Au lendemain des annonces d’édouard Philippe sur l’immigration, dans le cadre d’un débat houleux, l’Assemblée nationale a adopté, le 7 novembre, dans le cadre de l’examen en séance des crédits de la mission « santé » du projet de loi de finances (PLF) pour 2020, un amendement gouvernemental prévoyant une baisse de 15 millions d’euros de la dotation de l’aide médicale d’Etat. Une baisse qui ramène le budget de l’AME à 919 millions d’euros contre 934 millions en 2019, et 903 millions en 2018. L’amendement adopté veut « tirer les conséquences des mesures annoncées par le gouvernement en faveur d’une politique d’immigration maîtrisée », selon l’exposé du texte. Il s’agit de « prendre en compte l’effet sur les crédits de l’AME des mesures visant à renforcer les exigences de juste accès à ce droit tout en luttant contre les détournements abusifs », affirme le texte. Au sein de La République en marche, 69 députés ont voté en faveur de cet amendement, tandis que 13 députés ont voté contre et 3 députés se sont abstenus.
Les demandeurs d’asile ne pourront bénéficier de la protection universelle maladie (Puma), couverture santé de base, qu’après trois mois de résidence stable en France, à l’instar des autres assurés ne travaillant pas. Sont exclus les soins « hospitaliers vitaux, les maladies infectieuses, les soins délivrés aux femmes enceintes et nouveau-nés, et le délai de carence n’est pas applicable aux enfants mineurs », a insisté Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Par ailleurs, d’ici à la fin de l’année, un décret réduira la durée de maintien des droits de douze à six mois pour les étrangers sans papiers et les personnes déboutées de leur demande d’asile. Cet accès aux soins sera également interrompu dès qu’une obligation de quitter le territoire français sera définitive.
Concernant l’AME, destinée aux personnes en situation irrégulière, les députés ont voté la mise en place d’un accord « préalable » de la sécurité sociale pour certains soins comme « la chirurgie de la cataracte, les prothèses de genou ou de hanche et certains actes de kinésithérapie ». La liste des soins concernés et les conditions de mise en œuvre de la mesure seront définies par décret. Par ailleurs, dès 2020, une demande d’AME ne pourra être présentée que sur comparution physique du demandeur dans une caisse d’assurance maladie ou, en cas d’empêchement, par l’intermédiaire d’un hôpital ou d’une permanence d’accès aux soins de santé (Pass).
Les étrangers arrivés avec un visa touristique devront eux attendre trois mois après l’expiration de leur visa pour accéder à l’AME, afin d’éviter d’éventuels abus et les « suspicions de migrations pour soins » relevées par le rapport des inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF) remis au gouvernement le 31 octobre.
Pour réduire les coûts, le gouvernement table sur le renforcement des contrôles facilité par la centralisation attendue cette année de l’instruction des demandes d’AME au sein des caisses d’assurance maladie de Paris, Bobigny et Marseille. Les caisses devraient aussi bénéficier, d’ici à la fin 2019, d’un accès à la base de données des visas « Visabio », afin de vérifier si les titulaires d’un visa tentent de bénéficier de l’AME de droit commun et aux soins urgents.
« En s’attaquant à ces systèmes [AME et Puma], le gouvernement va accroître le nombre de renoncements aux soins, déjà très importants chez ces personnes. Ces mesures vont impacter la santé de ces personnes vulnérables et vont reporter la charge du soin sur les hôpitaux en particulier les urgences et les Pass, et alourdir les démarches administratives déjà compliquées », déplorent douze associations qui accompagnent des personnes migrantes(1).
Parmi les réactions, celle du Conseil de l’ordre des médecins qui met en garde sur les « risques sanitaires » que pourrait entraîner le délai de carence de trois mois pour les demandeurs d’asile. « Tout ceci pour des économies marginales : une baisse de 15 millions d’euros de l’enveloppe accordée à l’AME […] alors que la consommation de soins et de biens médicaux en France est évaluée à 203,5 milliards d’euros autrement dit une économie budgétaire immédiate ridicule avec un risque d’augmentation retardée de frais de santé ! », critique le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG).
Du côté du Sénat, la volonté de transformer l’AME en une « aide médicale d’urgence » (AMU) refait surface, comme en 2018 lors de l’examen du projet de loi « asile-immigration ». L’idée est, cette fois-ci, portée par Alain Joyandet (LR – Haute-Saône), rapporteur spécial de la mission « santé », qui a présenté à la commission des finances, le 5 novembre, son rapport spécial sur les crédits du PLF pour 2020.
« Le maintien au niveau de 2019 des crédits dédiés à l’AME (soit 934,4 millions d’euros) n’apparaît pas soutenable au regard de la progression de la dépense constatée en 2018 (+ 52 millions d’euros) et des premiers retours de terrain concernant 2019. Ceux-ci traduisent une augmentation régulière du recours à l’AME de droit commun : + 46 % en montant et + 25 % en nombre de bénéficiaires depuis 2012. Les crédits prévus pour 2020 traduisent une nouvelle sous-budgétisation de l’AME pour soins urgents (30 millions d’euros entre l’exécution 2018 et la prévision 2019 et 2020), qui se traduira inévitablement par une progression de la dette à l’égard de la Caisse nationale d’assurance maladie, déjà établie à 35,3 millions d’euros », juge-t-il.
Faisant référence aux dispositifs européens, le sénateur souhaite que le panier de soins soit, en France, « circonscrit au traitement des maladies graves, aux douleurs aiguës, aux vaccinations réglementaires, au suivi de grossesse et aux mesures de médecine préventive ». Il propose également le rétablissement du droit de timbre fixé à 30 € pour les demandeurs de l’AME. « Une subordination de soins non urgents ou non vitaux à un accord préalable pourrait également être envisagée », ajoute-t-il.
Alain Joyandet propose deux amendements en ce sens, adoptés par la commission des finances. Un troisième amendement – également adopté – tient compte, au niveau budgétaire, de cette transformation de l’AME en AMU « en réduisant de 300 millions d’euros les crédits de paiement et les autorisations d’engagement prévus au sein du PLF pour 2020 ». Un véritable coup de rabot.
(1) Aides, la Cimade, le Comede, Emmaüs France, la Fédération des acteurs de la solidarité, France Assos Santé, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du monde, Médecins sans frontière, l’Uniopss, Sidaction.