« Pour 90 % d’entre vous, la feuille de route gouvernementale dite “Ambition transformation 2019-2022” ne prend pas en compte les changements à opérer au sein de cette société civile, a déclaré Luc Gateau, président du mouvement associatif. Nous sommes très clairement à un tournant, la question historique qui se pose à nous est celle de la place que nous voulons pour les personnes avec un handicap au sein de la société. » L’État consacre-t-il les moyens suffisants pour cette transition inclusive ? Pour certains acteurs, au rang desquels l’Unapei, de gros efforts restent à faire. En mai 2018, le Forum européen des personnes handicapées et Inclusion Europe avaient déposé une procédure de réclamation collective devant le Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe pour faire condamner l’État français pour violation des droits fondamentaux des personnes handicapées. Cette démarche avait été déclarée recevable le 16 octobre. « Nous espérons voir cette réclamation aboutir en 2020, a précisé Luc Gateau. Notre mouvement sera intransigeant sur les conditions de réussite de cette transition inclusive. » Et d’expliquer que l’Unapei attend « un rattrapage en urgence des manquements de l’État en matière d’accès aux droits et de financement des accompagnements. C’est l’un des grands points de la réclamation collective ».
Trois autres axes sont au rang des priorités pour le mouvement qui compte 550 associations et plus de 3 000 établissements et services médico-sociaux. « Une coconstruction avec tous les acteurs concernés : les étapes, les moyens, le lexique, la structuration de cette transition inclusive sur la base d’une réelle évaluation des besoins et des attentes des personnes et de leurs familles ; un bouleversement des codes de la société, des représentations relatives aux personnes handicapées ; et enfin, la garantie d’un accompagnement adapté des personnes, quel que soit leur handicap », égrène Luc Gateau.
Volet principal de la réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour personnes en situation de handicap, la réforme Serafin-PH (services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées) a été lancée en novembre 2014. Sa principale ambition est de « fonder le financement des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) sur l’objectivation et la liaison entre les besoins des personnes accompagnées et les réponses qui leur sont apportées ».
Du nouveau dans ce chantier : le comité stratégique Seraphin-PH se tiendra le 14 novembre. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) présenteront à Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, les premières hypothèses relatives au modèle de financement possible. Les trois scénarios qui ont fait l’objet de travaux d’approfondissement reposent sur deux questions fondamentales. Tout d’abord, qui est destinataire du financement ? La personne physique ou la personne morale ? Ensuite, quelle est la base de financement ? Le premier scénario consiste en un financement à la personne physique à partir de ses caractéristiques. Le deuxième, un financement à l’ESMS à partir des caractéristiques de la personne et de l’ESMS. Enfin, le troisième repose sur un financement à la personne et à l’ESMS, à partir des caractéristiques de la personne et de l’ESMS.
« L’Unapei privilégie l’approche mixte qui propose un financement via un droit de tirage individuel sur le périmètre restreint, couplé à un financement des établissements médico-sociaux sur l’ensemble du périmètre restant. C’est dans la complémentarité des deux logiques, plutôt que dans leur opposition, que se construira l’avenir », a indiqué le président de l’Unapei. Il a insisté sur la nécessité de rester vigilant sur les prestations solvabilisées, sur la délimitation du périmètre des prestations directes qui rentreront dans ce droit de tirage individuel, et enfin sur le besoin de « savoir où mettre le curseur ».
Luc Gateau a souligné également sur l’importance d’« une parfaite connexion entre les besoins et les financements des prestations, des évaluations précises, qualitatives, objectives des besoins et des accompagnements à mettre en face ». Il a salué le fait que pour les associations, ce grand chantier soit « l’occasion de favoriser l’émergence de nouvelles prestations » ; tout cela nécessitera un encadrement, un contrôle de la qualité de l’accompagnement et ceci, sur un principe d’égalité des territoires. Enfin, ce modèle ne doit « en aucun cas aboutir à une augmentation du reste à charge pour les personnes ou à un désengagement de la solidarité nationale », a mis en garde le président de l’Unapei. Une enquête au sein de son réseau a été lancée « pour consolider et affiner » la position du mouvement associatif lors du comité stratégique, le 14 novembre.
« Il n’y aura pas de transformation de l’offre médico-sociale si on ne travaille pas avec les autres acteurs de la société : l’école, l’emploi, le logement, les transports, l’offre culturelle, l’offre sportive. La responsabilité collective sur cet enjeu est d’avoir des lieux partagés », a appuyé Cécile Poulet, secrétaire générale du comité interministériel du handicap (CIH). Un point de vue partagé par Luc Gateau. Cécile Poulet a également incité les adhérents de l’Unapei à valoriser le rôle social de la personne en situation de handicap. Selon elle, il faut que le médico-social investisse la pair-émulation, l’accompagnement par les pairs, l’expertise des personnes qui fait pour l’heure l’objet de peu d’expériences sur le champ médico-social.
En octobre 2017, Catalina Devandas-Aguilar, rapporteuse spéciale de l’ONU sur le handicap, déclarait, lors d’une visite en France, « qu’il n’y a pas de bons établissements » et demandait au gouvernement « un plan d’action pour assurer la fermeture progressive de tous les établissements » au nom de la « désinstitutionnalisation ». Une déclaration qui avait secoué le secteur. « Oui, l’établissement est dans le collimateur de l’Europe et des Nations unies, mais la rapporteuse spéciale de l’ONU parle au nom de l’accès aux droits fondamentaux des personnes en situation de handicap. La transformation des établissements est dans la mixité avec la population, mais c’est également davantage d’accès aux droits fondamentaux », souligne la secrétaire générale du CIH.
Difficile de parler de transition inclusive sans aborder la question des financements attribués au secteur du handicap. « Face à une ambition de société inclusive, on ne voit pas les efforts nécessaires pour permettre cette montée en puissance et être à la hauteur des ambitions que le gouvernement se donne », a regretté Luc Gateau. De son côté, Cécile Tagliana, adjointe à la directrice générale de la cohésion sociale, et Virginie Magnant, directrice générale de la CNSA, ont rappelé que les 180 millions d’euros dédiés à la transformation de l’offre médico-sociale n’ont pas été fléchés sur un nombre de places en établissement ou en services. « La DGCS a laissé le soin aux acteurs territoriaux de faire le diagnostic et de dire là où ils voulaient mettre les crédits, de définir les priorités », a-t-elle rappelé.
La représentante de la DGCS a égrené ensuite les différents chantiers en cours qui vont contribuer à inscrire le secteur dans cette logique inclusive : les nouveaux modes d’action pour reconnaître la fonction ressources des ESMS vers d’autres ESMS ou vers le milieu ordinaire, les équipes mobiles, comme c’est le cas avec les équipes mobiles d’appui médico-social pour la scolarisation des enfants en situation de handicap, la dérogation aux appels à projets… « Au fur et à mesure des différents projets de loi, on a assoupli le recours aux appels à projets. L’agence régionale de santé d’Île-de-France passe même par des appels à manifestation d’intérêt pour aller chercher encore plus d’innovations de la part des offreurs médico-sociaux que sont les associations », explique Cécile Tagliana. Et de poursuivre : « L’élargissement de la nomenclature des autorisations est assez compliqué à mettre en œuvre. Mais elle doit permettre aussi d’accueillir des publics différents, sous des modalités différentes, sans avoir à refaire une autorisation. La mesure de la satisfaction dans les ESMS peut mieux jauger la manière dont les personnes vivent leur accompagnement. » Sans oublier, plus récemment, la réforme de l’évaluation interne et externe.