L’allocation aux adultes handicapés (AAH) est une prestation qui date de 1975. Son objectif : assurer un minimum de ressources aux personnes en situation de handicap qui ne disposent pas de revenus d’activité. Si l’AAH réservée aux handicaps les plus lourds – incapacité supérieure à 80 % – ne connaît qu’une croissance limitée, celle destinée aux personnes dont l’incapacité est évaluée entre 50 % et 80 % croît fortement : + 7 % par an depuis 2008. En dix ans, le nombre d’allocataires de cette AAH-2 a été multiplié par deux. Fatalement, cela a eu des conséquences sur le budget de l’Etat : 10,3 milliards d’euros de financement en 2019, soit 35 % des dépenses pour les minima sociaux. Dans un rapport publié lundi 25 novembre, la Cour des comptes dresse pour la première fois un tableau d’ensemble de cette allocation.
La première chose qui marque dans ce rapport est l’inégale répartition entre les départements. En 2017, la moyenne nationale était de 2,3 allocataires pour 100 habitants âgés de 20 ans ou plus. « Les départements d’Ile-de-France se caractérisent par une faible fréquence (1,7 % en moyenne, allant de 1,3 % dans les Yvelines à 2,2 % en Seine-Saint-Denis), de même que les départements de l’ancienne région Rhône-Alpes (1,2 % en Haute-Savoie, 1,5 % dans l’Ain, 1,8 % en Isère), les départements d’Alsace et ceux des Pays de la Loire », note la cour. A l’inverse, les départements ayant le plus d’allocataires se trouvent principalement au centre et au sud-ouest de la France. La Lozère (4,6 %), la Nièvre (3,8 %) et les Hautes-Pyrénées (3,6 %) forment le trio de tête. Pour la cour, deux choses expliquent ces différences : les paramètres socio-démographiques, bien sûr, mais aussi les divergences des pratiques locales.
L’instruction des demandes d’AAH est assurée par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Comme le relève la Cour des comptes, ces MDPH font face à une augmentation régulière des demandes. En 2017, elles ont reçu en tout 4,5 millions de demandes formulées par 1,73 million de personnes. « Le circuit de décision est confronté au traitement de masse », constate la cour. Les MDPH subissent des fortes pressions pour respecter le délai de réponse de quatre mois, qui figure implicitement à l’article R. 241-33 du code de l’action sociale et des familles. Cet article prévoit en effet que le silence gardé pendant plus de quatre mois vaut décision de rejet. Pour y pallier, les MDPH ont mis en place des processus que la Cour qualifie d’« industriels ». Le temps d’examen des dossiers est alarmant : entre 5 et 20 minutes. Les éléments déclaratifs ne sont que rarement vérifiés, faute de temps.
La Cour des comptes voit dans ce manque de temps, « une zone de risque concernant la lutte contre la fraude ». Elle recommande notamment d’instituer une contre-visite médicale obligatoire avant toute première attribution. Selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), cela coûterait entre 9 et 16 millions d’euros par an.
Le rôle de l’Etat financeur est marginalisé, selon la Cour des comptes, qui « a vu sa place effective se réduire d’année en année » et qui ne peut remplir son rôle de pilote pour homogénéiser les pratiques des MDPH à travers le pays. A l’inverse, les associations représentant les personnes en situation de handicap prennent de plus en plus de place dans l’organisation, comme prévu par la loi de 2005 qui souhaitait une participation accrue des personnes handicapées aux décisions qui les concernent. Mais pour la Cour des comptes, cela met en difficulté l’Etat et ses services pour engager les réformes ou les ajustements identifiés comme nécessaires.
En 2011, la direction générale de la cohésion sociale avait pourtant engagé un projet d’amélioration du pilotage avec huit départements. L’initiative s’est terminée en peau de chagrin, au point que la Cour des comptes juge « illusoire » la mise en place d’un pilotage de l’AAH par l’intermédiaire des représentants locaux de l’Etat. La cour a une proposition drastique à ce sujet : donner la majorité des voix à l’Etat en commission départementale pour les décisions relatives à l’AAH.