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30 ans, une célébration en demi-teinte

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Le 20 novembre prochain, la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) fêtera ses 30 ans. Une célébration qui est aussi l’occasion de dresser le bilan de l’effectivité de ces droits en France pour… tous les enfants.

La Convention internationale des droits de l’enfant (Cide), ce sont 54 articles constituant l’engagement international le plus unanimement approuvé de tous les textes internationaux (seuls les Etats-Unis ne l’ont pas ratifiée). Au cours des trente dernières années, les droits sont devenus une réalité pour des millions d’enfants, s’est félicité, le 25 octobre, Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, lors de la commémoration du 30e anniversaire de la Convention relative aux droits de l’enfant. « Mais beaucoup reste à faire », a-t-il cependant reconnu lors de cette célébration, à New York, en marge du débat gé­néral de l’assemblée générale des Nations unies.

A Paris, un colloque organisé le 25 octobre par la Ville de Paris, le défenseur des droits et son adjointe la défenseure des enfants, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape) a été aussi l’occasion de dresser le bilan des progrès, reculs ou stagnations en termes de droits de l’enfant, trente ans après la CIDE. « Cette convention n’est pas un morceau de papier signé il y a trente ans et mettant fin à plus de soixante-dix ans de réflexion dans toutes les instances sur les droits de l’enfant. C’est du droit positif et, en même temps, ce qui est caractéristique dans ce droit conventionnel, c’est un levier d’action », souligne Jacques Toubon, défenseur des droits.

Adeline Gouttenoire, professeure à la faculté de droit et de science politique à l’université de Bordeaux, explique que, depuis trente ans, le droit français a évolué « vers une prise en considération plus importante de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Une influence qui a marqué le droit de la famille, le droit pénal pour les mineurs victimes et les mineurs délinquants, l’école, le handicap, la santé. « On a une vraie évolution vers un changement de paradigme. Le prisme aujourd’hui est l’enfant et son intérêt supérieur », ajoute-t-elle. 30 ans, est-ce l’âge de la maturité pour la Cide ? « “Bon élève, mais peut mieux faire”… Cette formule résume la position de la France par rapport aux droits de l’enfant », nuance Adeline Gouttenoire.

Composé d’experts indépendants, le comité des droits de l’enfant des Nations unies contrôle la mise en œuvre de la Cide, en examinant les rapports que les Etats s’engagent à publier régulièrement dès lors qu’ils ont ratifié le traité. A la suite de l’audition de la France en janvier 2016, le comité a rendu 22 pages de constats et de recommandations et un rappel concernant la mise en œuvre de recommandations formulées en 2009 qui n’avaient, sept ans après, toujours pas été appliquées. « Cela est révélateur des liens entre la France et l’ONU, mais également de la non-priorité des droits des enfants dans notre pays pendant des années », commente Geneviève Avenard, défenseure des enfants.

Beaucoup d’exceptions

Josiane Bigot, présidente de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape) considère que le bilan après ces trois décennies est globalement satisfaisant. « La société française essaie de faire en sorte que le respect de l’enfant en tant que personne, en tant que sujet, soit une dominante. Mais ce principe souffre de beaucoup d’exceptions. Trop d’enfants sont encore sous le seuil de pauvreté, trop d’enfants sont en exclusion scolaire totale et trop d’enfants sont victimes », pointe-t-elle. Et de faire référence également au « traitement plus que critiquable » des mineurs non accompagnés, au « traitement absolument pas adapté » des enfants en conflit avec la loi, au traitement « en opposition avec les principes de la convention accordé aux enfants qui souffrent de handicap, en particulier psychique ». Geneviève Avenard abonde dans le même sens : « Ce sont les enfants les plus vulnérables qui sont les plus éloignés de leurs droits, alors que du fait de leur vulnérabilité ils devraient bénéficier de plus de soins, d’attention. Les enfants étrangers, les enfants en situation de pauvreté, les enfants en situation de handicap, les enfants qui relèvent de la protection de l’enfance, les enfants délinquants, emprisonnés, les enfants malades, les enfants qui ont des difficultés à l’école, les enfants aidants de leurs parents qui sont considérés comme des adultes plutôt que des enfants », égrène la défenseure des enfants. Adeline Gouttenoire note, pour sa part, un recul de la protection, notamment en droit pénal, de la tranche des 16-18 ans. « Il y a un risque que l’on associe la grande adolescence aux majeurs dans des dispositifs pour les mineurs délinquants, avertit-elle. Or les 16-18 ans sont aussi des mineurs qui doivent bénéficier des droits de l’enfant. »

Endiguer les violences familiales

Et au niveau international ? Marie Brisset, première défenseure des enfants de 2000 à 2006, énumère les « immenses progrès » constatés au niveau mondial depuis trente ans et nés de la dynamique politique entraînée par la Convention internationale des droits de l’enfant. Ces avancées notables se manifestent notamment par la réduction drastique de la mortalité infantile et par le développement massif de l’accès à l’école.

« S’il y a un point sur lequel aucun progrès n’a été réalisé c’est la lutte contre la violence, constate Marie Brisset. Avec la violence des conflits armés, on compte 50 millions d’enfants actuellement dans les camps de réfugiés, 500 millions d’enfants qui vivent dans les pays en guerre. » Et de poursuivre : « La violence familiale, elle, ne diminue nulle part. Ni ici, ni ailleurs. La famille est le lieu le plus dangereux pour les enfants, c’est là qu’ils ont le plus de risques de subir des coups, des violences sexuelles, psychologiques, des humiliations. » Adeline Gouttenoire soulève : « Le fait que des enfants meurent encore sous les coups de leurs parents est la preuve que l’on n’arrive pas à endiguer ce problème de santé publique extrêmement lourd, important, pour lequel la France fait assez peu de progrès et pour lequel il faut s’interroger sur les moyens que l’on veut bien y mettre. »

Au rang des violences subies par les enfants, Marie Brisset ajoute celles de nature administrative et judiciaire « qui consistent à prendre des mesures pour un enfant sans lui avoir demandé son avis et sans jamais rien lui expliquer ».

Ancienne défenseure des enfants de 2011 à 2014 auprès de Dominique Baudis, défenseur des droits d’alors, Marie Derain de Vaucresson, secrétaire générale du Conseil national de la protection de l’enfance rappelle que la protection de l’enfance cristallise de nombreux enjeux en lien avec la Convention internationale des droits de l’enfant et son application. En 2016, le comité des droits de l’enfant de l’ONU avait reproché à la France d’avoir une gouvernance de la protection de l’enfance pas assez claire et pas articulée, un manque de visibilité sur l’effort financier consacré à cette politique publique et une absence d’orientation stratégique en la matière. « La loi du 5 mars 2007 a commencé à inscrire activement les droits de l’enfant dans la protection de l’enfance, mais la France n’était à cette époque pas tout à fait mûre pour inverser les paradigmes. Cette loi fixait pour objectif de prévenir les difficultés auxquelles les parents pouvaient être confrontés dans l’exercice de leur responsabilité éducative, d’accompagner les familles, etc. Cette primauté de la famille a eu des effets délétères comme des interventions de la protection plus tardives, avec des situations parfois très dégradées », explique Marie Derain de Vaucresson. Et de poursuivre : « Cette lecture assez rigide de la loi a produit des effets qu’il fallait renverser. Face à ces constats, la loi du 14 mars 2016 s’est imposée du point de vue des besoins et des droits des enfants. L’article 1 de cette loi précise d’ailleurs que “la protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits”. Le moment était venu pour la France d’entrer dans la protection de l’enfance vraiment par les droits de l’enfant. »

Lors de ce colloque, Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris chargée des solidarités, de la lutte contre l’exclusion, de l’accueil des réfugiés, de la protection de l’enfance (et elle-même également ancienne défenseure des enfants), est longuement intervenue sur la situation des mineurs non accompagnés (MNA). Dans sa ligne de mire, le décret du 31 janvier 2019 qui modifie la procédure d’évaluation des MNA et crée un fichier biométrique réunissant les données sur ces mineurs. « Au regard des textes qui viennent contrecarrer les droits posés par la Cide, l’intérêt supérieur de l’enfant, qui paraît être assez mal compris, n’est pas toujours au cœur de ceux qui font la loi, de ceux qui prennent des décisions dans les collectivités, des administrations de l’Etat qui prennent des décisions pour des enfants », déplore-t-elle. Et d’asséner : « L’enfant n’est pas vu par le même prisme quand il est classiquement enfant de la France ou quand il est enfant sur un camp de réfugiés, enfant rom, mineur isolé marocain de la Goutte d’Or [quartier du XVIIIe arrondissement de Paris, ndlr] qui refuse toute mesure de protection de l’enfance. »

Des inégalités territoriales et sociales

Selon Geneviève Avenard, défenseure des enfants, cette célébration des 30 ans de la Cide pose la question de la temporalité. « Les sujets qui sont aujourd’hui travaillés sont les mêmes que ceux il y a vingt ou trente ans. Le temps des enfants n’est pas celui des institutions et des professionnels. Combien d’enfants en trente ans n’ont pas vu leurs droits respectés ? » interroge-t-elle. La défenseure des enfants fait part d’une augmentation régulière des réclamations : « Nous en sommes à plus de 3 000, mais nous ne savons pas si cette augmentation est due à une meilleure connaissance de l’institution du défenseur des enfants ou à une aggravation des situations. De plus en plus d’enfants nous saisissent directement, cela représente aujourd’hui 13 à 14 % des dossiers. »

A l’heure du bilan des 30 ans de la Cide, Geneviève Avenard pointe du doigt également un accroissement des inégalités sociales et territoriales, « avec un impact lourd sur la réalisation des droits des enfants, sur leur intérêt supérieur et leur bien-être ». Des inégalités territoriales qui se manifestent aussi bien entre les territoires urbains, semi-urbains et ruraux qu’entre la métropole et les territoires d’outre-mer. « Ces inégalités territoriales ont des effets dévastateurs sur les enfants qui sont très sensibles aux notions de justice et d’injustice. Elles provoquent des sentiments de rejet, d’exclusion que l’on aura le plus grand mal à surmonter en leur parlant de citoyenneté et d’engagement. Les droits des enfants sont les devoirs des adultes. Si on permet aux enfants d’être égaux devant leurs droits, on réduit le risque de créer les conditions de la désaffiliation par rapport à notre société », conclut-t-elle.

J’ai des droits, entends-moi !

En partenariat avec près de 50 associations œuvrant pour le respect des droits de l’enfant en France, le défenseur des droits a lancé une consultation nationale intitulée « J’ai des droits, entends-moi » auprès de 2 200 enfants et jeunes, « afin de recueillir leurs réflexions, propositions et recommandations sur la mise en œuvre de leurs droits en France ». Sur dix enfants consultés, sept ne connaissaient pas leurs droits et ne s’étaient jamais exprimés. Le 20 novembre, jour anniversaire de la signature de la Cide, le défenseur des droits proposera aux enfants et adolescents, au cours d’une grande manifestation en partenariat avec l’Unesco, de présenter l’ensemble de leurs propositions aux acteurs institutionnels français et internationaux, aux membres du gouvernement et élus locaux, aux associations et aux professionnels de l’enfance.

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