Annoncé en septembre 2018 par le président de la République lors de la présentation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, le revenu universel d’activité (RUA) ambitionne de fusionner le plus grand nombre d’aides sociales en une prestation unique. Objectifs visés ? « Instaurer un système d’aides sociales plus accessible et plus lisible, capable de faire régresser le taux de non-recours, mais aussi de soutenir chaque bénéficiaire dans sa réinsertion et la reprise d’une activité. »
Depuis le 3 juin dernier, le gouvernement a engagé une concertation institutionnelle avec les territoires, les associations et les partenaires sociaux. Le Comité d’entente, collectif de 55 associations représentatives des personnes en situation de handicap et de leurs familles, organisait un point presse le 8 octobre pour réaffirmer son opposition à ce que l’allocation aux adultes handicapés (AAH) intègre le périmètre du futur RUA. « L’AAH n’est pas un minimum social comme les autres, elle est tout à fait distincte, puisqu’elle vise à apporter un minimum de ressources, un revenu d’existence pour les personnes qui, du fait de leur situation de handicap, ne sont pas en mesure de travailler ou le sont de façon très partielle, sans pouvoir tirer de ce travail des revenus suffisants pour leur existence et leur vie quotidienne. L’AAH constitue l’amorce d’un véritable minimum de ressources garanti à tous les handicapés adultes et consacre l’abandon du recours au principe d’assistance comme fondement des droits que détient la personne handicapée vis-à-vis de la collectivité », souligne Roselyne Touroude, vice-présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) et porte-parole du Comité d’entente. « La logique à l’œuvre dans la réflexion autour de la création du RUA risque non seulement de remettre en question le principe fondateur de l’AAH basé sur la solidarité nationale, mais elle porte aussi en elle un risque de dégradation des droits et de perte de pouvoir d’achat des allocataires. L’AAH n’est pas seulement un montant d’une allocation, mais c’est une architecture avec des droits connexes et des dispositifs spécifiques », poursuit-elle.
Après avoir signé une tribune dans le Journal du dimanche le 14 juillet dernier, les associations remontent donc au créneau pour multiplier les arguments justifiant du non-sens de l’intégration de l’AAH et de son financement dans le futur RUA. Alors que le gouvernement met en avant cinq impératifs qui justifient la création d’un RUA – dignité, simplicité, transparence, équité, responsabilité –, le Comité d’entente avance, dans une contribution, des arguments pour démontrer que chacun de ces impératifs ne colle pas avec l’AAH ni avec la spécificité de ses 1,1 million de bénéficiaires.
L’impératif de dignité ? L’AAH y répond déjà, selon les associations. « La garantie d’un minimum de ressources par le biais de l’AAH, au même titre que la formation, les soins ou l’éducation, constitue une obligation nationale. La collectivité doit fournir un revenu d’existence aux personnes les plus vulnérables de notre société. C’est le principe de la dette sacrée, l’un des fondements de notre République ! », insiste Roselyne Touroude. Et d’ajouter : « Le travail est un vecteur important de dignité, mais ce n’est pas le seul ! » Au nom de ce même impératif de dignité, le Comité d’entente réclame que le montant de l’AAH soit « au moins égal au seuil de pauvreté » (1 026 € mensuels pour une personne seule).
Pour les associations, l’impératif de simplification avancé par le gouvernement ne concerne également pas l’AAH. « Cette allocation est parfaitement claire et lisible, neuf Français sur dix la connaissent et savent comment l’obtenir. La MDPH [maison départementale des personnes handicapées] est le guichet unique depuis la loi du 11 février 2005 et identifiable sur tous les départements. L’intégration de l’AAH dans le RUA pourrait être, au contraire, synonyme de complexification pour les allocataires en multipliant les interlocuteurs, les évaluateurs et les bases ressources prises en compte. La suppression de l’AAH et son remplacement par un revenu socle RUA et un éventuel supplément handicap contribuerait à mettre en place un système à deux vitesses », estime Roselyne Touroude. Elle ajoute que la problématique du non-recours concerne « marginalement » les personnes en situation de handicap. « Fin décembre 2017, 1,13 million de personnes perçoivent l’AAH, dont 55,6 % l’AAH1 (taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 %) et 44,4 % l’AAH2 (taux d’incapacité entre 50 % et 79 %). Entre 1990 et 2017, le nombre d’allocataires de l’AAH a doublé », détaille le Comité d’entente dans sa contribution. Les associations sont d’autant plus suspicieuses par rapport à l’argument de simplification administrative que le gouvernement l’avait avancé pour justifier la suppression du complément de l’AAH (PLF 2019, art. 83) à compter du 1er novembre 2019 pour les nouveaux allocataires et dans dix ans pour les allocataires actuels.
Quant à l’impératif de transparence qui vise à permettre aux allocataires du futur RUA « de prévoir l’évolution de leurs revenus et d’identifier clairement le gain monétaire apporté par le travail », le Comité d’entente avance là aussi des éléments justifiant qu’il ne s’applique pas aux allocataires de l’AAH. « 80 % des bénéficiaires de l’AAH sont dans l’incapacité de travailler. Parmi les 20 % qui travaillent, seulement 10 % sont en milieu ordinaire et à temps partiel. Les freins à l’emploi des personnes en situation de handicap sont ailleurs et ne sont pas dans l’AAH. Il faut agir sur d’autres leviers », explique Pascale Ribes, administratrice à l’APF France handicap, tout en signalant que près de 500 000 demandeurs d’emploi sont en situation de handicap et 200 000 personnes licenciées pour inaptitude au travail. Roselyne Touroude rappelle que les associations du Comité d’entente travaillent « d’arrache-pied » pour améliorer l’accès à l’emploi des personnes handicapées, et notamment des allocataires de l’AAH. « Depuis septembre 2011, nous nous battons contre le décret du 16 août 2011 qui stipule qu’un travail à mi-temps de dix-sept heures trente en milieu ordinaire ne permet pas d’obtenir la reconnaissance d’une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi, et donc n’ouvre pas droit à l’AAH à une personne qui a un taux de 50 à 79 % d’incapacité. Ce texte est un frein réglementaire majeur à l’insertion professionnelle des allocataires de l’AAH. Il y a de nombreuses mesures, des leviers et des politiques à mener dans le champ de l’emploi et de l’accessibilité pour l’ensemble des handicaps, mais la solution n’est certainement pas de supprimer l’AAH ! », fulmine la porte-parole du Comité d’entente. Et Ali Rabeh, directeur du cabinet du président de la Fédération Apajh (Associations pour adultes et jeunes handicapés), de déplorer : « Les objectifs de la réforme du RUA pour permettre l’accès à l’activité ne sont pas du tout adaptés aux personnes en situation de handicap et, à l’inverse, le cadre fixé pour la concertation ne nous permet pas d’aborder les vrais sujets sur lesquels les associations sont mobilisées depuis des années. »
S’agissant de l’impératif d’équité, le Comité d’entente souligne que l’AAH y répond déjà puisqu’elle est attribuée par la MDPH sur critères médicaux et sociaux selon l’évaluation de la situation de handicap de chaque personne. « L’équité passe avant tout par la reconnaissance de l’inégalité de destin des personnes en situation de handicap », martèle Roselyne Touroude. Les associations proposent que soit ouvert un chantier dédié à l’amélioration de l’AAH pour « supprimer les disparités territoriales » en matière d’attribution de l’allocation par les MDPH, et de « corriger l’inéquité entre allocataires de l’AAH1 et de l’AAH2, alors que les frontières sont ténues entre ces deux catégories de bénéficiaires ».
Enfin, si l’impératif de responsabilité exige des bénéficiaires du futur RUA une contrepartie en matière de recherche active d’emploi, le Comité d’entente rappelle que le gouvernement lui-même, par la voix de ses ministres, a fait preuve de lucidité en renonçant à imposer cette contrainte aux allocataires de l’AAH. « Cette exigence de contrepartie est en totale contradiction avec les fondements et la vocation de l’AAH. Nous ne sommes pas dans la logique du RSA ni dans celle du futur RUA. Vouloir intégrer l’AAH dans un revenu universel d’activité qui prévoit des droits, des devoirs et des sanctions ne correspond absolument pas à ce public, ni à ses besoins, ni à ses possibilités, ni à la philosophie qui a prévalu en 1975 et en 2005 lorsque l’AAH a été créée », insiste Roselyne Touroude.
Interrogé lors du point presse du 8 octobre, Olivier Noblecourt, délégué interministériel chargé de la lutte contre la pauvreté et aussi de la concertation sur le RUA, a répondu aux inquiétudes exprimées par le Comité d’entente en soulignant que « le caractère inconditionnel de l’AAH » serait « préservé quoi qu’il arrive ». « Les associations nous demandent des garanties, elles sont pour l’essentiel satisfaites. Nous les avons données à l’écrit comme à l’oral », a-t-il assuré. Mais le scénario d’une intégration de l’AAH dans le RUA accompagnée de garanties est loin de satisfaire les associations. « En quoi les garanties que l’on pourrait nous donner aujourd’hui engageraient-t-elles les gouvernements ou des majorités dans les prochaines années ? N’importe qui pourrait toucher aux paramètres et, en rapprochant philosophiquement les allocations pour les personnes en situation de handicap et celles de solidarité nationale, gommer au fur et à mesure les spécificités du handicap », argue Ali Rabeh. Pour le directeur de cabinet du président de l’Apajh, la seule voie possible est de « sanctuariser l’AAH ». « Plutôt que de bricoler une réforme et de faire rentrer au forceps les allocataires de l’AAH en acceptant quelques compromis avec les associations, conservons plutôt l’autonomie, l’existence pleine et entière de l’AAH, qui se justifie en 1975, en 2005 et en 2019 ! »
Le 8 octobre, le gouvernement a lancé la consultation citoyenne nationale sur le revenu universel d’activité (RUA), avec la mise en ligne d’une plateforme dédiée (www.consultation-rua.gouv.fr). Un jury citoyen sera chargé, en janvier 2020, de faire la synthèse de la consultation. La concertation sur le RUA aboutira à un rapport remis aux ministres en début d’année 2020, en vue d’un projet de loi présenté au Parlement en 2020. Les premiers versements du RUA sont programmés en 2022-2023.