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Quand l’autisme s’appréhende autrement

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Ouverte depuis le début de l’année à Lunel, dans l’Hérault, la Maison des possibles est une structure associative dédiée à un accompagnement des personnes autistes par leurs pairs. Porté par une éducatrice autiste Asperger et une équipe de bénévoles, cet espace unique en France ne demande qu’à être dupliqué ailleurs.

C’est l’été indien, à Lunel (Hérault). Dans une cour intérieure du vieux centre de la commune, un enfant tente de jongler avec un ballon, sous le regard bienveillant d’adultes. Simple scène de voisinage ? Pas exactement. Si rien, à première vue, ne semble distinguer ce petit espace tranquille, il est pourtant le théâtre d’une initiative unique : la Maison des possibles. Créé en janvier dernier, ce projet associatif est animé par des bénévoles qui œuvrent pour l’intégration et l’accès à l’autonomie d’enfants et d’adultes concernés par l’autisme et d’autres handicaps. Son originalité repose sur une approche encore peu commune en France : la pair-aidance. Plusieurs bénévoles sont ainsi eux-mêmes touchés par l’autisme ou proches de personnes concernées. « On est dans une démarche communautaire, dans l’esprit de ce qui peut se faire au Canada », annonce Rachel Couillet, présidente de l’association Avenir des possibles, qui porte l’établissement. Ce mercredi après-midi, l’éducatrice trentenaire au regard rieur mais déterminé navigue d’une personne à l’autre, épluche les dossiers, évoque les urgences et les projets. C’est elle, le pilier des lieux, le lien de confiance entre familles, intervenants extérieurs, partenaires… A cause de son discours « franc et un peu direct, sans filtre », comme elle en plaisante. Mais surtout grâce à son parcours. « Cela ne se voit pas tout de suite, mais je suis autiste Asperger », confie-t-elle.

Un lieu ressource

Tout est parti d’une discussion lors d’un café, il y a deux ans. « On avait constitué un petit groupe d’autistes, rencontrés sur les réseaux sociaux ou via le bouche-à-oreille, explique l’initiatrice du dispositif. On se retrouvait de façon informelle pour échanger entre personnes qui se comprennent, rompre la solitude et l’isolement. » Ce cercle d’amis avec les mêmes particularités s’est élargi peu à peu. Certains sont autonomes et discutent de leur vie, du travail. D’autres sont accompagnés par leurs proches. Des familles viennent parler de leurs enfants… Un après-midi, ils évoquent le manque de solutions hors institution, l’envie d’un accompagnement différent. Avec leurs troubles, certaines personnes peinent à trouver emploi ou stage. « On voulait s’entraider, apporter une solution aux autistes et à d’autres personnes en difficulté, sensibiliser à la question du handicap », précise Rachel Couillet. Aussitôt dit, aussitôt fait : « On s’est lancés à fond. Il fallait de la disponibilité pour répondre aux demandes, développer des actions d’information, avoir de la visibilité, nouer des partenariats, construire un réseau. »

Le noyau dur de ce groupe bénévole d’entraide compte trois personnes souffrant de troubles du spectre autistique. Parce qu’il est plus facile de se faire accompagner par des personnes partageant les mêmes problèmes, l’association choisit le principe de la pair-aidance. « On a des facilités naturelles liées au socle commun de l’autisme. Même si nos profils sont différents, on partage certaines perceptions sensorielles. On vit des conséquences communes à des difficultés différentes », souligne la présidente. Les premiers bénévoles interviennent à domicile, recommandent des aménagements dans les logements, donnent des conseils aux familles… L’impact est immédiat. Une évidence s’impose alors : créer un lieu ressource d’accueil, d’information, d’orientation, d’accompagnement par et avec des pairs. Un espace de lien social aussi, de soutien, de formation des personnes et de leurs familles. La première étape d’une démarche vers l’autonomie. L’idée est de se focaliser sur les besoins exprimés par les personnes ou leurs proches : communication, sociabilisation, comportement, mobilité, budget, parcours professionnel… Le démarrage n’est pas un fleuve tranquille. Une première implantation est annulée par le propriétaire, à la suite d’une mobilisation du voisinage, inquiet de voir « arriver des autistes ». Un autre site est trouvé : une maison du centre-ville, près des commerces et des transports. « C’était notre priorité : être dans la vraie vie », insiste Rachel Couillet. Sans subventions publiques, mais avec quelques coups de pouce (« crowdfunding », Rotary Club…), les 10 000 € nécessaires aux premiers loyers sont réunis.

Ni un centre de loisirs, ni une garderie

Après avoir ouvert officiellement ses portes en janvier dernier, la Maison des possibles a trouvé en quelques mois son rythme de croisière. Du lundi au vendredi, de 10 heures à 18 heures, l’accompagnement y est assuré par 34 bénévoles. Déjà, 75 personnes et familles sont concernées. Le dispositif reste ouvert pendant les vacances et reçoit des personnes en stage quand les institutions ferment. L’accueil est libre, mais l’accompagnement suppose un rendez-vous d’évaluation. « On définit ensemble les besoins et la façon d’y répondre, note Rachel Couillet. C’est du cas par cas. » Attention : ce n’est ni un centre de loisirs, ni une garderie. « Il faut que l’accompagnement ait un sens. Nos ateliers contribuent à divers objectifs », prévient-elle. De l’habileté sociale à la musicothérapie, en passant par la guidance parentale, l’offre est large. La structure demande une participation aux familles : entre quelques dizaines et quelques centaines d’euros par mois, selon la fréquence des visites et les aides versées à la personne – prestation de compensation du handicap, compléments allocation d’éducation de l’enfant handicapé, participations éventuelles de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Une contrepartie au manque de financements, mais pas question que l’argent soit un frein : la Maison reste ouverte à ceux qui n’ont pas ou peu de droits. Les bénéficiaires ou leurs proches peuvent également devenir bénévoles, participer à l’entretien des locaux… Beaucoup d’intervenants profitent ainsi d’un accompagnement en compensation de leur engagement. « Chacun s’investit pour tous. On est dans une démarche d’aider et d’être aidé », signale Rachel Couillet. L’équipe inclut aussi une dizaine de professionnels bénévoles : un psychologue clinicien, une auxiliaire puéricultrice, une accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), des éducateurs… La plupart ont rejoint l’aventure par coup de cœur, et tous sont formés à la pair-aidance. Les échanges sont constants entre bénévoles et avec les personnes accompagnées, le fonctionnement et les actions menées sont régulièrement analysées.

Sur deux étages, l’espace regroupe salles de réunions et d’ateliers. La lumière est tamisée pour favoriser la concentration. Au premier, dans une petite pièce, Layla Subils, musicothérapeute libérale, travaille un jour par semaine avec des enfants. Elle prend beaucoup de plaisir à cette aventure : « Rachel m’a expliqué le projet, et cela m’a vraiment intéressé. Un tel lieu, on ne voit pas ça partout ! Cela change d’un institut ou d’une école spécialisée. C’est atypique mais cela fonctionne bien. On partage avec l’équipe des objectifs communs. Par exemple, apprendre à s’arrêter quand on dit “stop” : je peux travailler cela sous forme de jeu. » Tony, 13 ans, apprécie ces séances. « J’aime beaucoup la musique, je me sens bien dans cet atelier. » Il mentionne également le shiatsu. Une surprise, quand on sait que les autistes sont réputés hypersensibles au toucher. « C’était un challenge à relever, note le professeur de shiatsu, Patrice Marchal. Il faut savoir doser. Certains peinent à exprimer leurs sensations mais ils sont demandeurs. Des complicités se créent, des personnes s’ouvrent. Pour moi, c’est une belle expérience. »

« On se sent bien »

Layla Subils apprend beaucoup aux côtés des pairs-aidants : « Une personne autiste a une vision du monde différente. Ils nous aident à le comprendre. On est dans le concret. » Dans une dépendance de la maison, un appartement a été aménagé. Il sert à mettre en situation les personnes voulant trouver un logement. « On travaille sur l’usage des ustensiles, la liste de courses, les recettes de cuisine », décrit Géraldine Calabuig, conseillère en économie sociale et familiale, qui propose aussi des entretiens individuels sur le budget ou l’organisation du quotidien. Elle apprécie la confiance et la liberté accordées aux intervenants. « En structure, on doit suivre un protocole. Ici, la méthodologie, c’est : on avance, on teste, on s’adapte. Il y a plus de souplesse dans l’approche, on peut imaginer des choses. » Et Layla Subils d’ajouter : « Le projet laisse beaucoup de place au ressenti des personnes. » Mère d’une fille qui vient toutes les semaines, Béatrice confirme : « J’ai vu l’importance accordée aux besoins réels des enfants. C’est un lieu ouvert où l’on se sent bien. On trouve ce qui nous manque partout ailleurs. » Elle-même assure des ateliers créatifs : « On peut proposer, participer. En tant que parent, il est très difficile d’avoir un enfant non scolarisé. Mais ma fille aime venir ici, pour travailler notamment l’habileté sociale. Cela nous fait du bien. »

Même constat pour Christophe Dugast, dont la belle-fille de 13 ans est une habituée des lieux : « C’est une vraie chance. Un grand “ouf” de soulagement. On a obtenu une dérogation pour qu’elle soit scolarisée au collège d’à côté. Elle passe tous les jours. » Lui aussi s’est investi en tant que bénévole, aidant les adultes dans l’administratif et l’insertion professionnelle : « Ma belle-fille a des difficultés depuis la grande section. Elle avait quitté l’école en 6e, elle a repris en 4e. Depuis qu’elle vient, c’est la première année où cela se passe bien ! On revit, on n’en pouvait plus. On a des outils pour mieux la comprendre. Maintenant, on relativise certains comportements, on apprend à la réconforter, à accepter, à décrypter. » Joachim, 47 ans, retrouve lui aussi le moral. Rachel Couillet était son ancienne référente en Esat (établissement et service d’aide par le travail). « Lorsque je suis tombé malade à cause de mes problèmes d’addiction, je ne pouvais plus travailler », murmure-t-il. Constatant qu’il s’est retrouvé sans accompagnement, la présidente de la Maison l’a invité à Lunel. « On ne m’a jamais jugé quand j’arrivais avec une bière. On me demandait simplement de limiter la quantité. J’ai été aidé pour mes problèmes administratifs. La Maison des possibles, c’est une échappatoire, du lien social. Sinon, je ne sortirais pas de la semaine », lâche-t-il. Après des essais infructueux, Joachim tente un sevrage à domicile : « Ça marche, notamment grâce à ce que je vis ici. J’ai un vrai suivi, humain. » Son plaisir : l’atelier musique. « Pendant trente minutes, c’est un défouloir pour envoyer la rage, les émotions, l’anxiété », avoue t-il.

Une offre complémentaire

Si ce lieu reçoit un public si varié, c’est qu’il refuse le processus des agréments MDPH. « On ne veut pas basculer dans la prescription, les listes d’attente, tranche Rachel Couillet. On est justement là pour aider les personnes sans solution, en limite d’âge, hors structure… Quand on n’a pas besoin d’institution mais qu’on a des difficultés, on doit se débrouiller seul. » Pour autant, ce dispositif n’a pas vocation à « faire à la place des autres », mais à apporter un plus, à compléter l’existant pour des profils aux besoins spécifiques. D’ailleurs, les centres hospitaliers universitaires des environs commencent à orienter des patients vers l’association, laquelle contribue à réconcilier familles et institutions. « Avec les institutions, on partage des ressources d’accompagnement. Après avoir abordé les problèmes, il faut parfois se tourner vers notre réseau de partenaires extérieurs. On négocie des délais de rendez-vous très courts. Si une personne change de région, on tente de mettre en place un suivi », commente Rachel Couillet. De quoi redonner espoir aux familles, selon Christophe Dugast : « Des relations fortes s’instaurent. On sait ce qu’elles ont traversé, se retrouver chez soi, face à un mur. Voir leurs enfants accompagnés par des personnes autistes autonomes, c’est un motif d’espoir. On voit ce que les enfants pourraient devenir avec un bon accompagnement. »

Pour changer les mentalités, les interventions se multiplient en milieu scolaire auprès des élèves et des enseignants… « Notre objectif est l’intervention rapide, assure Rachel Couillet. Nous disons aux établissements de nous contacter plutôt que de renvoyer un enfant en difficulté. » Car l’exclusion provoque régulièrement la déscolarisation. Mathias, accompagné à Lunel et victime auparavant de harcèlement scolaire, en sait quelque chose. « Grâce à une intervention de sensibilisation de la Maison, il a pu parler de ses troubles à ses camarades », indique sa mère. Sous l’impulsion de la présidente, les bénévoles témoignent dans des congrès, des instituts de formation en travail social, des établissements de type Mecs (maisons d’enfants à caractère social)… La structure se tourne aussi vers le monde de l’entreprise. Dernièrement, après avoir recruté une personne ayant des troubles autistiques, la société Enedis a sollicité l’association. « Nous avons sensibilisé l’équipe et la direction, analysé l’environnement et proposé des aménagements. Puis nous avons accompagné la personne pour son premier jour », raconte Rachel Couillet. Laquelle, dans ce cas, ne dévoile pas tout de suite son autisme : « Quand je le dis, à la fin, ils sont surpris, cela contribue à la sensibilisation. On fait de notre particularité une compétence particulière. »

Un modèle duplicable

Ces interventions devraient s’intensifier. L’association prépare en effet un agrément comme centre de formation. « Nous avons besoin de nouvelles ressources, estime Rachel Couillet. Pour garantir la pérennité du lieu, il nous faut une équipe salariée sur place. » Avenir des possibles compte aussi demander des subventions pour développer l’activité hors les murs. L’association discute actuellement avec la commune et la région et établit des contacts avec l’agence régionale de santé et le conseil départemental. Mais le sujet est complexe : le projet bouscule un peu les habitudes des financeurs, qui se montrent frileux. Certains bénéficiaires s’en agacent. « Un lieu comme celui-ci devrait être subventionné par l’Etat, c’est évident », clame Joachim. Un avis partagé par la mère du jeune Mathias : « Après le diagnostic d’autisme, c’est “débrouillez-vous” ! Mon fils avance bien ici. Il est content de venir, il réclame. Une partie des soucis s’améliore. Même les hôpitaux disent que c’est une chance ! »

Désormais, la Maison des possibles pourrait se dupliquer. Plusieurs structures se sont manifestées, intéressées par ce nouveau modèle. Confrontés aux mêmes problématiques, des acteurs associatifs de Gironde sont même venus en immersion pour comprendre le projet. Rachel Couillet en est convaincue : « Le modèle est reproductible, à condition d’en respecter les valeurs. Pour s’inscrire dans la pair-aidance, le mieux est de constituer un binôme de direction avec une personne autiste et l’autre non, et qu’ils soient complémentaires. Il faut aussi réfléchir à l’accompagnement, prendre le temps de se former. » L’investissement financier, lui, est limité : le bureau de l’association le chiffre à 120 000 € pour une année, en comptant l’équipe salariée. « En gros, c’est dix fois moins qu’une structure habituelle, annonce Rachel Couillet. Cela ferait faire des économies à l’Etat. » Sans compter que le projet s’inscrit dans les recommandations du plan « autisme » 2018-2022, qui note l’utilité de la pair-aidance. « Les structures d’Etat sont en retard sur les besoins des personnes », déplore Rachel Couillet. A Lunel, en revanche, la Maison des possibles est à l’avant-garde.

Reportage

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