Esprits critiques

Dès l’introduction, la couleur est annoncée… « La parade affichée de neutralité n’est qu’un discours d’autorité. C’est pourquoi toutes les interprétations du monde social, autant celles qui le comprennent pour l’encenser que celles qui manifestent plus de distances, doivent être soumises à l’examen. » Et c’est ce que fait ce manuel, qui fourmille d’arguments et d’explications pour mettre en garde le lecteur contre les analyses réductrices, les fausses évidences, les vérités toutes faites… Une centaine de contributeurs (sociologues, historiens, économistes, acteurs du social…) ont participé à l’élaboration de cet ouvrage de plus de 1 000 pages, levant le voile sur les mécanismes qui produisent et reproduisent les inégalités, les discriminations, les normes, la marchandisation, le mérite scolaire, le coût du travail, des services publics, de la protection sociale… Ils interrogent : les dépenses publiques seraient trop élevées en France ? Si l’Etat les réduit, c’est, à terme, moins de redistribution envers les plus pauvres. L’indemnisation chômage encouragerait l’inactivité, pour ne pas dire la fainéantise ? Près d’un chômeur sur deux perçoit 500 € maximum par mois. « Dans sa version contemporaine, la détestation des pauvres prend, par exemple, la forme de l’appel à la “chasse aux fraudeurs” », pointe un des chercheurs, qui démontre, chiffres à l’appui, que la fraude sur l’ensemble des prestations sociales est bien en deçà du non-recours. Que penser du projet de revenu universel d’activité (RUA), qui pourrait s’apparenter à un système d’assistance a minima et pénaliser les plus précaires ? Pourquoi considérer juste le discours, répété à l’envi, selon lequel l’effort individuel est toujours récompensé, alors que toutes les études montrent que l’école, par exemple, contribue à la reproduction des places sociales ? Comment ne pas avoir honte de ces chiffres : 4 millions de personnes mal logées sur le territoire, 17 000 migrants morts depuis 2014 pour avoir tenté de traverser la Méditerranée… Un livre percutant et « indocile » qui fait du bien.