Le sujet est, à la fois, assez mal connu et extrêmement important. Il y a au moins un enfant sur quatre en âge scolaire dont l’un des deux parents est immigré. Leur scolarité représente donc un enjeu démographique et social fort. Quoi que l’on en dise, les diplômes sont encore déterminants dans les trajectoires individuelles, la facilité à trouver du travail ou pas… Ce thème a été l’objet de plusieurs travaux en sociologie, notamment durant ces deux dernières décennies, mais le discours public, médiatique, politique reste totalement saturé d’idées reçues. C’est le cas, en général, pour les discours sur l’immigration, très réducteurs, mais cela se traduit de manière spécifique dans le cas des enfants d’immigrés. Le thème de l’intégration, pour eux, se concentre sur leur échec scolaire. Certes, les enfants d’immigrés ont, en moyenne, plus de mal à l’école que ceux de parents non immigrés. Cela se vérifie en termes de résultats scolaires, d’orientation, de diplômes… Cela ne relève pas prioritairement de leur statut d’« étrangers » mais simplement du fait qu’ils viennent de familles économiquement et éducativement davantage en difficulté. Le constat est identique dans la population française générale : les enfants de parents plus diplômés réussissent mieux à l’école que ceux de parents n’ayant pas fait ou peu d’études. Les enfants d’immigrés ne sont pas moins doués que les autres, mais leurs parents sont globalement moins favorisés.
C’est l’une des originalités du livre, qui s’appuie à la fois sur des analyses statistiques de grandes enquêtes et sur une centaine d’entretiens qualitatifs auprès d’immigrés et de leurs enfants, en France et en Angleterre. Je me suis aperçu que, dans beaucoup de situations, on ne pouvait pas comprendre le rapport à l’école des parents, leur mobilisation autour de la scolarité des enfants, si l’on regardait seulement leurs conditions de vie dans le pays d’immigration. Car, dans beaucoup de cas, les immigrés avaient dans leur pays d’origine un milieu social plus élevé que celui qu’ils ont dans le pays d’accueil. Ils peuvent avoir été bien instruits, et assez longuement, avoir eu des métiers qualifiés, des moyens économiques et culturels… Ces ressources prémigratoires sont difficiles à mesurer et ne se voient pas nécessairement quand ils arrivent en France, ou ailleurs, mais elles font partie de leur expérience et sont fondamentales. Il faut en tenir compte pour comprendre que la reproduction des inégalités selon l’origine sociale se définit un peu différemment pour les familles françaises et pour celles immigrées, dans la mesure où il faut considérer aussi leur position avant que celles-ci émigrent. Par ailleurs, les enfants d’immigrés ne constituent pas une masse homogène. Donc parler d’eux globalement ou en les qualifiant au singulier de « deuxième génération » ne correspond pas à la réalité, qui est très diverse selon l’origine géographique, le niveau social, les quartiers de résidence… Certains s’en sortent relativement bien à l’école, même s’ils sont sous-représentés dans les grandes écoles et les institutions élitistes.
Au rebours d’une représentation optimiste de l’Ecole républicaine, qui postule une égalité de traitement de tous les élèves, celle-ci ne réduit pas les inégalités sociales initiales. Elle les convertit en inégalités scolaires par le biais, entre autres, de la ségrégation scolaire, en partie héritée de la politique du logement et de la ségrégation urbaine, mais également produite dans l’école. Certaines classes concentrent beaucoup des élèves en difficulté, et/ou de milieux très populaires et/ou d’enfants d’immigrés. Ce phénomène a des effets néfastes : ce sont les enfants d’immigrés qui pâtissent le plus des mauvaises conditions de scolarisation. Des études aux Etats-Unis et en Angleterre montrent également la vigueur de certains préjugés. Ainsi, les élèves d’origine du Sud-Est asiatique sont présentés comme la minorité immigrée modèle. Cela a des conséquences sur les notes. J’ai montré que les enseignants français avaient tendance à surnoter légèrement ces élèves, notamment en maths. L’explication la plus communément donnée pour justifier leurs bonnes notes est celle de la culture, principalement l’influence de Confucius. C’est assez simpliste et peu convaincant. Les traits culturels ne permettent de comprendre ni les différences au sein d’un même groupe ni les variations historiques. Aux Etats-Unis comme en Angleterre, il y avait déjà des Asiatiques dès avant la Seconde Guerre mondiale. Or, jusqu’aux années 1970, ce n’était pas la population qui réussissait le mieux. Sauf à penser que le confucianisme millénaire a changé en quelques décennies, cette hypothèse n’est pas très opérante. Il faut replacer les pratiques culturelles dans la structure sociale. Et se demander si ces élèves ne sont pas issus d’un milieu relativement favorisé dans leur pays d’origine. Auquel cas ce n’est pas tant la culture dite « nationale » mais une culture de classe qui est impliquée dans leurs parcours scolaires.
Contrairement à un stéréotype répandu, principalement à l’égard des familles africaines, avoir une famille nombreuse n’est pas nécessairement défavorable pour les enfants d’immigrés, alors que ça l’est en moyenne chez les non-immigrés. Les aînés de la fratrie, surtout les filles, peuvent jouer un rôle de soutien de leurs cadets, de partage de connaissances du système scolaire, d’aide aux devoirs, d’encadrement, d’encouragement à aller à l’université… Ils agissent comme des références, des exemples. La scolarisation des frères et sœurs donne à l’école, préalablement imaginée, une place concrète. Elle apporte des ressources absentes de la socialisation venue des parents qui, souvent, ne sont pas allés à l’école en France. Quand la trajectoire des aînés n’est pas à la hauteur des attentes des parents, elle sert alors de contre-exemple. Dans ce contexte, les familles nombreuses ne sont pas un poids pour la réussite scolaire. Il y a aussi des situations où des voisins, des associations locales jouent un rôle positif dans le suivi de la scolarité. C’est surtout le cas dans les quartiers socialement mixtes, où se côtoient des familles pauvres et de classes moyennes et où il peut y avoir un transfert d’informations vers les familles immigrées. Le capital social, c’est-à-dire des liens plus ou moins forts que les enfants d’immigrés entretiennent à travers différents types de réseaux, joue un rôle important dans leur scolarité. Mais si l’on devait citer un seul facteur de réussite scolaire des enfants d’immigrés, ce serait le diplôme des parents. Ce point est valable aussi pour les enfants de natifs.
(Institut national d’études démographiques), auteur du livre Les enfants d’immigrés à l’école (éd. PUF), Mathieu Ichou coordonne avec Cris Beauchemin et Patrick Simon la seconde édition de l’enquête « Trajectoire et origines » (TeO2) sur les immigrés et leurs descendants.