« Les personnes vieillissent, vivent de plus en plus longtemps. En même temps, il y a une stabilité des moyens publics pour leur accompagnement »… Le constat de Jean-Vincent Trellu, président de l’association plus que trentenaire Le Temps du regard, est sans équivoque. Son équipe accompagne une trentaine de personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, elle lance un projet de construction de 50 nouveaux logements, dont 16 seront destinés à l’accompagnement de ces personnes. Un jardin et une maison de voisinage dans le lotissement doivent y permettre la mixité et le lien social. Mais voilà : le projet représente 820 000 € par an. « On savait que le conseil départemental n’aurait pas les moyens », résume Jean-Vincent Trellu. Il a ainsi été décidé de partager les investissements : 37 % à la charge du département ; un pot commun des futurs résidents ; et le reste, près de 300 000 € par an, sera à puiser dans les financements privés d’entreprises. « C’est un nouveau mode d’action sociale. Jusqu’ici, nous avions l’habitude de demander à l’Etat. Il faut que l’on positive l’absence de financements publics », assume le président de l’association.
Cela revient-il à « pactiser avec le diable » ?, comme interroge ironiquement le médiateur de la table ronde du Salon des expérimentations et initiatives solidaires (SEIS) qui portait sur ce sujet de plus en plus brûlant. La tendance à l’augmentation de la part du financement privé dans les structures associatives du médico-social, comme dans le paysage associatif en général, soulève des craintes. Entre autres, celle de la disparition des petites structures « qui n’ont pas de personnes dédiées à la recherche de ces financements », comme le rappelle une personne dans le public. Une autre mentionne les conséquences sur la professionnalisation des travailleurs sociaux : « Etant donné que les financements privés sont ponctuels, cela ne risque-t-il pas d’entraîner leur précarisation ? »
Restent les contradictions éthiques. Une jeune professionnelle impliquée dans le développement de projets en protection maternelle et infantile, elle-même prise dans cette problématique mais réticente à aller chercher de l’argent privé, pointe le risque du « social-washing ». « Ces entreprises donnent du sens à ce qu’elles font », soutient Frédéric Bourcier, adjoint délégué à la solidarité et à la cohésion sociale au sein de la mairie de Rennes. Avant de préciser : « Evidemment, il y a la carotte fiscale. Mais j’ai envie de dire, comme tout citoyen avec ses impôts sur le revenu… »
« Les financements privés ne peuvent pas remplacer les financements publics. Ils doivent venir en appui, et non à la place de », tente de rassurer Jean Saslawsky, directeur général de la fondation La France s’engage. « Les volumes n’ont de toute façon rien à voir. Nous ne sommes pas là pour remplacer, mais pour soutenir les moments clés du projet : l’essaimage, l’innovation. » Cependant, lorsqu’une collectivité établit une fondation territoriale, « n’est-elle pas en train de chercher des financements de substitution, et pas seulement additionnels ? », s’enquiert le modérateur à destination de Frédéric Bourcier. L’adjoint municipal est en effet venu présenter SolidaRen, une plateforme de projets solidaires à laquelle a été adossée une fondation de la collectivité dans le but de financer les structures porteuses. Parmi les entreprises alimentant ces fonds : Engie, ou encore le groupe bancaire Arkéa. « C’est le risque… Parfois, nous sommes sur les marges », admet l’adjoint municipal, laissant là les craintes en suspens.
Des professionnels de l’association Sauvegarde de l’enfant à l’adulte en Ille-et-Vilaine initieront, le 14 novembre à Rennes, un « réseau collaboratif de pair-aidance » sur le territoire rennais. Tous sont partis « des limites et intuitions rencontrées dans nos situations professionnelles », explique Mathieu, éducateur spécialisé, au nom de l’association. Ces travailleurs sociaux veulent prendre à bras-le-corps le sujet de la pair-aidance, « encore trop circonscrit à certains secteurs ». Au rendez-vous du 14 novembre sont conviées toutes les personnes intéressées : le réseau doit « fonctionner de manière horizontale, comme le supposent les approches collaboratives auxquelles nous sommes formés », fait valoir l’éducateur spécialisé. Les problématiques de statut, de salariat ou de formation des institutions seront soumises à débat au sein du futur réseau. L’idée est avant tout de « créer l’espace propice aux échanges et à la coconstruction de projets avec et pour les publics accompagnés », avant que « des décisions ne s’imposent de manière descendante dans les structures ».