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Bidonvilles : quel accompagnement commun des migrants européens ?

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Les échanges franco-roumains ont nourri le 71e atelier de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), portant sur les citoyens européens vulnérables en mobilité dans les bidonvilles. L’inauguration d’une coopération apaisée ? Responsables politiques et associatifs ont esquissé des pistes de travail communes pour améliorer l’insertion de ces publics.
Vers une appréhension commune des publics ?

Plus de 12 000 ressortissants européens vivent dans 254 bi­donvilles français, selon un décompte de juin 2019. L’objectif 2022, fixé par la circulaire du 25 janvier 2018, est de « faire baisser de 50 % la population vivant en bidonvilles ». En ouverture du 71ème atelier de la Dihal, le délégué interministériel Sylvain Mathieu a rappelé le doublement des crédits alloués à cet objectif de résorption, avec un passage « de 4 à 8 millions » en 2020. L’enjeu étant de savoir accompagner ces publics, notamment en coopérant avec leurs pays d’origine.

Si, jusque-là, le défi « a été construit comme un “problème rom” au niveau européen, aujourd’hui il s’agit de réécrire un cadre commun, sur la base d’un sujet devenu celui de la mobilité de populations précaires – un sujet éminemment européen », expose Manuel Demougeot, directeur du cabinet de Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, et du pôle « campements illicites-résorption des bidonvilles ». Comme le rappelle Samuel Delépine, maître de conférences en géographie à l’université d’Angers, ce public a longtemps été « fortement ethnicisé » par l’amalgame entre population des bidonvilles et Roms. Or il est loin d’être homogène. De ses observations sur le terrain, Samuel Delépine relève une « diversité de projets migratoires très grande entre ceux qui viennent avant tout pour scolariser les enfants, pour des soins, pour du travail, ou dans le cadre de migrations pendulaires… »

« Il est étonnant que l’Union européenne ne se saisisse pas de cette dimension des mobilités intra-européennes, qui s’accompagne souvent de mise en précarité et en situation indigne des personnes dans les bidonvilles », pointe Sylvain Mathieu. Certains organismes s’y attellent déjà, comme la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa). Leur projet Prodec vise à « protéger les droits des citoyens mobiles de l’UE en situation de précarité », via un réseau de travail entre la Belgique, le Royaume-Uni et l’Allemagne. L’idée est « d’englober d’autres pays dont la France » précise Mauro Striano, chargé de mission à la Feantsa.

Localement, des coopérations se nouent. Marie-Hélène Nédélec, vice-présidente de Nantes Métropole, expose un travail avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur des « projets économiques de familles de retour en Roumanie », en lien avec des communes roumaines. Le dispositif vise à accompagner les familles « qui souhaitent un retour volontaire », assure le Dr Marius Vladu, expert en développement rural à l’université de Craiova. Quatre communes roumaines sont concernées, à la suite d’un partenariat signé en 2013 entre Nantes Métropole et les départements de Dolj et de Mehedinti. La Fondation Abbé-Pierre et l’association Une famille un toit 44 sont partenaires. Parmi les projets cofinancés : un élevage de chèvres, la création d’une petite entreprise, la rénovation d’une école…

Sylvain Mathieu insiste : « Cette politique de coopération ne vise pas, je le répète, le retour des personnes. » Mais, dans le public, des voix critiques se font entendre. Un responsable du Secours catholique dans les Yvelines témoigne : « Là où il y avait un embryon de diagnostic social lors des expulsions, aujourd’hui et depuis le 25 janvier 2018, il n’y a plus personne de mandaté là-dessus. » Bernard Prieur, membre du collectif de soutien aux Roms d’Ivry, parle d’une « situation schizophrène », caractérisée par un « discours sur la sortie de la précarité, mais une pratique de la répression ». Evoquant les expulsions prévues avant la trêve hivernale, il dénonce un « vernis d’humanisme ». Daniel Radulescu, président de l’Agence nationale pour les Roms, pointe l’enjeu historique de la relation de confiance : durant des années, « l’Etat français a fait une série de retours forcés… La coopération doit être fondée sur l’apprentissage des erreurs du passé ».

Maïa Courtois

Mieux protéger les enfants en coopérant

L’association Trajectoires travaille dans les bidonvilles entre autres sur l’enjeu de scolarisation entre Paris et la Roumanie. « Il faut que les services sociaux des deux pays travaillent ensemble sur la question de la protection de l’enfance », affirme Olivier Peyroux, sociologue et cofondateur de l’association. Certains enfants étaient scolarisés dans leur pays d’origine, et aucun souci de maltraitance n’avait été détecté par l’assistante sociale : alors, « une médiation suffit, c’est que la famille est dans la méconnaissance des démarches ». D’autres étaient dans des situations de déscolarisation et alertaient déjà les services de protection de l’enfance en Roumanie : une continuité doit alors être assurée avec les services sociaux français. La mise en commun du suivi social se fait ainsi au nom d’« une meilleure protection de ces mobilités ». D’autant que certains groupes exploitant des mineurs sont actifs dans plusieurs villes européennes : le sociologue donne l’exemple de l’un d’eux, connu depuis 2004, et présent tour à tour à Berlin, Paris, Londres et Madrid. Dès lors, émerge « la nécessité de créer des réseaux européens, ancrés localement, de protection de l’enfance ». Cela évite également les préjugés réciproques. Olivier Peyroux relate qu’une assistante sociale roumaine lui a expliqué que « le contexte migratoire favorise les mariages précoces, là où, en Roumanie, cela pose des problèmes légaux… » De quoi « éviter le prisme culturel » des professionnels français des services de protection de l’enfance, pouvant les amener à penser que « ce n’est pas grave, ce sont des Roumains, ils ont des pratiques bizarres… »

Repérer les mineurs vulnérables commence dès la rue. La Ville de Paris a mis en place des maraudes organisées par deux travailleuses sociales, en lien avec l’aide sociale à l’enfance. Elles ont pour but de repérer les potentielles exploitations d’enfants à la rue par leur famille, ce qui peut, « en dernier recours, aboutir à un placement », explique Pierre-Charles Hardouin, chef du département des actions préventives et des publics vulnérables de la ville. Depuis 2017, sur 1 000 enfants évalués, 117 placements ont été concrétisés.

Pierre-Charles Hardouin souligne par ailleurs « le besoin d’échanges d’informations entre services sociaux et services scolaires ». Il précise ainsi qu’il n’y a « aucune volonté de la part de la Ville de Paris de les chasser. Le message c’est : bienvenue à Paris, mais sous réserve de scolarisation ! » Une étude d’évaluation, lancée avec Trajectoires et intitulée « Que sont-ils devenus ? » permettra bientôt « d’identifier si nos mesures de protection ont amélioré la situation de l’enfant, permis de le scolariser… Ou si cela n’a fait que déplacer le problème, avec des enfants exploités dans une autre ville européenne ou revenus en Roumanie », précise le chef de département.

« Secret professionnel partagé »

Sur la question récurrente de la scolarisation, Liliana Hristache, membre de l’association Rom réussite et du conseil d’administration du CNDH Romeurope, soulève un problème moins connu que celui de la bataille pour inscrire à l’école les enfants des bidonvilles. Le fait est que, même une fois scolarisés, ces derniers n’auraient souvent « pas droit aux allocations familiales ni aux fournitures scolaires ». A ce sujet, « la position de la France est ouverte et même généreuse, malgré les critiques que l’on peut émettre », défend Manuel Demougeot. Mais Liliana Hristache maintient que, dans son association, certains enfants « sont depuis six ans à l’école, mais leurs familles n’ont toujours pas droit aux allocations ».

D’autres limites se posent autour de ces mineurs vulnérables. D’abord, le problème de la langue, prééminent dans le travail de rue, complique la possibilité d’« avoir une accroche » avec eux. S’agissant des échanges d’informations entre services de protection de l’enfance de pays européens, la problématique de la protection des données « peut bloquer, c’est vrai », reconnaît Olivier Peyroux. « Mais il y a la possibilité de travailler sur un secret professionnel partagé », encourage-t-il.

M. C.

Former les travailleurs sociaux aux réalités des bidonvilles

Le collectif Soif de connaissances, à Lyon, dispense depuis 2018 des journées de formation à destination des assistants sociaux, étudiants et professionnels, sur « Le travail social face aux bidonvilles ». L’objectif ? « Changer leur réflexion et leurs méthodes de travail, car beaucoup disent ne pas comprendre ce que veulent ces publics » expose l’un des animateurs, Florin Mocoi, agent d’accueil social et membre de la Commission nationale de suivi de la résorption des bidonvilles. Comme Florin Mocoi à son arrivée en France, trois intervenants ont aussi vécu en bidonvilles. Ce savoir d’expérience partagé permet de « déconstruire les préjugés » des travailleurs sociaux, afin de « travailler leur posture professionnelle et les aider à s’adapter aux situations spécifiques ». Le collectif compte se développer dans d’autres départements.

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