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« Remettre la personne au cœur du parcours de vie »

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Alors que la loi « grand âge et autonomie » devrait être présentée en conseil des ministres d’ici la fin de l’année, les différents acteurs du secteur entendent peser dans le débat. Relativement plus discrets que les services d’aide à domicile et les Ehpad, les particuliers employeurs ont pourtant des choses à dire.
Quel est l’état des lieux actuel pour votre profession ?

Nous sommes dans une période où tout peut se passer. Il y a des moments comme ça, des périodes au cours desquelles vous sentez que quelque chose peut changer. Nous allons soit profondément transformer les modèles existants, soit, au contraire, être frileux et reporter les enjeux actuels. Mais la réalité est que nous sommes vraiment dans une période de changement de paradigme.

Vous avez effectivement récemment indiqué que « nous étions au bout d’un chemin, d’un système » …

Oui. Et cela, nous pouvons le mettre en perspective avec trois transitions majeures actuelles : la transition écologique, celle démographique et celle numérique. Ces trois transitions sont contemporaines. Elles ont lieu maintenant, en 2019, et vont avoir un enjeu très fort entre 2020 et 2030. C’est pour cela qu’il est important d’avoir une vision à moyen terme. Il ne faut pas penser à une semaine ou un mois, mais à six mois, un an, cinq ans… Si la question du grand âge ne faisait pas partie du programme présidentiel, les difficultés du terrain ont fait que le gouvernement s’est rendu compte des enjeux autour du vieillissement de la population. A un moment donné, nous avons donc vu apparaître les termes de « plan grand âge ». Un peu comme on a parlé du « plan santé ». A ce moment-là, je me suis dit que les choses allaient dans le bon sens. Je trouvais qu’il était intéressant d’avoir une perspective à moyen terme de ce que la société française et le gouvernement veulent pour les personnes âgées de demain. Mais, depuis, des missions et autres rapports se multiplient sans que des choses concrètes aboutissent. Or j’ai peur que, à force de faire des rapports hors sol, les résultats ne soient pas à la hauteur de ce que l’on espère. Je crains que l’on soit en dessous de ce qu’il faudrait faire aujourd’hui en termes de décisions à prendre en vue des prochaines années. Il faut lancer une ligne de conduite dès à présent. Les choses bougent quand on le veut. Il va donc falloir le vouloir pour le grand âge. Mais, pour l’instant, ce ne sont que des épiphénomènes par rapport à un enjeu qui demande une véritable vision politique. Vision qui, selon moi, ne peut venir que du président de la République. Il faut donc que celui-ci se mobilise pour enclencher quelque chose qui va profondément transformer le secteur.

Précisément, que faut-il modifier ?

Il faut avant tout remettre la personne au cœur du parcours de vie. Et ce parcours de vie passe par le domicile. Quand on dit cela, on dit deux choses : « domicile et citoyen » et « domicile et territoire ». Aujourd’hui, cela fait trente ans que la politique d’accompagnement du grand âge s’inscrit dans une politique sociale avec un mandat de délégation de politiques publiques, avec une territorialité qui fait que, quand on change de département, on change de pays. Cela devient illisible pour la population. Surtout, cette manière de fonctionner n’est plus adaptée aux besoins de la vie contemporaine des personnes qui ont aujourd’hui 65-70 ans. Celles-ci ne veulent pas être accompagnées comme le sont actuellement leurs parents. Il y a une vraie cassure entre ce que vivent les jeunes seniors actifs aujourd’hui et ce qu’ils voient, ce qu’il se passe pour leurs parents âgés. Et ce qu’ils vont vouloir pour eux-mêmes. Eux ont compris. Je ne suis pas sûre que la politique publique ait totalement compris cette révolution souterraine et silencieuse.

Nous en sommes à faire de la maltraitance involontaire parce que les modèles d’organisation d’accompagnement de la politique sociale sont à bout de souffle. Parce qu’on n’a pas voulu totalement considérer que le citoyen peut être un contributeur de cette réponse aux besoins. Il va bien falloir un jour ou l’autre poser le problème comme tel. On ne peut pas avoir une énième loi qui va nous réexpliquer comment il faut faire la politique publique sociale par le biais de missions d’intérêt général confiées à des acteurs. Ceux-ci vont continuer à tayloriser leurs activités avec des moyens de moins en moins adaptés. Et avec un domicile qui est l’objet, et non le sujet. Alors qu’il faudrait l’inverse. Le domicile et le citoyen doivent être le sujet et la prestation sociale doit être l’objet.

Mais que faut-il faire pour que la situation évolue favorablement ?

Aujourd’hui, l’emploi à domicile en France n’est pas partie prenante des lois. Nous sommes à l’extérieur. Nous n’existons pas. Nous sommes exclus. Le sujet n’est pas la Fepem. La Fepem n’est qu’un porte-voix de ce qu’il se passe sur le terrain. C’est cela, la première pierre qu’il faut ajouter à l’édifice. Je n’imagine même pas que l’on retrouve une loi qui ne dirait pas que le particulier qui emploie à domicile (quels que soient son âge et son état de dépendance) est utile à l’accompagnement du vieillissement. Point barre. Cela fait quatre lois « vieillissement » de suite qu’il n’est même pas évoqué ce qu’est un particulier employeur, ni même la question de l’accompagnement direct par les personnes qui ont des besoins à domicile dans un environnement reconnu. Nous sommes dans une situation délirante où l’on rend presque invisible l’emploi à domicile comme contributeur du vieillissement. Ce n’est pas du tout la réalité actuelle du terrain. Je n’imagine donc pas que la future loi « grand âge » ou les différentes orientations de la politique publique n’intègrent pas enfin l’emploi à domicile comme contributeur de la politique publique du vieillissement et comme solution.

Plus particulièrement, qu’attendez-vous sur les métiers du grand âge alors que Myriam El Khomri doit rendre son rapport à la fin du mois ?

Je me suis battue avec madame El Khomri pour qu’on ne s’occupe pas que des professionnels qui travaillent dans les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] ou dans les structures de prestation. Je verrai jusqu’où elle ira. Je sais qu’elle est tenue par des enjeux qui sont éminents complexes. Mais je vais veiller au fait que les professionnels assistants de vie auprès des particuliers employeurs soient reconnus comme étant aussi légitimes que ceux travaillant dans des structures. Je vais aussi veiller au fait que les partenaires travaillent à la consolidation, à l’accompagnement et à la qualité de tous ces enjeux avec les relais assistants de vie ; au fait que l’on ait un tarif socle sur l’emploi direct et mandataire et que les conseils départementaux soient enfin saisis et arrêtent de nous laisser à la porte en considérant que nous ne sommes pas dans la politique publique. Si ces points sont traités, cela permettra de faire avancer le sujet.

Au-delà de vieillir à domicile, que faut-il faire pour réellement pouvoir y mourir ? Quel est le rôle de l’assistante de vie dans cette fin de vie ?

Pour cela, il faut croiser la partie « hospitalisation et Ehpad » avec celle du « domicile ». Aujourd’hui, là où cela coince, c’est que l’on ne peut pas dire aux personnes qu’elles vont vieillir le plus longtemps possible à domicile et les déloger à la dernière minute pour les mettre en Ehpad ou aux urgences. Madame Buzyn vient de dire que l’on ne passerait plus par les urgences mais directement au service de gérontologie pour y mourir. Il faut donc réfléchir à un accompagnement complet à domicile. Pour cela, les rôles des aides-soignants et des infirmiers doivent être repensés. Peut-être que demain nous aurons besoin de vrais professionnels d’accompagnement de la fin de vie au domicile. Ils seront bien identifiés, au bon endroit. Mais à côté il y a aussi tout un ensemble d’activités à mettre en place, à redistribuer. Le fait d’aller au bout d’une stratégie qui dit que vieillir et mourir à domicile est possible et pas seulement de parler du « bien vieillir », du « mieux vieillir à domicile le plus longtemps possible », revient à mettre en place des structures d’accueil qui sont des mouroirs. Est-ce que c’est ça que veulent les gens ? Je ne crois pas. Je crois que certains vont effectivement se retrouver à l’hôpital et y mourir. D’autres peuvent tranquillement finir leur vie avec des personnels de soins qui les accompagnent et avec un environnement bienveillant.

Etes-vous confiante en l’avenir ?

Oui. Parce que vous me questionnez. Parce que vous en parlez. Parce qu’il y a des conférences sur le sujet. En fait, ce que je cherche à faire, c’est apporter la preuve que c’est possible. Et il me semble que des petits espaces s’ouvrent pour que l’on puisse déposer cette preuve. C’est possible. Cela peut se faire. Cela se fait déjà et il est possible de mieux faire si nous sommes partie prenante et contributeurs légitimés. Encore une fois, ce n’est pas la Fepem qui doit être légitimée. C’est chaque citoyen se trouvant dans cette situation d’employé à domicile. Il ne faut pas remplacer les réponses actuelles. Il faut que les autres réponses s’habituent à comprendre que les trente dernières années ne sont pas les trente prochaines.

Notes

(1) Fepem : Fédération des particuliers employeurs de France. Cese : Conseil économique, social et environnemental.

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