Un métier intéressant, un enfant – Son « plus grand bonheur » –, des amis… A priori, Virginie Hamonnais avait tout pour réussir. Mais un jour, tout a basculé : son fils Thiméo, alors âgé de 9 ans, lui apprend qu’il a été victime d’inceste dans la famille de son père. Aussitôt, c’est le choc. La mère a vécu le même traumatisme alors qu’elle était petite. Alors, ses parents l’avaient cru mais n’avaient pas porté plainte. Elle le fait. Elle ne sait pas à quel point le parcours judiciaire va être long et compliqué. « Je me suis vite retrouvée seule, souligne-t-elle. L’inceste, c’est un peu comme avec le handicap, quand vous en parlez, les gens ne savent pas trop comment se positionner. »
Son fils va mal, elle aussi, car elle se sent coupable de n’avoir rien vu. Pour essayer d’oublier un peu, arrêter de ressasser, elle achète sa première bouteille de vodka. Au début, elle en boit un verre avec de l’eau vers les 19 heures. « Ça a eu un effet anxiolytique immédiat », se souvient-elle. Petit à petit, elle passe à deux verres dans la soirée, une fois que son fils est couché. Après, c’est l’engrenage. Virginie Hamonnais ne met plus d’eau dans son verre et boit une demi-bouteille de vodka avant de s’endormir. Puis, au lieu d’acheter sa boisson en fin d’après-midi comme avant, elle l’achète le matin. Ayant perdu son travail, elle commence à boire dans la journée en faisant la cuisine, le ménage, en attendant d’aller chercher son fils à l’école… Elle a l’impression de redevenir « souriante et rigolote ». Virginie Hamonnais n’avait jamais bu auparavant, si ce n’est de temps en temps pour faire la fête. « Je connaissais mes limites, j’étais mère célibataire et consciente de mes responsabilités. Là, je noyais ma tristesse dans l’alcool », dit-elle. Sa descente aux enfers s’est faite progressivement, sans qu’elle s’en rende compte. « On croit maîtriser l’alcool, mais c’est l’alcool qui nous maîtrise. Mon corps disait “non”, mais ma tête disait “oui”. Mes proches me considéraient comme une femme intelligente et pensaient que j’allais réagir, mais la vodka était devenue mon oxygène. Je ne pouvais rien faire sans elle. » Surtout, elle attendait un déclic.
Les dommages ne se sont pas fait attendre : comas éthyliques, hospitalisations à répétition, delirium tremens… Virginie Hamonnais a perdu la garde de son fils, placé en famille d’accueil en 2015 par l’aide sociale à l’enfance (ASE), avant d’être confié à ses grands-parents maternels dans le cadre d’un accueil éducatif en milieu ouvert : « Quand on vous prend votre enfant, c’est un arrachement supplémentaire. L’ASE me demandait de me reprendre en main, ça m’enfonçait encore plus. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Il ne faut pas seulement protéger l’enfant dans ces cas-là, il faut également aider la mère, sinon c’est la double peine », pointe celle que les pompiers ont souvent amenée à l’hôpital en état d’ébriété. Des hôpitaux, elle en a fréquenté plusieurs. Tous l’ont laissée partir sans rien après son séjour, ni ordonnance, ni prise en charge, ni rendez-vous avec un médecin. « Dès la sortie, j’achetais une bouteille. A la première gorgée, le gosier brûle un peu, à la deuxième, vous ne tremblez plus. Le manque est insupportable, j’avais l’impression que j’allais mourir à chaque fois », témoigne Virginie Hamonnais.
Cette dernière assure avoir toujours été active dans sa démarche de soins. Mais où et par qui se faire accompagner ? Un jour, après être restée un mois sans boire à l’hôpital d’Alençon (Orne), elle se rend dans un service d’addictologie pour se faire aider. Le médecin est en train de prendre son café, la salle d’attente est vide : « La secrétaire m’a demandé de prendre rendez-vous et de revenir dans trois semaines. J’étais en larmes, j’avais besoin de soutien, sinon je savais que j’allais replonger. Un malade alcoolique, il faut le prendre en charge tout de suite. A partir du moment où il a le désir de s’en sortir, il ne faut pas rater l’occasion », prévient-elle. Virginie Hamonnais a fait quatre cures de sevrage. A chaque fois, elle a rechuté. Pourtant, elle s’imaginait que sa première cure serait la bonne. C’était en mars 2015 dans un joli établissement à Royan (Charente-Maritime). Désormais, elle sait que l’on ne guérit de l’alcool que si on le décide pour soi, pas pour les autres, fussent-ils un compagnon, un fils ou des parents. Elle sait aussi qu’un mois ne suffit pas pour décrocher complètement, il faut une prise en charge psychologique après le sevrage, ce qu’elle n’a pas eu. « En cure, je me suis aperçue que des patients en étaient à leur troisième, septième, dixième sevrage, rapporte Virginie Hamonnais. Ça n’était pas rassurant. Dans un des centres où j’étais, nous étions une quarantaine de patients. La séance avec le psychiatre durait à peine cinq minutes le matin et se résumait aux médicaments à prendre. De plus, c’était par ordre d’arrivée. Pour être la première, je loupais le petit déjeuner. » Elle se revoit également à quelques réunions avec les Alcooliques anonymes, une tasse de thé à la main, à se demander à quoi bon relater encore une fois son histoire : « A un moment, il y en a marre de raconter sa vie aux professionnels de santé, à l’ASE, à la justice, aux associations… C’est déprimant. » Surtout, elle se rappelle la honte, la bouteille de vodka qu’elle cachait sous un foulard dans la rue pour se donner « le courage d’avancer », fuir ses démons, la souffrance de son fils, la sienne… Elle qui avoue s’être « sentie plus bas que terre ».
Finalement, c’est un matin d’automne très venteux, en Bourgogne, que Virginie Hamonnais, comme prise dans une tempête intérieure, a eu un électrochoc : « Tout d’un coup, je me suis vue au bord du précipice. D’un côté, je voyais ma tombe, de l’autre, la vie. A ce moment précis, j’ai décidé d’arrêter de boire, sinon je savais que j’allais mourir. » La quadra a contacté l’antenne locale de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa). En 24 heures, elle avait rendez-vous avec un addictologue puis une psychologue, qui continuent de la suivre toutes les semaines. C’était le 18 novembre 2018. Depuis, Virginie Hamonnais ne boit que de l’eau. Au début, comme beaucoup d’anciens malades alcooliques, elle comptait les jours d’abstinence. Elle ne le fait plus, pour ne pas garder de lien avec le produit. Aujourd’hui, elle se bat pour retrouver sa place de mère auprès de son fils de 14 ans, toujours chez ses grands-parents, mais aussi sa carrière professionnelle. Elle parle de « renaissance » et se compare à « un bébé qui apprend à marcher ». Elle voudrait alerter les jeunes des dangers de l’alcool, interdire les « premix », sodas mélangés à de l’alcool, les packagings attirants, les sirops au goût « mojito » pour les enfants, les alcools fruités et autres nouvelles eaux alcoolisées… « Il existe même une sucette en forme de verre avec de la bière », s’irrite-t-elle.
Après avoir été assistante de production et réalisatrice, Virginie Hamonnais est en recherche d’emploi et vit du revenu de solidarité active. Abstinente depuis un an, elle raconte sa descente aux enfers et sa renaissance dans Noyée dans l’alcool (éd. Max Milo).