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Il n’y a pas d’âge pour le sexe !

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En France, environ 730 000 personnes vivent en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), avec une moyenne d’âge de 85 ans. Leurs besoins sexuels sont souvent ignorés par le personnel soignant et rien n’est fait pour les favoriser. Pourtant, contrairement aux idées reçues, cette vie affective et sexuelle existe bel et bien. Entre tabou et réalité, analyse d’un sujet qui dérange.

Les temps changent. Les mœurs évoluent. Mais il est un tabou qui demeure : celui de la sexualité des personnes âgées. Dans l’imaginaire collectif, passé un certain âge, on ne fait plus l’amour. Et pourtant, la vie intime des seniors est une réalité à prendre en compte. Car, contrairement aux idées reçues, les personnes âgées ont des rapports sexuels. Ainsi, selon une récente enquête de Terre des seniors, les plus de 50 ans sont 45,6 % à être pleinement satisfaits de leur vie sexuelle et seulement 20,4 % à trouver que c’était mieux avant. Pour 64,8 % des répondants, le vieillissement du corps de leur conjoint n’a même rien changé à leur sexualité. Au niveau de la fréquence, 41,5 % des répondants affirment avoir des rapports moins d’une fois par semaine, 25,2 % une fois par semaine et 33,3 % font l’amour au minimum trois fois par semaine. Une sexualité ardente qu’il ne faudrait donc pas compromettre lors de l’entrée en Ehpad.

Or, si dans les textes, « il est interdit d’interdire », en pratique, la vie affective et sexuelle des personnes âgées est plus que contrainte. Concrètement, l’Ehpad en tant que lieu de résidence se doit de prendre en compte le bien-vieillir de la personne âgée en étant le garant de la protection de la vie privée et intime de ses résidents. Ce qui passe, entre autres, par leur accorder un droit à la sexualité. D’un point de vue juridique, de nombreux textes de loi mentionnent ce droit au respect de la vie privée. C’est le cas de l’article 9 du code civil conforté par l’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles qui reconnaît à la personne prise en charge dans les établissements ou services médico-sociaux le droit au « respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et [le] droit à aller et venir librement ». Enfin, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale installe la chambre du résident comme un lieu de vie privée, un domicile ou la personne est libre d’agir selon son bon vouloir et où l’on n’entre pas sans autorisation. Pour autant, qu’en est-il de la réalité de la sexualité des résidents en Ehpad ?

« Il est plus simple de faire comme si la sexualité en établissement n’existait pas »

« On ne sait pas trop quel est le pourcentage de résidents qui ont une vie sexuelle en établissement, renseigne Marick Fèvre, coordinatrice de l’ouvrage Amours de vieillesse (Ed. Presses de l’EHESP, 2014). Il n’y a pas d’étude de grande ampleur menée à ce sujet, entre autres parce que ceux qui financent les études en Ehpad considèrent que les questions de sexualité et d’intimité ne sont pas prioritaires. Cependant, je pense que la sexualité y est largement sous-estimée. Notamment parce que celle-ci n’est pas que coïtale chez les personnes âgées. Beaucoup de choses se jouent autour de la sexualité dans sa globalité, c’est-à-dire de la tendresse, de la séduction, des câlins… Mais tout cela n’est pas nécessairement visible. Les professionnels, eux, retiennent plutôt s’ils ont surpris des personnes âgées dans le même lit. Il est donc plus simple de faire comme si la sexualité en établissement n’existait pas. » S’il est difficile d’établir des statistiques précises sur le nombre de rapports sexuels entre résidents à l’année, une certitude cependant : rien n’est fait pour favoriser la vie sexuelle et affective des personnes âgées.

« Un des grands freins à la sexualité dans les établissements est que l’intimité n’est pas pensée, affirme ainsi Gérard Ribes, psychiatre et sexologue. L’établissement “appartient” au personnel alors qu’il faudrait penser différemment. Il faudrait que les personnels se disent qu’ils sont des travailleurs à domicile. La chambre du résident, c’est son domicile. Il faut se dire qu’il est interdit de franchir la porte sans y avoir été invité. Il faut respecter l’intimité des personnes âgées. Ce qu’elles font dans leur chambre, c’est leur problème. » Et celui qui est notamment l’auteur de Sexualité et vieillissement (Ed. Chronique sociale, 2009) d’ajouter, désabusé : « En moyenne, il y a entre 20 et 40 allées et venues par jour dans une chambre d’Ehpad. Il est donc difficile de se créer un espace d’intimité dans ces conditions. Il faut que les professionnels respectent au maximum cet espace. La pancarte “Ne pas déranger” fonctionne dans les hôtels, il faudrait la mettre à chaque chambre de résident. »

« Il n’y a pas d’âge pour prendre du plaisir »

Au-delà de ne pas pouvoir fermer leur porte à clef pour avoir un maximum d’intimité (pas seulement pour avoir des rapports sexuels d’ailleurs mais aussi pour recevoir leurs proches par exemple), les résidents doivent faire face à un autre écueil majeur : l’absence de lit double. Ne faire que des chambres avec un lit simple renvoie en effet un message négatif. Cela revient à dire que l’espace n’est pas prévu pour la sexualité et la vie affective. Cela revient à dire aux résidents qu’ils ne peuvent plus avoir de sexualité, qu’ils n’y ont plus le droit. Et Marick Fèvre de faire à son tour une comparaison avec les hôtels : « Aujourd’hui, que vous arriviez seul ou à deux dans un hôtel, vous avez un lit deux places. Tout simplement. Cela devrait être le cas en Ehpad. » Car malgré ces contraintes, cette sexualité existe bel et bien. Car, comme le dit si bien Irène Raharivololona, sexologue à l’Ehpad Les Jardins du Charmois à Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle) : « L’amour n’ayant pas d’âge, il est impossible d’interdire à quelqu’un d’aimer, à deux personnes de faire l’amour. Il n’y a pas d’âge pour prendre du plaisir. Tant que le corps est vivant, il faut l’utiliser. Il faut juste surveiller la manière. »

Et c’est là qu’interviennent les professionnels. Or, au sein même des institutions, la vie sexuelle et affective des résidents demeure un sujet sensible. Vecteur de réactions intenses, tant de la part des soignants que des familles, cette sexualité n’est que très rarement abordée (voire jamais) dans les formations initiales. Les professionnels se retrouvent donc régulièrement démunis quand ces situations se présentent. Que faire quand un résident a une érection durant l’aide à la toilette ? Comment réagir quand une résidente place avec insistance la main des soignants sur ses parties génitales ? Quid d’un résident qui se masturbe ? Autant de questions auxquelles les professionnels n’ont donc pas nécessairement de réponses. Pour Irène Raharivololona, tout passe par la discussion, la transmission, l’échange entre le résident et le professionnel. « C’est au personnel de remettre à sa place le résident, conseille la sexologue. Par exemple, l’autre jour, lors d’une toilette, un résident a approché la main de l’aide-soignante vers son pénis. Certes c’est choquant mais c’est à elle d’en discuter avec lui et de lui expliquer qu’il franchit la ligne rouge. Il faut comprendre qu’ils ont des envies, des besoins comme tout le monde. Pour autant, il y a des limites à respecter. » Et d’ajouter : « Nous n’avons pas notre mot à dire, nous ne sommes que spectateurs de cette vie amoureuse. »

A l’Ehpad des Mimosas à Commequiers (Vendée), comme dans beaucoup de structures, ce sujet a longtemps été tabou. Mais, alors que le personnel se trouvait en difficulté avec l’un des résidents à la libido débordante, la directrice, Jeanne-Chantal Docquier, a décidé de prendre les choses en main et de faire appel à une sexologue. Pour autant, elle concède qu’il est difficile de généraliser les cas. « Chaque salarié réagit de manière différente face à ces comportements. Nous ne sommes pas tous égaux devant la sexualité. C’est pourquoi nous nous devons d’accompagner les salariés dans ce qu’ils constatent, dans les émotions qu’ils ressentent. Cela peut être violent pour certains d’entre eux. » « Il faut que les professionnels fassent le deuil de la solution idéale, assure pour sa part Marick Fèvre. Quand ils viennent me voir, ils s’attendent à ce que je leur donne un cahier de recettes, une solution à appliquer facilement et généralisable. Or, cela ne fonctionne pas comme cela. Le plus important est de faire preuve de bon sens, de se faire confiance en tant que professionnel, de réfléchir en équipe pluridisciplinaire. C’est souvent ces petits actes simples, basiques qui vont permettre de dénouer les situations. »

Faut-il en parler aux familles ?

Au-delà de la gestion de la vie affective et sexuelle des résidents, une autre difficulté existe pour les établissements : la gestion des familles, de leurs réactions. Car, de manière générale, les enfants, les proches ne s’imaginent pas que leurs parents ont encore une sexualité. Sur ce sujet, deux visions s’opposent. Ainsi, Marick Fèvre et Gérard Ribes se montrent catégoriques : il ne faut pas en parler. Et ce dernier d’argumenter : « Légalement, nous n’avons pas le droit de dire à la famille de la personne âgée ce qu’elle est en train de faire. C’est la loi et c’est tant mieux d’ailleurs. » A l’inverse, Irène Raharivololona considère qu’il est « préférable de s’entretenir avec eux car, d’une manière ou d’une autre, ils vont être au courant. Autant en discuter avec eux pour les préparer, les mettre en conditions psychologiques de ce qui peut être un grand changement, un grand chamboulement pour eux. »

Si la sexualité des personnes âgées en Ehpad est encore un sujet très peu abordé, les choses évoluent. Ainsi, la stratégie nationale santé sexuelle 2017-2030 a pour objectif de « prendre en compte la sexualité des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ». Cette thématique va d’autant plus devoir être mise sur la table que la génération post-68 est la prochaine à entrer en établissement. Or, la question de la sexualité a été au centre de la construction de cette génération. C’est un élément de leur développement personnel. Cette question sera donc centrale pour leur équilibre de vie. Ce que confirme Jeanne-Chantal Docquier, la directrice de l’Ehpad Les Mimosas : « Les soixante-huitards ne sont pas encore arrivés en établissement. Mais cela ne va pas tarder et il faut que l’on se prépare. Car c’est clair que ce ne seront pas les mêmes résidents. Ils n’auront pas du tout les mêmes attentes et les mêmes besoins, notamment en matière de sexualité. Il va falloir faire évoluer nos approches. » Cela tombe bien, une loi « grand âge et autonomie » est annoncée pour la fin de l’année. L’occasion idéale pour que la sexualité en établissement soit une fois pour toutes prise en considération.

Des solutions existent à l’étranger

La vie intime des résidents pose les mêmes questions partout. Mais elle entraîne des réponses bien différentes selon les pays. Par exemple, au Canada, les établissements disposent de chambres d’intimité. En Allemagne et en Suisse, il existe une formation diplômante d’assistant sexuel. Initialement destinée aux personnes handicapées, elle s’applique par extension aux personnes âgées. En France, cette pratique est interdite et assimilée à de la prostitution. Au Danemark, certaines maisons proposent, à la demande du pensionnaire, la projection de films pornographiques. Une solution envisagée par Jeanne-Chantal Docquier, directrice d’Ehpad : « En fonction des besoins de chacun, il faut pouvoir essayer de trouver une solution. Si demain un résident regarde un film porno, je m’en fous ! Il est chez lui comme n’importe qui est chez soi. »

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