« Sans les Esat (établissements et services d’aide par le travail), la grande majorité des personnes en situation de handicap qui y sont aujourd’hui accueillies seraient exposées au risque d’inactivité forcée ou de sous-emploi. » C’est le constat que font l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’inspection générale des finances (IGF) dans un rapport rendu public le 18 novembre(1), après saisine de plusieurs ministres en mars dernier. Le principal constat que font les inspections est que les Esat « permettent de donner une activité professionnelle à une population particulièrement exposée à l’inactivité et au chômage ». En 2018, le taux de chômage des personnes en situation de handicap était de 19 %, soit presque dix points de plus que pour la population totale. Ce public est également plus touché que la moyenne par le chômage de longue et de très longue durée.
D’après les témoignages recueillis par l’Igas et l’IGF au cours de leur mission et l’étude de la doctrine sur le sujet, les travailleurs en Esat vivent leur expérience comme inclusive. « L’Esat n’apparaissait pas vécu comme un lieu d’enfermement, indique le rapport, mais était systématiquement décrit comme un lieu d’inclusion à différents titres. » Le bénéfice majeur ressenti de l’entrée en établissement est la rupture de l’isolement des personnes en situation de handicap. Si plusieurs témoignages, dont celui du défenseur des droits, ont fait part de décisions prises sans concertation – notamment s’agissant de réductions de rémunérations –, l’encadrement est globalement salué par les travailleurs, dont les rythmes de travail sont adaptés, contrairement à ceux en milieu ordinaire.
Les travailleurs en situation de handicap sont tellement heureux en Esat que très peu d’entre eux souhaitent aller vers le milieu ordinaire : 5 % seulement, d’après l’enquête « Andicat » de mai 2019. Un chiffre lié à une représentation dégradée du milieu ordinaire. De nombreuses personnes craignent de ne pas tenir le rythme, mais surtout le regard des autres et d’un environnement manquant de bienveillance. Au-delà de ces aspects, les personnes craignent également de devoir quitter le foyer d’hébergement en cas de sortie de l’Esat. Pour l’Igas et l’IGF, ces craintes peuvent être corrigées en garantissant l’absence de perte de revenu en cas d’embauche dans le milieu ordinaire, par exemple en supprimant la limite de six mois de portabilité de l’allocation aux adultes handicapés pour un travailleur d’Esat sortant dans le milieu ordinaire. Il s’agirait aussi de permettre aux travailleurs d’Esat d’avoir plus de visibilité sur l’évolution de leur pouvoir d’achat en cas d’évolution de leur situation professionnelle.
Problème : même les volontaires « rencontrent des obstacles substantiels », note le rapport. Sans doute est-ce aussi lié à la réticence des employeurs « ordinaires », qui préfèrent sous-traiter en Esat qu’embaucher directement des travailleurs en situation de handicap. La première solution avancée par l’Igas et l’IGF est d’abord financière : les inspections proposent d’instituer un droit automatique à une aide à l’emploi des travailleurs handicapés majorée pour cinq ans pour toute recrutement d’un travailleur d’Esat. L’autre solution est de nature culturelle : une meilleure connaissance doit être développée du handicap en général et du handicap psychique en particulier – ce dernier concentrant toutes les inquiétudes des DRH du milieu ordinaire. Cela passerait par un renforcement du dispositif « Duo Day » : un acteur du milieu ordinaire accueille pour une journée une personne en situation de handicap, pendant qu’un salarié passe une journée en Esat.
L’Igas et l’IGF soulignent que la tarification actuelle des Esat est dépassée : fondée uniquement sur le nombre de places et le taux d’occupation, avec une modulation en fonction de la nature des handicaps, elle ignore complètement la nature, l’intensité et la qualité des prestations d’accompagnement des travailleurs. En outre, elle ne permet pas de prendre en compte les parcours non linéaires des personnes accueillies en Esat.
(1) Le rapport est consultable sur le site igas.gouv.fr.