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Des acteurs territoriaux de bonne volonté

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A l’heure où les conseils départementaux rencontrent de sérieuses difficultés de recrutement et de budget, Paul-Alexis Racine, président de l’entreprise sociale et solidaire CetteFamille, livre sa réflexion sur leur rôle dans la gestion des activités sociales au cœur des territoires.

Les conseils départementaux représentent un échelon d’administration intermédiaire. Au regard de la situation sociale que traverse notre pays, il est intéressant de préciser qu’ils ont été créés par la Révolution française afin de rapprocher l’administration centrale de ses administrés. Une manière de rendre plus humaine et “de proximité” un service public trop distant. On le sait, leur découpage géographique devait permettre pour chaque administré de se rendre en son chef-lieu en une journée de cheval. Récemment, leurs prérogatives ont évolué : la loi “NOTRe” de 2015 est revenue sur la clause générale de compétence de 1982, grande loi de décentralisation, et limite aujourd’hui les compétences des départements en introduisant la spécialisation avec les régions, ces dernières ayant vu leurs attributions renforcées. Mais de cette loi, on retient que le rôle le plus important encore dévolu à la collectivité départementale est l’action sociale. Elle représente d’ailleurs aujourd’hui plus de la moitié de son budget de fonctionnement.

Mais les conseils départementaux font face à des difficultés grandissantes. Par exemple, les difficultés de recrutement que l’on connaît dans le médico-social sont aussi partagées par de nombreux élus et directeurs généraux des services, qui peinent à recruter ou à faire venir des talents pour participer à l’administration de leur territoire, plus spécifiquement au niveau des cadres intermédiaires. D’autant que certains départements, notamment ruraux, peuvent cumuler un éloignement géographique ou un enclavement à une maîtrise drastique de leurs budgets, entre autres par l’instauration du dispositif de Cahors. Ne laissant alors guère de latitude pour des projets structurants autres que ceux de restructuration. Si l’on partage ce constat, il est légitime de penser que leur rôle sera encore amené à évoluer. Dès lors, pour ceux qui défendent cet échelon, quelles solutions peut-on apporter et quels nouveaux rôles peut-on porter, pour quelles ambitions ?

Il ne s’agit pas là de défendre une administration en particulier, mais de poser une réflexion sur la mutation des missions dont doivent se saisir les conseils départementaux afin de développer un rôle d’avenir, efficient, positif et justifié auprès des citoyens et de la société civile. Le danger de n’être réduit qu’à un guichet administratif de gestion des aides financières aux citoyens n’est jamais loin.

En premier lieu, les conseils départementaux doivent être les garants d’une qualité de service désintéressée. A ce titre, les agents servant au sein de l’administration sont investis d’une mission noble et structurante, nécessaire dans la confiance que la société ressent face à un service public qu’elle finance. En ce sens, ils représentent un stabilisateur de confiance qui permet aux personnes fragilisées et à leurs aidants de pouvoir être reçus dans un univers de solutions sécurisées et bienveillantes. On parle ici des agréments et autorisations dont le conseil départemental a la prérogative de délivrance.

Cela va de pair avec une autre qualité, parfois oubliée, souvent trop mise de côté et mal valorisée : le “savoir dire oui”. Une lacune très française. Car au même titre que la société civile doit avoir confiance en son administration, l’administration doit avoir confiance dans la société civile. Sans idéologie, sans parti pris. Dire oui, c’est prendre le chemin de la créativité et de l’espoir. Dire oui à chaque projet de vie, oui à l’innovation, oui au changement quand il le faut, oui à la continuité pour stabiliser des politiques dans la durée. Des solutions diaprées sont nécessaires aux personnes fragiles car, dans l’environnement social plus qu’ailleurs, chaque personne attend une prise en charge différente. L’heuristique est une matière qui, au sein des conseils départementaux, a une saveur particulière tant elle est nécessaire dans sa démarche et concrète dans son résultat pour nous adapter aux différents profils qu’il faut accompagner. D’autant que les conseils départementaux représentent une force et une capacité de faire extraordinaires par le maillage qu’ils représentent, par leur présence physique dans les territoires.

Les conseils départementaux sont ainsi la réunion de techniciens de terrain de haut niveau et d’une connaissance fine du territoire. C’est sans doute dans cette ressource dense de compétences et de connaissances que se trouve l’avenir des missions des conseils départementaux : d’un métier encore trop souvent perçu comme étant de contrôle à un métier d’accompagnement, d’appui et de soutien.

Sortir d’un système dont le protagoniste principal trouve sa légitimité dans le contrôle, et aller vers un système où la légitimité se trouve accordée par les connaissances et les compétences qu’un collège d’hommes et de femmes peut mettre au cœur des territoires à disposition de la société civile et des citoyens… Là est l’avenir de l’administration départementale. La “confiance” latine est la réunion du mot “fier” et du mot “avec”. En empruntant le chemin de la confiance, nous pourrons confier nos biens les plus précieux : nous, nos proches fragilisés, notre humanité, en toute tranquillité. En sachant que les services à qui nous confions ce que nous avons de plus cher sont bienveillants et ouverts à ce qui peut améliorer notre système.

En le dessinant ainsi, l’avenir que nous pouvons envisager pour légitimer et faire vivre cet échelon auquel nous sommes attachés serait celui d’une plateforme de ressources techniques alliant compétences et connaissances. Cette plateforme serait à la disposition des citoyens et de la société civile qui chercherait à créer et innover sous le regard bienveillant et l’appui sécurisant de ses agents.

On parle beaucoup de maillage dans le médico-social. Une des vertus principales d’un maillage est de densifier et de rapprocher les solutions des citoyens qui ont besoin d’en trouver. La force d’un maillage est tout à la fois inhérente à la densité de sa maille, à sa finesse et à la qualité de la matière qui la constitue. Mais il ne faut pas en oublier les points de rupture que peuvent constituer les coutures : les frontières administratives d’un département peuvent être un obstacle à la constitution d’un tel maillage, notamment pour les citoyens proches des départements voisins. Si l’on n’y prête pas attention, le cercle des solutions que l’on peut tracer autour d’un citoyen-bénéficiaire pourrait s’arrêter au département voisin.

Il est donc essentiel, en s’appuyant sur le formidable maillage des agents départementaux, de pouvoir prendre du recul et de proposer des cercles de solutions égaux, partout en France. Les initiatives nationales constituent un faire-valoir pour les conseils départementaux : en les acceptant, ceux-ci légitiment leur existence par la qualité des solutions qu’ils proposent. Au XVIIIe siècle, Montesquieu a imaginé de faire voyager en France deux Persans qui promenaient un regard faussement naïf sur les us et coutumes de son pays, les mœurs de ses contemporains. En particulier le conformisme des Français. Installée à Versailles, la cour imitait le roi, Paris imitait la cour, la province imitait Paris : “L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.” Un argument pour la décentralisation ? L’intérêt est d’aller au-delà de l’approche primaire. Pour éviter une recentralisation de leurs actions et prérogatives, les collectivités départementales doivent l’anticiper et tirer d’un système national ses vertus, en évacuer les faiblesses et ainsi prendre un temps d’avance.

Pour conclure, en tant qu’acteur de terrain et côtoyant de nombreux territoires, je crois aux départements, à la géniale énergie des acteurs de bonne volonté qui oriente leurs compétences et connaissances sur le “savoir dire oui” pour se transformer. Cela signifie que les citoyens attachés à un territoire par ses spécificités bénéficieront d’une force motrice et bienveillante capable d’attirer l’innovation et le changement, dans le respect de chaque projet de vie et de chaque situation.

La coconstruction, la répartition des compétences et l’innovation sont aujourd’hui plus que jamais au cœur de la mise en œuvre des projets, qu’ils soient publics, associatifs, privés, institutionnels ou même individuels de prise en charge du bénéficiaire, de l’usager, du client. La mission portée par l’action sociale concerne l’humain, et sa mise en œuvre dépend presque exclusivement de l’humain. Les responsables départementaux, à tous niveaux, sont obligés de repenser stratégiquement leur mode de gestion des compétences. D’autant que la conjoncture dans laquelle ils exercent leurs fonctions est celle de la mutation et de l’évolution des pratiques professionnelles et des modes d’organisation des institutions. Les facteurs socio-économiques, les réformes législatives successives et la réflexion territoriale de l’action sociale et médico-sociale sont des données, fixes, qu’il faut transposer en opportunités afin de préparer l’avenir, maintenant, au risque de perdre la main au détriment d’échelons mieux organisés mais peut-être moins légitimes.

C’est une nécessité non pas sortie d’une réification, mais bien d’un besoin concret porté par l’ensemble des citoyens qui veulent défendre leur service public de proximité. Gage à ce dernier de prendre la mesure de la tâche qui nous attend, de voir qu’à plusieurs nous serons plus forts et que le rôle de plateforme technique est la valorisation ultime des compétences acquises par le temps. Ce temps si rare et que nous n’aurons bientôt plus, tant il nous faudra répondre à la société de l’urgence et de l’instantanéité si nous n’organisons pas aujourd’hui la mutation de notre modèle d’organisation pour répondre aux grands défis qui, eux, nous tendent les bras. »

Contact : paul-alexis@cettefamille.com

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