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“La bibliothèque n’est pas une cathédrale”

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Françoise Sarnowski accompagne le développement de la démarche « Facile à lire », un outil d’inclusion qui vise les adultes en situation d’illettrisme ou de handicap, éloignés de la lecture. Objectif : ouvrir les bibliothèques au plus grand nombre.

Environ 18 % de la population française fréquente une bibliothèque. C’est très peu, surtout en comparaison des pays nordiques, où ce pourcentage atteint 80 %. Françoise Sarnowski se bat depuis des années pour inverser la tendance et inciter tous les publics à pousser la porte de ces lieux de culture et de rencontre. Cette Bretonne de 58 ans a d’abord travaillé durant vingt-neuf ans dans des bibliothèques en région parisienne puis autour de Rennes, avant de créer Bibliopass, un cabinet de formation et de conseil en accessibilité. Son envie de travailler sur les problématiques liées à l’illettrisme, à l’exclusion et au handicap s’est concrétisée au début des années 2000. Elle est alors recrutée à Saint-Jacques-de-la-Lande, près de Rennes, à l’occasion de l’ouverture de la médiathèque. « J’ai rapidement compris que le multimédia allait permettre à de nombreuses personnes d’accéder plus facilement à la lecture », raconte Françoise Sarnowski. Elle développe un service en direction des personnes malvoyantes, propose des livres sonores, organise des séances d’initiation et de perfectionnement à l’utilisation de logiciels adaptés. En 2008, elle intègre la grande bibliothèque des Champs Libres, à Rennes, où elle crée le service « accessibilité ». Trois agents sont chargés de chercher des solutions pour les personnes âgées, en situation de handicap ou d’exclusion sociale. La médiathèque se dote d’un pôle « Borges » pour les malvoyants, d’un poste pour l’accessibilité physique, de logiciels pour la dyslexie et d’un fonds culturel pour les personnes sourdes.

Dans le champ social, Françoise Sarnowski travaille en collaboration avec l’association ATD quart monde. Elle met en place des ressources d’autoformation (pour le soutien scolaire ou l’accompagnement au passage du permis de conduire, par exemple). En 2011, la bibliothécaire engagée décide de donner un nouvel élan à sa carrière en quittant la fonction publique. Elle crée son entreprise Bibliopass et se déplace à travers toute la France pour former le personnel des bibliothèques à la question de l’accessibilité. Une de ses collègues lui fait découvrir le concept des « Easy-to-Read Square », qui fonctionne très bien dans les pays scandinaves depuis une vingtaine d’années. Ces espaces colorés et attractifs permettent de présenter une sélection de livres accessibles aux publics éloignés de la lecture. Avec l’établissement public Livre et lecture en Bretagne, ils décident alors de décliner le modèle en France, en créant fin 2013 des espaces « Facile à lire ». On y trouve des livres courts, le plus souvent présentés de face pour ne pas rebuter. Des ouvrages avec pas ou peu de textes, de la fiction et des documentaires, des récits faciles à écouter sur CD, en numérique sur tablettes ou téléphones… Bref, une sélection de « livres simples mais pas simplistes », comme aime à le répéter Françoise.

Un projet devenu national

Dans un premier temps, le projet ne reçoit pas l’enthousiasme escompté : « Au début, on m’a dit que ça ne marcherait pas, que ce n’était pas dans notre culture. » Puis l’actualité politique finit par lui donner un coup de pouce. En septembre 2014, le ministre de l’Economie de l’époque, Emmanuel Macron, provoque un tollé en qualifiant d’illettrés les salariés licenciés par l’abattoir Gad, à Lampaul-Guimiliau (Finistère). Dans le cadre du volet culturel du « Pacte avenir pour la Bretagne », la direction régionale des affaires culturelles (Drac) décide alors de financer l’expérimentation des espaces « Facile à lire ». Le dispositif s’implante d’abord dans cinq bibliothèques finistériennes. Cinq ans plus tard, une soixantaine ont rejoint la démarche en Bretagne. Depuis cette année, « Facile à lire » se déploie même un peu partout en France car le ministère de la Culture s’est emparé du concept, en lien avec l’Association des bibliothécaires de France (ABF), l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (Anlci) et la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill). Il sort aussi des bibliothèques pour aller directement à la rencontre des publics visés, hors les murs, dans des maisons pour tous, des épiceries sociales, des hôpitaux, des prisons, et même dans une salle d’attente de kiné…

Échange et convivialité

Pour poursuivre la dynamique enclenchée, un prix « Facile à lire Bretagne » a été créé en 2017, invitant les publics des bibliothèques à voter pour leur livre favori parmi une sélection d’ouvrages. L’objectif est de créer un événement autour des espaces et des collections dédiées. De (re)donner envie de lire par l’échange et la convivialité, en associant les habitants, les auteurs et les partenaires comme les centres communaux d’action sociale, les établissements médico-sociaux, les associations de sourds, de dyslexiques… « Cela encourage les bibliothèques à proposer des médiations. Elles savent généralement le faire avec les enfants mais beaucoup moins avec les adultes car ça peut être vécu comme intrusif. Sans compter la peur d’affronter l’autre avec ses différences », remarque Françoise Sarnowski. Malgré l’apparent succès des espaces « Facile à lire », la formatrice reste prudente. « Il ne faudrait pas que cela devienne un outil à la mode. Il faut qu’il y ait un vrai projet derrière, une volonté de l’équipe de s’en servir », remarque-t-elle. Certains professionnels restent, en effet, sceptiques quant au bien-fondé de la démarche : « On me dit parfois que ce type d’espace est discriminant, alors que ce n’est pas du tout vécu ainsi par les gens. Ces personnes sont déjà traitées de manière inégalitaire à l’extérieur. Le fait qu’il n’y ait pas de collection pour elles, ça c’est discriminant. » Et cela amène les bibliothécaires à proposer des réponses totalement inadaptées, en conseillant par exemple à des adultes débutants d’aller se fournir au rayon jeunesse.

Avec « Facile à lire », les professionnels doivent réinterroger leurs pratiques, ce qui n’est pas toujours aisé. En effet, les bibliothèques françaises sont encore marquées par une vision élitiste de la littérature et de la culture. Durant leur formation, ils ont appris à constituer une collection de qualité. « On ne leur a pas enseigné que la bibliothèque était avant tout un lieu social, où l’on doit pouvoir parler. Parfois, c’est le seul endroit chauffé et gratuit de la commune », observe Françoise Sarnowski. Bien loin de l’image de temple sacré ou de cathédrale intimidante qui lui colle encore à la peau. Les mentalités doivent évoluer et, pour cela, il faut aussi que l’édition française fasse sa part du travail en proposant des collections adaptées. « On a un mal fou à trouver des livres pour adultes débutants alors qu’en Suède, notamment, il y a une maison d’édition entièrement dédiée à ça », déplore la cinquantenaire, qui poursuit sans relâche sa mission de prosélytisme. Lorsque certains lui témoignent leur bonheur d’avoir retrouvé le chemin de la lecture, elle sait qu’elle est sur la bonne voie.

Bibliothécaire indépendante,

Françoise Sarnowski est aussi formatrice en accessibilité et présidente de l’association Les Chemins de lecture, qui fait des médiations de lectures adaptées pour des publics en situation d’illettrisme, de handicap, ou pour des personnes âgées.

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