Avec plus de 40 000 logements jugés dangereux pour leurs habitants, selon le rapport « Nicol » paru en 2015, Marseille, deuxième ville de France, abrite l’un des parcs immobiliers les plus dégradés du pays. Il y a un an, le 5 novembre 2018, l’effondrement d’immeubles insalubres rue d’Aubagne faisait huit morts, jetant une lumière crue sur le fléau de l’habitat indigne. Ce drame a conduit à l’évacuation de près de 400 immeubles et au délogement de plus de 3 500 personnes. Quel bilan aujourd’hui ? « Sur les 359 immeubles évacués, la moitié a pu être réintégrée. 1 479 personnes ont été relogées, par des bailleurs sociaux, dans le parc privé ou des locaux vacants de l’Etat. Le nombre de personnes à l’hôtel s’est déjà considérablement réduit, de 1 300 fin janvier à 400 aujourd’hui », indique le ministère du Logement, dans un communiqué en date du 4 novembre. L’Etat et les collectivités ont reconduit la mission confiée à l’organisme Soliha Provence et cofinancée par l’Etat à hauteur de 5 millions d’euros depuis un an pour identifier des logements disponibles supplémentaires. Un mois après le drame, Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, avait promis une aide de 240 millions d’euros pour lutter contre l’habitat indigne dans la cité phocéenne. Mais un an plus tard, seuls 17 millions d’euros ont été payés ou engagés par l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah) pour la rénovation de Marseille. Du côté de la municipalité, l’édile Jean-Claude Gaudin a indiqué, au cours d’un point presse, que la ville de Marseille avait versé 14 millions d’euros pour la gestion de la crise.
Le ministre du Logement assure vouloir « désormais accélérer la réhabilitation de l’habitat à Marseille ». « Avant la fin de l’année, une société d’aménagement commune, associant l’Etat et les collectivités, sera créée pour la réhabilitation du centre-ville. L’objectif de cette société sera de racheter les logements insalubres, de les rénover et de les remettre sur le marché, en préservant le caractère populaire du centre-ville », indique-t-il. Cette société s’inscrit dans le cadre d’un projet de partenariat d’aménagement, doté d’un budget de 217 millions d’euros sur quinze ans, signé par l’Etat avec la métropole et la ville.
Le drame de Marseille a-t-il servi d’électrochoc pour engager une politique plus active au niveau national contre le fléau de l’habitat indigne ? « L’ambition formulée aujourd’hui par la puissance publique n’est absolument pas à la hauteur des enjeux posés par l’habitat indigne dans notre pays », estime, selon l’AFP, Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. L’association dédiée au logement des personnes défavorisées évalue à 100 000 le nombre de personnes à Marseille vivant dans « des taudis » et à 600 000, le nombre de logements indignes en France. Si la Fondation Abbé-Pierre salue la mise en place de deux plans pour contribuer à lutter contre l’habitat indigne (le plan « Initiatives copropriétés » et le programme « Action cœur de ville »), ainsi que la lutte renforcée contre les marchands de sommeil inscrite dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi « Elan »), elle réclame, depuis janvier dernier, un plan national qui fixe aux communes et à l’Etat l’objectif de rénover 60 000 foyers par an pendant dix ans. « Il faut impérativement que l’Etat fixe des objectifs nationaux, contractualise [ces objectifs] avec les collectivités. Et si les collectivités n’agissent pas, il faut qu’il y ait substitution de l’Etat. Exactement comme pour la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains sur la construction de logements sociaux [qui oblige les communes à disposer de 25 % de logements sociaux dans leur parc immobilier, ndlr] », insiste Christophe Robert.
Commandé après le drame de la rue d’Aubagne à Marseille, et dans la continuité de l’adoption par le Parlement de la loi « Elan », fin octobre 2018, un rapport parlementaire sur la résorption de l’habitat indigne en France a été remis, le 8 octobre, au Premier ministre, en présence d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, et de Julien Denormandie(1). L’objectif de ce rapport était de faire des propositions pour simplifier la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil et, ainsi, éclairer les travaux interministériels qui aboutiront à la rédaction de l’ordonnance prévue par l’article 198 de la loi « Elan » permettant de simplifier drastiquement ces procédures. Cette ordonnance est attendue avant fin mai 2020, en vue d’une application à compter du 1er janvier 2021. L’auteur de ce rapport, Guillaume Vuilletet, député (LREM) de la 2e circonscription du Val-d’Oise, propose notamment d’abandonner la notion d’« habitat indigne » pour lui substituer celle d’« habitabilité durable ». Il suggère ainsi d’élaborer et de partager un référentiel national unique sur les normes minimales d’habitabilité (santé, sécurité et confort) et d’en créer un outil de diagnostic à même d’évaluer l’habitabilité du logement. Ce diagnostic deviendrait le document à transmettre dans le cadre d’une location ou d’une transaction immobilière, comme dans celui de l’octroi ou du maintien des allocations versées par la caisse d’allocations familiales. A l’instar de ce qui se pratique avec le contrôle technique automobile, cet outil simplifierait donc les procédures.
« Notre dispositif de lutte contre le logement indigne est semblable à des poupées russes qui ne s’imbriqueraient pas. Il s’agit davantage là d’une sédimentation de dispositions et de dispositifs que d’un corpus cohérent », considère Guillaume Vuilletet. Le député du Val-d’Oise propose, de fait, la simplification des polices de l’habitat. Actuellement, il existe treize polices différentes et des responsabilités réparties entre le maire, le préfet et l’agence régionale de santé, ce qui rend les procédures d’actions beaucoup trop complexes et les responsabilités trop éparpillées en cas de drame. Afin d’alléger l’arsenal juridique du traitement de l’habitat, le rapporteur préconise donc de réunir les différentes polices dans une police administrative unique de « l’habitabilité et de la sécurité des bâtiments ». Cette police unique serait composée de trois procédures : la première en cas de locaux impropres à l’habitation, la deuxième pour la réalisation de travaux d’habitabilité et de sécurité et la troisième en cas d’urgence. Pour plus d’efficacité, cette police unique pourrait toutefois être à un échelon différent selon les territoires : à l’échelon départemental, intercommunal ou au niveau de l’agglomération. « Une réflexion sur le renforcement de la police générale du maire pourrait être engagée en complément du projet de simplification des polices spéciales, notamment la possibilité de recouvrement des dépenses engagées et le droit des occupants », ajoute Guillaume Vuilletet.
La proposition de loi de Bruno Gilles, sénateur LR des Bouches-du-Rhône, visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre et dangereux, adoptée à l’unanimité au Sénat le 11 juin 2019, prévoyait, elle aussi, en mesure phare, de mettre en place une « police spéciale du logement qui traitera, selon une procédure identique, de l’ensemble des cas de logements dégradés ». Le sénateur, également candidat déclaré à la mairie de Marseille en 2020, souhaite que cette police soit exercée par les présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sauf si les maires « demandent à exercer leurs pouvoirs en la matière ».
Le rapport « Vuilletet » note également que l’absence d’offre de logement accessible contribue au développement de l’habitat indigne mais freine également son traitement. « Le déficit de solutions de relogement provisoire, voire de relogement définitif ou d’hébergement, entraîne une paralysie totale des parcours résidentiels et maintient les ménages dans des situations dramatiques, notamment dans les territoires tendus. L’insuffisance de l’offre empêche également le propriétaire bailleur de répondre à ses obligations de relogement ou d’hébergement provisoire des occupants lorsque son logement est frappé d’un arrêté », souligne le député. « Il conviendrait de considérer les ménages vivant dans des logements à risque pour leur santé et leur sécurité au même rang de priorité que les ménages du droit au logement opposable », juge-t-il. Guillaume Vuilletet rappelle également qu’une frange des logements indignes est occupée par des ménages issus de l’immigration. Une part importante de ces personnes est en situation irrégulière, non éligible aux solutions pérennes de logement, et « devient captive des parcours résidentiels développés par les propriétaires malveillants qui se sont spécialisés dans l’“accueil” de ces ménages notamment en se “professionnalisant” dans la division pavillonnaire ». Pour ces publics, le rapporteur recommande de définir urgemment un plan de développement des centres d’hébergement. « Compte tenu du caractère transfrontalier de l’immigration, la construction d’une politique européenne avec des financements européens dédiés, voire un financement des Nations unies, pourrait contribuer à améliorer les conditions de vie des migrants », souligne-t-il.
A combien s’élèverait le besoin de financement pour résorber le fléau de l’habitat indigne ? « En considérant un millier de secteurs prioritaires sur le territoire intégrant chacun une quotité de logements appartenant à des propriétaires occupants, des propriétaires bailleurs, des opérations en centres anciens, des travaux d’offices et des opérations de recyclage, on peut estimer le besoin à quelque 13,2 milliards d’euros HT sur dix ans pour 300 000 à 320 000 logements concernés (pour les situations les plus lourdes). Réparti sur une dizaine d’années, l’effort s’établit à quelque 1,3 milliard d’euros par an. L’effort de la Nation demandera donc sans doute à être accentué mais, même à financement constant, l’objectif ne paraît pas nécessairement inatteignable », conclut Guillaume Vuilletet.
Dans le cadre de l’élaboration de son rapport annuel, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) s’est saisi, en avril dernier, de la problématique de l’habitat indigne. « Les travaux cibleront deux territoires, la métropole de Marseille et le département de la Seine-Saint-Denis. Un état des lieux de l’habitat indigne en France ainsi que des politiques locales sur ce sujet en milieu urbain sera réalisée au préalable », indiquait alors l’instance. Le rapport ne devrait pas tarder à sortir puisqu’il devait déjà être rendu au Premier ministre avant la rentrée 2019.
(1) Simplifier les polices de l’habitat indigne. Promouvoir l’habitabilité durable pour tous – Guillaume Vuilletet, octobre 2019.