« On est sur des réductions budgétaires massives. » Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime qu’il y a « une grande cohérence » des mesures gouvernementales en matière de logement social : celle de faire des économies. « La baisse du montant de l’aide personnalisée au logement (APL) de 5 euro, la mise en place de la réduction du loyer de solidarité (RLS) [appliquée par les bailleurs sociaux aux locataires dont les ressources sont inférieures à un plafond, NDLR], la contemparéinéisation de l’APL repoussée à janvier 2020 : tout cela fait un peu moins de 4 milliards d’économies et 20 à 25 % du budget consacré aux APL chaque année, évalue l’économiste. Il y aura d’autres économies à attendre sur le poste APL avec la mise en place du revenu universel d’activité. »
Rappelant que l’exposé des motifs de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) mettait en avant un besoin d’investissements, un manque de mobilité résidentielle en France et des loyers trop élevés, Pierre Madec considère que les réponses apportées par le gouvernement « ne sont pas en cohérence avec le diagnostic », notamment avec la réduction des aides à la pierre : « On part du fait que les loyers sont chers mais on baisse les moins élevés, c’est-à-dire ceux du parc social. »
Pour Cédric Van Styvendael, président de Housing Europe, la Fédération européenne du logement social, « le manque de logements abordables en Europe est une arme de destruction massive de la cohésion sociale ». Un Européen sur dix dépense plus de 40 % de ses ressources pour se loger, et 40 % des ménages les plus pauvres consacrent 40 % de leur budget à ce poste. Alors que l’Europe compte 156 millions de personnes en situation de précarité, « si le logement était identifié comme le facteur de cette pauvreté, le chiffre pourrait être divisé par deux », juge-t-il. Et de poursuivre : « Entre 2007 et 2016, on se rend compte que le logement est important, mais on passe de 40 milliards d’investissements européens à 27 milliards. Dans ce même moment, on a une diminution des aides publiques à destination des acteurs du logement social, et les seules aides en augmentation sont celles pour les acteurs du privé. On marche sur la tête ! » Le président de Housing Europe note toutefois un changement dans des pays tels l’Allemagne, l’Angleterre, les Pays-Bas. « Ils reviennent sur leurs politiques extrêmement libérales qui visaient à confier la production de logements abordables à des acteurs privés parce que les résultats sont catastrophiques. »
Selon lui, la Commission européenne estime le coût du manque de logements abordables à 194 milliards par an. Avec 300 milliards, l’Europe est capable de répondre à ces lacunes. Il manque 150 milliards d’investissements chaque année, dont 57 milliards pour le logement social. « Au niveau européen, seuls les acteurs des territoires de droite et de gauche reconnaissent l’importance des politiques publiques en faveur d’un habitat abordable. Les départements, les communes, les intercommunalités, les métropoles sont en train de prendre le virage », considère Cédric Van Styvendael. Il pointe du doigt le fait qu’il n’y a pas, en France, une grande volonté du gouvernement. « Mais on a une fenêtre de tir politique au niveau européen. On a trois à six mois pour mettre en avant la question du logement abordable avec deux registres : celui de la production de logements neufs et celui de la réhabilitation énergétique du parc. L’impact de la RLS en France est une baisse des capacités d’investissements des bailleurs. Il faut donc au minimum que l’on retrouve une capacité à intervenir sur le parc existant, sans quoi on risque d’avoir à la fois moins de productions de logements neufs et une dégradation du parc actuel. » La solution ? Des contractualisations entre les niveaux européen et local. « Des fonds structurels vont être fléchés sur le logement social. Pour les territoires, il y a un espace à saisir auprès d’une Europe plus volontariste que l’État français sur le logement social. »