Il suffit parfois d’un tout petit grain de sable pour que la mécanique s’emballe. Un décalage de versement dans les aides, une dépense inattendue, des frais médicaux exceptionnels, puis viennent les premiers impayés de loyers, les courriers de relance jusqu’à, au pire des cas, l’expulsion. « Contrairement aux idées reçues, c’est une situation que les bailleurs sociaux cherchent à éviter au maximum. C’est dans leur intérêt de maintenir les locataires dans leur logement. Le problème, c’est que quand on a l’étiquette “bailleur”, on se heurte souvent à des portes fermées. Or, là où les bailleurs et les travailleurs sociaux échouent, la médiation sociale fait des miracles », constate Grégory Ouvrard, chargé de projet aux Forges médiation et responsable de MédiaLoc, un dispositif unique à Nantes qui propose de la médiation sociale axée sur la prévention des expulsions. « Nous intervenons lorsqu’un bailleur n’arrive plus à entrer en contact avec ses locataires pour des impayés ou des troubles du voisinage, malgré des courriers, des appels ou des visites à domicile », explique le trentenaire au regard d’azur.
Désormais actrice reconnue de la médiation sociale, l’association Les Forges médiation a développé une expertise auprès des gens du voyage. Sa création en 2008 fait suite à un appel de Nantes Métropole, impuissante à résoudre des conflits sur une aire d’accueil. Aujourd’hui, l’association intervient sur 17 aires d’accueil de l’agglomération nantaise et 4 terrains familiaux de la ville de Nantes. En 2015, l’association élargit son champ d’action en créant Médialoc, financé par le bailleur social nantais Atlantique habitations. Chargé de lancer le dispositif, Grégory Ouvrard accepte avec enthousiasme cette nouvelle corde à son arc. « J’ai œuvré auprès de la communauté des gens du voyage pendant quatre ans. Il était temps que je sorte un peu de cet univers, même si je continue parfois à donner un coup de main, avoue l’ex-commercial. J’aime l’idée d’être pour ces personnes en difficulté une main tendue qui, s’ils s’en saisissent, peut les aider à sortir de l’impasse. Ce qui me plaît dans ce métier, c’est la complexité des situations »
Par le biais de MédiaLoc, l’association propose trois types de prestations au choix, du simple diagnostic de la situation à une prise en charge au long cours, dans le cas où la situation socio-économique du locataire se trouve très fragilisée. La reprise de lien nécessite, en moyenne, trois visites ou prises de contact (y compris téléphonique), mais le bailleur peut également décider, au cas par cas, d’opter pour l’option « table ronde », une rencontre tripartite en présence du médiateur, d’un chargé de contentieux du bailleur et du locataire pour mettre au point un plan pour sortir de la situation d’impayé. Depuis 2018, l’association propose également, si besoin, une veille sociale renforcée (VSR), durant laquelle le tiers médiateur reste mobilisable afin de garantir la réalisation des engagements pris par les différentes parties prenantes. Financée par la Fondation Abbé-Pierre, elle consiste à travailler de manière transversale sur les dossiers. « L’impayé de loyer est souvent le sommet de l’iceberg qui cache d’autres difficultés (dettes, problèmes de gestion administrative, de santé, isolement social, addictions…), que les personnes en difficulté acceptent de nous livrer une fois que le lien de confiance s’est installé entre nous », constate le professionnel de la médiation.
Outre une oreille attentive, ce dernier est en mesure d’orienter les locataires vers les services compétents. « Une fois que les gens ont compris l’objet de ma mission, ils acceptent de se confier. C’est souvent un déclencheur pour les aider à lâcher prise. Le fait de voir leur situation de manière objective leur donne un éclairage différent et agit comme un déclic. Ensuite, ils remontent la pente et peuvent éviter une expulsion. » Très attaché à la spécificité de son métier, qui, à l’instar de l’Europe du Nord, se développe en France, Grégory Ouvrard s’inquiète toutefois du nombre de structures sociales qui affichent une expertise dans ce domaine. Faute de normes précises (France Médiation planche actuellement sur un référentiel), le terme est en effet régulièrement utilisé à mauvais escient. « On ne peut pas être gestionnaire ou travailleur social et médiateur, prévient le responsable de MédiaLoc. Au-delà de nous appuyer sur des techniques de communication très spécifiques, nous avons une position de neutralité qui joue pour beaucoup dans notre capacité à renouer le fil du dialogue. C’est à cette condition que le locataire accepte de se livrer à nous. » Et la méthode porte ses fruits. Dans plus de 90 % des cas, le tiers arrive à rétablir un lien avec le bailleur, à qui il dresse un état des lieux de la situation de façon à pérenniser les relations. « Nous ne sommes que de passage. A nous de créer les bonnes conditions pour que nous puissions nous éclipser rapidement », confie-t-il.
L’Ancenien d’origine a cependant du mal à faire face à la demande. L’an dernier, l’association a contacté 88 locataires en situation d’impayés, dont 48 rencontres, et réalisé 40 accompagnements au long cours permettant, dans la majeure partie, d’éviter l’expulsion. Parallèlement, la plate-forme en ligne reçoit quelque 40 sollicitations, via le téléphone ou le mail, de locataires en situation d’impayés. Des demandes que Grégory Ouvrard tient à traiter, même si elles ne concernent pas forcément le département. « Il faudrait plus de médiateurs sociaux dédiés à cette question en France, et pas uniquement à la gestion des conflits de voisinage. De notre côté, nous aimerions développer le service mais l’aspect financier bloque. D’autant que nos demandes de financement au département n’ont pour l’instant rien donné », regrette-t-il, masquant difficilement une certaine lassitude. Parfois, à l’occasion d’un point avec le bailleur, le médiateur apprend qu’une expulsion a eu lieu, et ce, malgré son intervention. « Dans la plupart des cas, soit les gens n’ont pas tenu leurs engagements, soit nous n’avons pas vu qu’ils faisaient preuve de mauvaise foi. C’est rageant, car je me demande à quel moment je ne l’ai pas repéré, déplore Grégory Ouvrard, mais ce n’est heureusement pas la majorité. En général, les gens que j’accompagne font preuve d’une réelle transparence sur leur situation et se confient plus à moi qu’à leurs proches. » Certains continuent même à lui donner de leurs nouvelles des mois après la fin de sa mission.
aux Forges médiation, une association nantaise qui se définit comme « facilitatrice de liens », Grégory Ouvrard, 39 ans, l’est aussi à MédiaLoc et milite pour le développement des médiateurs sociaux.