Les chiffres sont vertigineux et révèlent bien l’urgence de la situation. Si le rapport remis par Myriam El Khomri à Agnès Buzyn ce 29 octobre n’est pas qu’une litanie de statistiques, de pourcentages et autres montants mis bout à bout, les nombres évoqués montrent bien l’ampleur de son plan. S’il faut commencer par en mettre un en avant, ce serait celui du coût des principales orientations de ce rapport. L’ancienne ministre du Travail, missionnée fin juin pour réfléchir à l’attractivité des métiers du grand âge, propose « une réforme organique » qui se décline en 59 mesures, divisées en cinq axes, nécessitant de dégager 825 millions d’euros annuels sur la période 2020-2024. « Il faut voir ces dépenses comme des investissements dans l’avenir, argumente Myriam El Khomri. En effet, lorsque vous avez des taux d’absentéisme de 10 % à 20 %, cela représente un coût certain pour les entreprises. Ce que nous avons porté vise justement à utiliser de l’argent en investissement plutôt qu’en réparation. Nous considérons en effet qu’il faut être dans une logique préventive et non plus curative. »
Dans le détail, après près de quatre mois de travaux, 150 auditions et 80 visites de terrain, la première mesure consiste à créer 92 300 postes supplémentaires d’aides-soignants et d’accompagnants des personnes en perte d’autonomie d’ici 2024. Ce qui représente 18 500 postes en moyenne sur les cinq prochaines années (voir l’interview ci-contre). Recruter massivement suppose de mieux former et différemment. En effet, les candidatures aux formations d’aide-soignant ou d’accompagnant éducatif et social (AES) ont chuté de 25 % en cinq ans. C’est pourquoi Myriam El Khomri propose de garantir la gratuité de la formation (hors frais d’inscription) et de supprimer le concours d’aide-soignant en le remplaçant par une inscription à une formation sur Parcoursup, comme c’est désormais le cas pour devenir infirmier. Elle souhaite aussi porter à 25 % (25 000 aides-soignants sur 100 000 formés par an) la part des diplômes délivrés chaque année dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Elle suggère enfin de valoriser l’alternance en portant à 10 % la part des diplômes obtenus.
Côté salaire, alors que l’ancienne ministre a rappelé que « ce secteur compte 17,5 % de ménages pauvres, contre 6,5 % pour l’ensemble des salariés », le rapport préconise de remettre à niveau, au plus tard au 1er janvier 2021, les rémunérations inférieures au Smic dans les grilles de certaines conventions collectives. Il s’agit, selon elle, de « mettre un terme à des situations qui voient certaines salariées rester au Smic pendant neuf, voire 13 ans ». Autre priorité : l’amélioration de la qualité de vie au travail. Rappelant qu’il y a 104 accidents du travail pour 1 000 salariés dans le secteur, contre 64 pour 1 000 dans le bâtiment et 34 pour 1 000 en moyenne chez les salariés, le rapport suggère de lancer « un programme de lutte contre la sinistralité ciblé sur ces métiers », financé à hauteur de 100 millions d’euros par les excédents actuels de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. « Il faut passer […] d’une logique curative à une logique préventive », souligne Myriam El Khomri, affichant l’objectif d’une baisse de sinistralité de 25 % en cinq ans.
Qualifiant ce rapport de « feuille de route à la fois courageuse, innovante et opérationnelle », Agnès Buzyn a fait savoir qu’elle lancera, d’ici la fin de l’année, « une grande conférence sociale réunissant les partenaires sociaux, les fédérations, les gestionnaires de services d’aides à domicile » autour des métiers du grand âge. Conférence qui sera coprésidée par Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et pilotée par « une personnalité qualifiée nommée par le Premier ministre ». Ajoutant que cette conférence devrait rendre « ses conclusions d’ici le tout début de l’année 2020 », Agnès Buzyn a été interrogée sur le fait de savoir si cela décalait ou non le projet de loi. « Nous coordonnerons tout ça », a-t-elle simplement répondu. Pas sûr que cela rassure les acteurs du secteur…