« Le sort fait aux enfants de France est plutôt enviable. Beaucoup a été entrepris avant et après la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) adoptée le 20 novembre 1989 par l’ONU. A quelques détails près notre droit a été mis à niveau. Régulièrement le comité des droits de l’enfant nous délivre des “Bien, mais peut mieux faire !”, car il demeure un écart conséquent entre les droits affichés et ce que vivent réellement trop d’enfants. Les initiatives récentes partent dans tous les sens. On reste sur un sentiment d’inachevé et d’incantations plus que d’améliorations concrètes. La tentation serait de jeter le bébé et l’eau du bain. Ce serait une erreur.
Il faut déjà identifier les avancées et de pointer les limites d’une démarche qui ne sera jamais achevée, mais exige d’être menée le plus loin possible.
Ainsi, la scolarisation obligatoire à l’âge de 3 ans et le dédoublement des classes en primaire pour acquérir les savoirs fondamentaux constituent des avancées indéniables comme les mesures adoptées afin de faciliter l’accès à l’école normale d’enfants porteurs de handicap même si on est loin du but et si l’intendance doit suivre.
C’est sûrement une bonne intention que “cibler” les enfants comme bénéficiaires du plan de lutte contre la grande pauvreté, même si beaucoup doutent de l’efficacité de la démarche. On saluera la perspective de voir les caisses d’allocations familiales (CAF) garantir en tous cas le paiement les pensions alimentaires dues pour des enfants.
En juillet dernier, le législateur a enfin condamné le recours à la “violence éducative ordinaire”. Reste à faire la promotion de l’éducation sans violence. Encore trop d’enfants sont maltraités et ceux qui disposent d’informations préoccupantes ne savent toujours pas quoi en faire.
On appréciera la mission confiée à Boris Cyrulnik sur “les 1 000 premiers jours de la vie” avec le souci de développer le congé parental et le programme pour démultiplier le nombre de places en accueil collectif… qui rappelle des engagements déjà pris plusieurs fois depuis 1981.
Poser demain comme présomption qu’un enfant de moins de 13 ans n’a pas le discernement pour distinguer le permis de l’interdit, donc ne peut pas être qualifié de “délinquant”, est une avancée, mais il ne s’agit que d’une présomption simple ! L’hypocrisie rappelle le raté de 2018 de la loi “Schiappa” envers les violences sexuelles à enfants.
On approuvera le refus d’étatiser la prise en charge des mineurs étrangers non accompagnés (Mena). Comment justifier devant la communauté internationale une discrimination entre enfants venus d’ailleurs et enfants nés en France ? Mais l’effort financier de l’Etat est toujours loin d’être à la hauteur.
La plupart des préconisations de la stratégie pour l’enfance, enfin présentée le 14 octobre, sont partageables. Par-delà l’éventuelle mise à l’abri, on veut offrir un parcours cohérent aux enfants et s’interdire des “sorties sèches”, notamment à la majorité, à ceux qui ont été hébergés, mais l’erreur fut majeure de mélanger les deux dossiers “jeunes majeurs” et “Mena”. Et l’aide sociale à l’enfance (ASE) demeure vécue comme une réserve d’enfants adoptables et on pense que les 15 000 candidats à l’adoption pourront adopter les 2 600 pupilles de l’Etat généralement âgés, porteurs de handicap et à particularité de l’ASE.
La nouvelle loi “bioéthique consacre le droit de l’enfant né de procréation avec donneur d’accéder à la connaissance de ses origines, mais il ne pourra pas faire établir sa filiation, au risque de contentieux inéluctables. Reste qu’au nom du droit des femmes, le législateur cautionne le fait de concevoir un enfant en le privant d’une partie de sa filiation biologique quand il n’a eu de cesse en trois décennies de consacrer la coresponsabilité parentale afin d’amener les géniteurs à exercer leurs responsabilités ! La filiation d’intention est reconnue pour l’enfant à venir et non plus seulement, via l’adoption, pour l’enfant déjà présent. Une dizaine de milliers d’adultes souhaitent être parents quand rien n’est fait pour clarifier les responsabilités sur les 2 millions d’enfants élevés des familles reconstituées.
Quand il aurait fallu une commission parlementaire sur les violences commises dans toutes les institutions publiques ou privées accueillant des enfants, on conduit l’Eglise de France, avec toutes les difficultés pour convaincre de sa bonne foi, à mandater une commission autonome sur ce qui a pu se passer en son sein durant des décennies pour les enfants violentés par des prêtres.
On en retiendra quatre vrais points noirs :
• l’augmentation conséquente du nombre de mineurs incarcérés et l’allongement de la durée de séjour quand la délinquance juvénile baisse en nombre et en proportion. Les alternatives à l’incarcération se sont restreintes !
• nul ne parle des enfants roms qui, à quelques encablures de nous, ont un mode de vie que peu envient, sans la moindre perspective d’y échapper. Des invisibles. Roms avant d’être enfants ;
• les enfants ultramarins suscitent enfin un intérêt explicite quand des programmes spécifiques devraient être développés sur la durée. Ultramarins avec d’être enfants. ;
• et ces enfants français, souvent en bas âge, nés en France ou sur les terres du djihad de leurs parents, encore bloqués dans des camps de fortune pour réfugiés ? La France leur doit sa protection. On rapatriera peut-être leurs dépouilles. Terroristes en herbe avant d’être des enfants.
Par-delà le doute sur le fait que les moyens humains et financiers ne soient jamais réunis pour tenir les objectifs affichés – on manque d’un budget public consolidé au regard du PIB pour porter un juste regard sur l’effort déjà développé – se posent des questions plus structurelles.
D’abord le sentiment d’incohérence faute de réflexion globale. On paie ici la petite qualité de nos campagnes électorales : une politique ne s’improvise pas dans l’action ; elle se prépare et se réfléchit. L’enfance n’est toujours pas un objectif politique explicite. On a bien nommé en catastrophe un secrétaire d’Etat, mais à défaut d’être explicitement en charge de l’enfance, il ne peut pas se détacher du dispositif de protection de l’enfance quand il eut fallu animer une stratégie globale sur les responsabilités parentales et les statuts des enfants.
La question de la gouvernance nationale et territoriale du dispositif de protection de l’enfance est reposée pour revenir sur la décentralisation de 1982-1984. On créerait une agence, lieu de réflexion et de définition d’objectifs, mais disposant de moyens pour les dérouler. Reste, comme en 1982, à définir des minima pour tous les enfants et cette fois à se donner les moyens de les garantir.
Surtout, pour être entendu dans sa fonction d’arbitre et d’aiguillon, l’Etat doit redevenir crédible en exerçant ses propres missions. Ainsi, quand tous les services de proximité offerts aux familles sont au rouge, l’Etat incite les élus locaux à renforcer leurs efforts sur la protection maternelle et infantile (PMI) ou sur la prévention spécialisée, mais cela suppose que sur ses compétences légales (service social scolaire, service de santé scolaire, psychiatrie infantile, prise en charge des enfants handicapés) lui-même ne soit plus défaillant. Or il n’en prend pas cette voie. Exemple : il ne fait rien pour garantir, et à très bref délai, la prise en charge des mineurs sur mandat judiciaire. Conscient de n’en avoir jamais les moyens, la disposition qui prévoyait l’intervention de la protection judiciaire de la jeunesse dans les cinq jours disparaît du nouveau code.
Il s’agit aussi de mobiliser des moyens financiers nouveaux significatifs : que pèsent les 80 millions d’euros pour la stratégie pour la prévention et la protection de l’enfance face aux 8 milliards pour l’ASE et aux 800 millions pour la PMI des conseils départementaux ?
Seule une crédibilité retrouvée lui permettrait d’aborder sûrement et sereinement les dossiers délicats comme la prise en charge des Mena, le statut des plus de 18 ans quand le seuil de 21 ans n’a plus de sens, la place du secteur associatif, l’avenir de l’action sociale professionnalisée et du service public de protection de l’enfance, la prévention et le renforcement des compétences familiales…
Reste encore à aborder sans contresens le débat avec l’opinion.
Ainsi, avant de songer à “fabriquer des enfants”, ne convient-il pas de montrer qu’on se préoccupe du sort fait aux enfants ici et présent ?
L’accès aux droits est une question centrale. Il faut réduire les trous de la raquette sociale. Des dispositifs ne sont pas vraiment mobilisés (secours d’urgence de l’ASE, soutien juridique et financier des caisses d’allocations familiales…) ; d’autres sont paralysés (tel le service social scolaire). L’Etat condamne trop de familles à se débrouiller seules quand au XIXe siècle le patronat privé était somme toute social en offrant des prestations aux travailleurs.
Les pouvoirs publics doivent encore démontrer qu’ils sont porteurs du “cœur de réacteur” de la Convention internationale des droits de l’enfant, à savoir que l’enfant est une personne. Il faut s’attacher à la liberté de conscience, de parole et d’association. On mesure le chemin à parcourir quand on voit les postures souvent adoptées du fait de son jeune âge face aux interpellations de Gretha Tunberg.
Si on a le souci de l’accès concret des enfants à leurs droits on ne peut pas se contenter de l’affichage public du 20 novembre 2019. »
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