Au moins 612 sans-domicile fixe (SDF), dont 13 mineurs, sont décédés en 2018 dans la rue, a annoncé le collectif Les Morts de la rue dans un rapport, le 29 octobre. Ils étaient 511 un an plus tôt, soit une augmentation de 15 %. Ce décompte alarmant est très loin d’être exhaustif. L’organisation recense en effet les décès sur la base de signalements de ses partenaires et des médias. Cependant, de précédentes recherches auraient montré que le nombre réel de SDF décédés était environ six fois plus important.
Qui sont-ils ? Majoritairement des hommes jeunes qui ont vécu de longues années à la rue et ont souffert de maladies, d’addictions et de troubles psychiatriques. Ils sont en moyenne décédés avant 50 ans. « Plus de la moitié des personnes en situation de rue avant leur décès décèdent sur la voie publique ou dans un abri de fortune. Les deux tiers des personnes en situation d’hébergement avant leur décès décèdent dans un hébergement ou un lieu de soins », précise le rapport. Les causes du décès sont la maladie, les accidents, les agressions, les suicides. Parmi les personnes décédées l’an dernier, 41 % sont de nationalité française, 14 % d’une nationalité d’un pays de l’Union européenne (UE) et 19 % d’un pays hors de l’UE. « En 2018, les personnes SDF décédées ont été signalées dans 65 départements différents, soit 8 départements de plus qu’en 2017. Dans le département de Paris, 155 décès ont été signalés, soit 27 % de tous les décès de personnes signalés en France en 2018. En deuxième position vient le département du Nord avec 30 décès, suivi par la Seine-Saint-Denis avec 24 décès et la Haute Garonne avec 23 décès », égrène le collectif. Grâce aux résultats des décomptes de la Nuit de la solidarité, à Paris en 2018, le taux de mortalité des personnes SDF a été estimé 6,5 fois plus élevé que le taux brut de mortalité de la population domiciliée à Paris, et 20 fois plus élevé pour les décès précoces (à un âge de moins de 64 ans). Des recensements similaires ont eu lieu en 2019 dans différentes villes de France (Rennes, Montpellier, Toulouse, Grenoble et Metz).
Face à cette dramatique réalité, le collectif Les Morts de la rue réclame des mesures spécifiques comme la mise à l’abri prioritaire ou l’accès aux soins renforcé. Le collectif insiste également sur l’importance d’un « accompagnement social continu ». « En finir avec la discontinuité des prises en charge en hébergement, notamment le fonctionnement de l’hébergement hivernal ou les prises en charge nuit par nuit au 115. Cette discontinuité – changements de centres, remise à la rue – viole le principe de continuité de l’hébergement désormais inscrit dans le code de l’action sociale et des familles (CASF), martèle le collectif. Elle fragilise des personnes ayant déjà vécu nombre de ruptures, impacte leur santé mentale et physique, contribue à leur épuisement, renforce les risques de dégradation globale par une perte de repères. Même si une orientation dans un autre centre est proposée, celle-ci nécessite de la réadaptation, elle peut entraîner une rupture avec le référent social et le projet engagé, et une rupture des soins. La discontinuité de l’hébergement, enfin, favorise la perte d’informations précieuses sur la santé de la personne et les contacts repris ou obtenus avec la famille. »
Le collectif attire l’attention sur la situation des femmes, souvent « invisibles » dans la rue. Elles représentent 9 % des décès recensés entre 2013 et 2018, mais ce chiffre est « très probablement sous-estimé ». Elles meurent encore plus tôt que leurs homologues masculins (à 45,6 ans en moyenne), le plus souvent d’une maladie. « Les femmes se retrouvent plus souvent à la rue que les hommes suite à des conflits familiaux. Il faut agir sur les facteurs à l’origine de ces conflits : violences conjugales, mariages forcés, risques d’excision, addictions, LGBTphobies (phobies des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) », insiste le collectif, qui plaide notamment pour l’ouverture de centres d’hébergement non mixtes.
L’urgence ? D’abord, un logement pour tous. « Un endroit où habiter est primordial. On voit que l’importance du temps passé à la rue a très probablement des conséquences sur la santé physique et mentale, avec une réinsertion qui devient plus difficile, voire impossible avec le temps », alerte le collectif.
La dernière étude de l’Insee sur le nombre de personnes sans-domicile en France a été publiée en juillet 2013 et porte sur l’année 2012. Depuis, aucune donnée n’a été actualisée… « Une nouvelle évaluation, même partielle, du nombre de personnes sans domicile personnel, intégrant les personnes – dont les femmes – hébergées, dépannées par des proches, ou d’autres “zones d’ombre” de l’accès à l’hébergement, serait utile à la compréhension de l’ensemble des situations », souligne le collectif Les Morts de la rue.