiques et des besoins des personnes (par exemple, tous les ans ou à mi-CPOM). « Ce scénario consiste à objectiver le financement alloué à un ESMS sur la base de données relatives à la personne, d’une part, et relatives à l’ESMS, d’autre part », souligne le groupe de travail dans son rapport.
En 2020, l’équipe projet Serafin-PH devra préciser le « cœur du scénario tarifaire », en travaillant notamment ce qui doit constituer le socle du budget de l’ESMS et la part variable (périmètre des prestations, modalités de financement…). Pour ce faire, elle s’appuiera sur le recueil et l’analyse des coûts des études nationales 2018 et 2019.
Ce modèle tarifaire qui a eu les faveurs de la secrétaire d’Etat est qualifié d’« hybride » car il s’appuie également sur l’expérimentation de l’allocation d’un droit personnalisé à prestations, appelé également « droit de tirage individuel ». « Les fédérations et parties prenantes représentées au comité stratégique ont majoritairement exprimé un intérêt à évaluer la faisabilité d’associer dans le modèle tarifaire la possibilité pour les personnes de se voir attribuer un droit personnalisé à financement », précise Sophie Cluzel dans un communiqué. Cette option permettrait ainsi aux personnes évoluant en milieu ordinaire de recourir « ponctuellement ou partiellement aux prestations d’un plateau technique médico-social ».
Reste à présent à définir le périmètre et la nature des prestations visées par ce droit de tirage individuel, et à identifier la source de financement. « Si les conditions de faisabilité doivent encore faire l’objet d’un approfondissement, les participants au comité stratégique ont reconnu l’intérêt pour un grand nombre de personnes d’en disposer, afin de renforcer le pouvoir d’agir de chacun. » Une étude d’opportunité sur un droit personnalisé pour certaines prestations sera lancée afin d’évaluer et de coconstruire avec les personnes, les associations, les agences régionales de santé et les départements les conditions de son organisation et de financement. Elle sera examinée lors du comité stratégique en juillet 2020. A cette date, les éléments de cadrage définitif du nouveau modèle tarifaire seront définis pour une mise en œuvre de ce scénario afin d’en anticiper les incidences dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
La secrétaire d’Etat voit dans ce choix d’un modèle « Financement à 360 degrés » la possibilité de valoriser pour les ESMS « les missions de coopération, la fonction d’appui au droit commun, de coordination des parcours complexes, et le niveau de compétences et d’expertises rassemblées au sein du plateau technique ». La réforme du modèle tarifaire devant accompagner la transformation de l’offre médico-sociale, la secrétaire d’Etat considère également que ce modèle retenu comportera « des leviers incitatifs » à la transformation ou à la participation des établissements à la création de plateformes de parcours et services. L’objectif des plateformes est d’apporter en coopération avec tous les partenaires du territoire des solutions diversifiées, souples, évolutives et personnalisées. « La plus-value pour l’usager (et sa famille) des outils de type plateforme de services ou de dispositifs peut être réelle, mais suppose une ingénierie de projet et une articulation poussée entre les acteurs du territoire qui nécessitera du temps dans la mise en œuvre si on veut qu’elle ne se fasse pas au détriment de l’usager », estime le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso), dans un communiqué en date du 7 novembre.
Le sujet de l’évaluation des besoins, qui fonde l’objectivation des financements dans le cadre de la réforme, questionne. « Ces sujets imbriqués posent la question de l’articulation, lors du déploiement du nouveau modèle de financement, entre les missions des MDPH (évaluation initiale et suivi), des opérateurs de prestations, dont les ESMS (prise en compte des évolutions et adaptation des réponses), et des autorités de tarification et de contrôle (contrôle a priori et/ou a posteriori, qualitatif et/ou budgétaire) », relève le groupe de travail. Et d’expliquer que les agences régionales de santé et les conseils départementaux craignent « la charge de travail supplémentaire induite ». De fait, certains proposent que les ESMS puissent effectuer ce recueil avec, par exemple, un contrôle des autorités de tarification et de contrôle par la mise en place d’un système de « coupe », à l’instar des « coupes Pathos » dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Néanmoins, la majorité des tarificateurs jugent nécessaire de maintenir le rôle des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), « tout en questionnant le niveau des moyens qui leur sont alloués ».
Dans sa contribution, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) insiste sur la nécessité de « la définition d’un outil d’évaluation des besoins, adapté, simple et coconstruit, qui évalue non seulement les besoins des personnes mais aussi leurs intensités ». Et l’union d’avertir : « Les modalités de réalisation de l’évaluation devront être précisées, pertinentes et régulièrement interrogées. Faute de quoi, l’objectif de rupture avec la logique des “coûts historiques” déconnectés des besoins réels, posé comme attendu de la réforme, se verrait contrarié. Le choix de l’évaluateur et des modalités de contrôle de l’évaluation auront également toute leur importance dans le parcours et l’orientation des personnes. »
Dans son rapport, le groupe de travail Serafin-PH a identifié un certain nombre de prérequis pour la réussite de la mise en œuvre de cette réforme de la tarification : la révision de l’articulation entre les crédits de l’assurance maladie et les crédits départementaux ; la clarification réglementaire de certains postes de financement ; la conduite de projets d’outillage de la décision et du pilotage. Par ailleurs, le développement d’un système d’information urbanisé semble incontournable pour les ESMS. « La construction de réponses modulaires, personnalisées et inclusives, facilitant un parcours de vie plus fluide des personnes accompagnées, impose que les systèmes d’information répondent techniquement à l’ambition de décloisonnement du secteur médico-social avec les secteurs social et sanitaire et avec les acteurs de droit commun. Le déploiement réussi d’un nouveau modèle de financement dépendra de l’existence préalable de systèmes d’information adaptés pour permettre une tarification fondée sur un recueil régulier de données prédéfinies, rendant ainsi possible une adaptation de la tarification aux données recueillies (et donc aux caractéristiques des personnes et/ou des ESMS). »
Sur les 11 250 ESMS concernés par la réforme Serafin-PH, qui représentent 489 200 places installées, 34 % sont à compétence exclusive ou conjointe des conseils départementaux. En termes financiers, les crédits de l’assurance maladie pour les ESMS à compétence exclusive et conjointe des agences régionales de santé représentent 10,8 milliards d’euros en 2018. Les crédits versés par les conseils départementaux sous leur compétence exclusive et conjointe représentent 5,2 milliards d’euros. Au total, la réforme porte donc sur environ 16 milliards d’euros.