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« Quand 17,5 % des salariés du domicile sont sous le seuil de pauvreté, il y a urgence »

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L’ancienne ministre Myriam El Khomri a remis à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, le 29 octobre, un rapport qui suggère des pistes pour rendre plus attractifs les métiers du grand âge. Elle en détaille ici la philosophie générale et quelques-unes des mesures.
Vous annoncez vouloir créer 18 500 postes par an et 92 300 d’ici 2024. A quoi ces chiffres correspondent-ils ?

Pour répondre aux besoins de prise en charge du grand âge, des financements massifs devront être dégagés dans les prochaines années pour créer d’ici fin 2024 près de 92 300 postes supplémentaires d’aides-soignants et d’accompagnants des personnes en perte d’autonomie, ce qui représente environ 18 500 postes par an en moyenne sur les cinq prochaines années. Dans le détail, le vieillissement de la population (les personnes en perte d’autonomie bénéficiant de l’APA passeront de 1,387 million en 2020 à 1,479 million en 2025, ndlr) entraînera un besoin supplémentaire direct d’environ 20 700 équivalents temps plein (ETP) d’ici à fin 2024 pour la prise en charge de ces personnes en établissement et à domicile. De plus, nous souhaitons augmenter de 20 % le taux d’encadrement des personnes en perte d’autonomie. Cela représente 66 500 ETP supplémentaires qui seront nécessaires d’ici à fin 2024. Enfin, nous suggérons de mettre en place une demi-journée de travail collectif par mois dans les services de soins à domicile (2 400 ETP) et les Ehpad (2 700 ETP). Ce qui nécessite donc au total 5 100 ETP d’ici fin 2024. Par ailleurs, les besoins en recrutement sur les postes existants seront massifs, en raison des 60 000 postes non pourvus aujourd’hui, des départs massifs en retraite dans les cinq prochaines années et du turn-over, qu’on peut estimer à 200 000 postes. Au total, ce sont donc près de 352 600 aides-soignants et accompagnants qu’il faudra former dans les cinq prochaines années (70 520 par an, soit le double des flux actuels d’entrée en formation).

Mais, concrètement, quand sera réellement pratiqué le ratio un soignant pour un résident annoncé dès le plan « solidarité – grand âge » de 2006 ?

Je ne pourrais pas vous le dire parce que le ratio 1 pour 1 comprend tous les professionnels, dont les personnels administratifs. Nous avons centré notre réflexion sur les aides-soignants et les intervenants à domicile en essayant d’augmenter leur présence pour que ces professionnels n’aient pas six minutes pour faire déjeuner les personnes âgées. Je ne pourrais donc pas vous dire de combien serait le ratio de personnel paramédical avec les 20 % d’encadrement supplémentaires proposés. On ne parle pas de la même chose.

Certes, mais cela demeure l’une des revendications majeures des syndicats, l’une des raisons de leurs différentes grèves. Que leur répondez-vous ?

La question n’est pas de savoir ce que je leur réponds. Aujourd’hui, il y a 60 000 postes non pourvus. Ce qui pèse sur le ratio. Nous considérons donc que, au minimum, il est nécessaire d’augmenter le taux d’encadrement de 20 %. C’est clair. C’était notre sujet de réflexion. Comment faire pour que ces 60 000 postes soient pourvus ? Il faut donc créer 18 500 postes dès l’an prochain et en même temps s’organiser pour que ces postes soient pourvus. C’est le sujet essentiel. Très franchement je ne sais pas aujourd’hui à combien s’élève le ratio actuel, en dehors des postes non pourvus. C’est bien de parler de ratio mais si les postes créés ne sont pas pourvus cela ne sert à rien. Mon sujet est de savoir comment faire en sorte que les équipes, dans les maisons de retraite et les services à domicile, soient plus nombreuses. Pour cela, il faut répondre aux offres d’emplois non pourvus et créer des postes. Ce qui veut dire aussi que, dès l’an prochain, nous devons former deux fois plus de personnes.

La mesure 18 consiste à mettre en place un baromètre national sur la qualité de vie au travail. Cela consiste-t-il à généraliser l’indice d’alignement humain (voir ce numéro, page 36) ?

Cela doit s’en rapprocher effectivement. Mais ce qui nous semble important, c’est que l’on pilote ces enjeux d’absentéisme et de sinistralité. Nous demandons à soutenir et amplifier les innovations de type Alenvi, Humanitude(1), méthode « Buurtzortg »(2) et autres parce qu’elles ont déjà un impact sur la baisse de l’absentéisme et de la sinistralité. On souhaite donc la mise en place d’un observatoire national (mesure 59) qui permette le dialogue social. C’est en discutant avec les fédérations et l’ensemble des organisations syndicales que l’on pourra vraiment avancer sur la question de l’organisation du travail. Ces professionnels sont tellement sous l’eau qu’il nous paraît urgent d’essayer d’inventer un autre système, d’élaborer des équipes de proximité.

La mesure 41 entend créer un campus des métiers du grand âge. A quelle échelle : départementale, régionale ou nationale ?

Plutôt à l’échelle départementale. Il y a déjà des projets à l’étude. Nous avons trouvé intéressant de structurer cela avec des centres de recherche. Il y a un très fort besoin d’innovations technologiques dans ce secteur. Ce centre doit permettre de réfléchir aussi bien aux enjeux de la domotique et de la robotique qu’aux différentes passerelles en termes de métiers ou à la mobilité des carrières. Il y a aussi énormément de choses à faire pour limiter la pénibilité. Il y a besoin d’innovations et de recherches en la matière. Ce campus doit servir à cela. Il n’y en aura pas nécessairement un par département mais il faut en tout cas un certain nombre de pôles de ce type sur le territoire.

La mesure 44 consiste à créer un « senior Bafa ». Qu’est-ce que c’est ?

C’est une proposition qui vient de la députée Audrey Dufeu Schubert. Le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa) est souvent financé par la Caisse nationale des allocations familiales. L’idée est de créer un diplôme de ce type qui permettrait de rendre plus attractifs les métiers du grand âge. Il s’agirait d’une formation prise en charge par les CAF, en lien avec les collectivités. Le but étant de devenir animateur auprès d’un public âgé ou en situation de dépendance. Celui-ci interviendrait à la fois en établissement et à domicile, les intervenants à domicile appréciant de pouvoir amener de temps à autre les personnes âgées dans des moments collectifs. Le « senior Bafa » serait ainsi un levier supplémentaire pour attirer vers le secteur du grand âge et de l’autonomie.

Etes-vous certaine que votre rapport va être pris en compte dans la future loi et que cette loi va vraiment être présentée ?

Quand on a 17,5 % des salariés intervenant à domicile sous le seuil de pauvreté et que l’on a un besoin grandissant de ces personnes-là, je considère en effet qu’il y a une urgence. Je crois en l’engagement sincère d’Agnès Buzyn. C’est ce qui m’a convaincue de m’engager dans cette démarche quand je l’ai rencontrée fin juin. Elle a proposé une méthode de travail avec une conférence sociale réunissant les fédérations, les organisations syndicales, les employeurs. Celle-ci devrait remettre ses travaux début 2020. Si ces deux mois permettent de négocier la mise en œuvre de ce rapport et que cela atterrit dans la loi, c’est une bonne chose. Mais j’ai conscience que si l’on veut réussir ce défi de l’attractivité, il y a vraiment besoin de quatre piliers : assurer de meilleures conditions d’emploi et de rémunération, réduire la sinistralité et améliorer la qualité de vie au travail, moderniser les formations et changer l’image des métiers et innover pour transformer les organisations.

Tout au long de la mission, nous avons été confrontés à beaucoup de lourdeurs. Nous avons essayé de trouver des voies de passage. Ce qui n’a pas toujours été facile. Mais c’est à la fois une exigence éthique, économique et organisationnelle de revoir les choses.

Qu’avez-vous appris en menant cette mission ? Qu’en retiendrez-vous ?

J’ai beaucoup appris. C’est une très belle leçon d’humanité. J’ai énormément appris auprès des professionnels. Il ne suffit pas de dire qu’ils sont courageux et engagés. En réalité, il y a une forme de résilience. Ils ont des conditions de travail pénibles ; or ce ne sont pas eux que l’on entend le plus se plaindre. Je trouve qu’il y a quand même un gouffre entre les attentes et les exigences que l’on a auprès de ces professionnels et la réalité de la considération et de la reconnaissance que l’on peut avoir. On parle beaucoup des métiers qui vont disparaître, et ceux qui resteront sont les métiers dans lesquels il y a une forte relation humaine. En l’occurrence, ce sont des métiers de la relation humaine qui pourtant ne sont pas les plus valorisés dans notre société.

Des premières critiques

Dans un communiqué de presse, la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem) « s’étonne et s’inquiète de constater que l’emploi à domicile entre particuliers (emploi direct et mandataire), première solution d’accompagnement des personnes dépendantes à domicile, n’ait pas été traité par le rapport “El Khomri” ». « Les 137 450 professionnels ETP intervenant auprès de plus de 1 million de particuliers employeurs âgés et en situation de handicap ne sont donc pas concernés », déplore-t-elle. Pour cette raison, la Fepem propose de rédiger un rapport complémentaire spécifiquement dédié au secteur de l’emploi à domicile.

Notes

(1) Voir ASH n° 3116 du 21-06-19, p. 24.

(2) Voir ASH n° 3123 du 30-08-19, p. 17.

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