Il paraît que j’ai des droits. Il paraît que tous les enfants en ont. C’est un truc universel. Parce que partout dans le monde, il y a des enfants. C’est pas compliqué à comprendre ça.
On m’avait dit « te pose pas trop de questions ». Mais à l’école, ils nous ont fait étudier le texte des droits de l’enfant. Trente-deux pages, ça rigole pas hein ! Trente-deux pages de droits, de devoirs, d’obligations… de promesses. Moi, Florestan, je les ai lues attentivement ces trente-deux pages. J’ai même surligné certains passages avec mon fluo. Dans mon cahier, j’ai noté quelques mots : santé, famille, protection, violence, négligence, intérêt supérieur… J’y ai cru. Et puis, j’ai regardé la date. Le texte a 30 ans. J’ai réfléchi. Ma mère a 28 ans. Quand elle est née, elle aussi avait des droits. Les mêmes droits que moi, qu’Amélie, Noé et Maëla. Les mêmes droits que mon père aussi. Avec les mêmes articles, les mêmes mots. Peut-être qu’elle aussi a lu ce texte quand elle était petite. Peut-être même qu’elle a recopié des mots qu’elle trouvait jolis. Peut-être que, comme moi, elle y a cru. Pourtant, je suis pas sûr que ça ait bien marché pour elle, cette histoire de droits…
Du coup, je me demande s’il n’y aurait pas des degrés dans les droits. Des nuances. Des restrictions. Peut-être que les droits sont universels mais que les devoirs ne le sont pas ? Peut-être que les gens qui ont écrit ce texte ont naïvement pensé que du coup tout le monde allait le respecter ? Un peu comme le règlement de l’école ? Ou un peu comme la maîtresse quand elle nous donne des devoirs à faire à la maison ?
En tout cas, ça marche pas à tous les coups leur truc. J’espère qu’ils s’en rendent compte.
Pour ma copine Amélie, par exemple, c’est pas trop ça. Parce que le texte dit que tous les enfants ont accès à l’éducation. Tous les enfants, donc ceux qui sont handicapés aussi. Nulle part y a écrit « tous, sauf Amélie, parce qu’elle a pas d’AVS ». Qui a le droit…
Pour Noé, c’est moyen aussi. Parce que parfois, quand il arrive à l’école, on voit bien qu’il a des bleus. Il dit que c’est la porte… ou l’escalier… Il dit toujours un truc différent. Mais je sais bien, moi, que c’est pas vrai. Parce que c’est mon voisin. Et parce que souvent, le soir, je vois son père rentrer. Et juste après, j’entends la porte claquer. Et juste après, j’entends des coups et des cris. Alors la porte et les escaliers, ils ont bon dos hein ! De toute façon, Noé habite au rez-de-chaussée. Qui a le droit…
Et puis il y a Maëla aussi. Maëla, elle est toute douce, toute gentille, toute timide. C’est ma copine. Je veux dire, c’est ma copine en vrai. Plus tard on se mariera. Mais seulement si son père est d’accord. Parce que son père, il veut pas que sa fille aille avec n’importe qui. Il dit que les garçons sont méchants. Qu’ils vont vouloir lui faire des trucs. Du coup, pour la protéger, il la serre fort dans ses bras, le soir, quand sa maman dort. Et puis il fait d’autres trucs aussi. Mais Maëla n’a pas le droit d’en parler. C’est leur petit secret. Moi je suis pas très sûr que les parents aient le droit de faire des trucs secrets à leurs enfants. Mais peut-être que j’ai pas bien lu le texte. Je sais pas. Qui a le droit d’faire ça…
C’est bien joli de dire aux enfants qu’ils ont des droits… Mais quelqu’un a-t-il pensé à dire aux parents qu’ils avaient des devoirs ? Finalement, c’est encore une histoire pour des enfants à qui l’on ment…