L’adaptation semble le mot clé du Centre Recherche Théâtre Handicap (CRTH). L’adaptation des lieux culturels pour que les personnes en situation de handicap disposent de la même accessibilité aux spectacles et expositions, aux lieux et aux œuvres. Mais aussi l’adaptation de l’équipe du CRTH aux nouveaux enjeux et demandes. Une innovation constante, spontanée, qui aime surprendre. Créé en 1993, le CRTH a rejoint le groupe SOS Solidarités en 2015, continuant de plus belle un travail de longue haleine. « Nous sommes là pour comprendre les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap ou de fragilité, et cherchons ensuite comment y répondre, explique Emilie Bougouin, directrice du CRTH. Aussi bien en tant que spectateurs qu’en tant qu’artistes ou comédiens dans leurs pratiques culturelles. » Pour chaque établissement demandeur, l’accueil, l’information, le diagnostic, l’audiodescription… tout est regardé à l’aune d’une meilleure accessibilité. Mais le CRTH ne se contente pas de cette mission. Dans son panier de compétences, un volet pratique artistique, qui permet aux personnes en situation de handicap de devenir des acteurs culturels. « Très peu de gens handicapés intègrent le milieu ordinaire pour prendre des cours de théâtre, par exemple. Alors nous proposons des ateliers complètement inclusifs. »
Théâtre, danse, chant, clowns, improvisation… le panel est large. « Notre objectif est de montrer qu’il est possible de faire se croiser des personnes aux besoins différents. » Le CRTH demande simplement aux personnes souhaitant s’inscrire quel est leur besoin spécifique (par exemple, adapter un texte de théâtre avec un lettrage plus gros). Ici, tout semble possible. Tout type de handicap est présent dans ces cours dispensés par des artistes qu’on devine attentifs. « Ils apportent un regard riche, neuf, observe Emilie Bougouin. Ils ont évidemment une sensibilité au handicap. L’équipe les accompagne à la rencontre des ces publics et réfléchit avec eux à des solutions pédagogiques adaptées à chacun. » Une mission « militante et engagée » qui a également pour but, en créant des partenariats et des actions communes avec des établissements culturels, d’aider ces personnes en situation de handicap à intégrer, à terme, une offre grand public. Cette puissance de tir, cette mixité sociale, humaine et artistique offre au CRTH la possibilité de bâtir avec les structures un projet qui leur correspond. Avec l’art comme levier d’accompagnement social, car « ça fluidifie les rapports humains, ça autonomise aussi ». Alors, l’équipe du CRTH va élaborer un calendrier et, surtout, une finalité. Bien sûr, on pense immédiatement à des demandes d’établissements sociaux et médico-sociaux. Le CRTH s’est vu, par exemple, construire un spectacle de théâtre-forum sur la thématique de la sexualité et du handicap en structure médico-sociale, pour une dizaine d’établissements du groupe SOS. « L’idée était de former leurs équipes à ces questions-là. C’est quoi, l’intimité ? Comment est pensée la sexualité des résidents ? Nous avons monté une action de formation. »
Mais ce qui est faisable en milieu protégé est transposable en milieu ordinaire. Et c’est l’intérêt du CRTH, aller encore plus loin. Ainsi, lors de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées 2018, le CRTH a travaillé avec Pôle emploi la question de l’accessibilité de leur site, avec un dispositif de saynètes théâtrales. A priori, difficile de concilier une approche numérique, qui se fait normalement en atelier derrière un écran, et théâtrale. Mais le challenge a plu. Une rencontre, un échange, et les deux structures ont dit « banco ». Le CRTH a alors fait appel à son équipe d’Acte 21, qui « propose une éducation artistique inclusive en milieu ordinaire ». « Chaque projet est unique, insiste Emilie Bougouin. Nous faisons du sur-mesure ! » Une manière de voir le monde qui a séduit Bruno Allain, plasticien, auteur, comédien, qui s’est laissé emporter dans l’aventure. Rendre encore plus accessible le site professionnel de Pôle emploi. Sensibiliser les directions et les salariés. Pouvoir leur « montrer », au sens premier du terme, les difficultés que tout un chacun pourrait avoir face à une page, à un fichier, à un bouton sur lequel cliquer. Pour cela, l’équipe choisit de proposer un format de sensibilisation très différent que celui de poser les gens devant un écran. « On déplace les frontières habituelles, c’est ça qui est riche ! » Bruno Allain interroge alors un grand nombre de personnes en situation de handicap, décortique le site de Pôle emploi et écrit quatre saynètes. « Ils savent faire beaucoup de choses, mais sont toujours en recherche de nouveauté, de simplification… Et, en interne, ils ont aussi besoin de convaincre leur personnel que cette amélioration est importante et utile. » Le but des saynètes est donc de montrer de manière concrète les difficultés qu’une personne peut rencontrer sur le site. « Ce sont souvent des choses toutes bêtes. Un bouton vert et un autre rouge, par exemple. OK, mais comment font les daltoniens ? »
Pour l’auteur, la question majeure a été la suivante : comment transformer des pages d’écran d’ordinateur en scènes de théâtre ? Avec ses quatre comédiens professionnels, eux-même en situation de handicap mais qui, fait important, ne jouaient pas un personnage ayant leur propre handicap, Bruno Allain a pensé à tout. « Prenons ce que Pôle emploi appelle l’“espace personnel”. En fait, c’est une porte que l’on doit ouvrir avec un code. Alors on peut mettre un personnage devant une porte close, qui veut la franchir. » Cette transposition, qui n’a « pas toujours été simple », est cependant beaucoup plus concrète pour des salariés que le côté dématérialisé d’une formation informatique. Les difficultés du quotidien des personnes en situation de handicap sont ici véritablement incarnées. « On peut multiplier les difficultés… Prenons quelqu’un qui n’a pas de bras et se trouve devant cette porte. Il peut la pousser avec l’épaule ? Oui, mais s’il faut la tirer ? L’idée est de dire qu’on peut tous, à un moment, être dans une situation où on est handicapé. »
Une expérience aux retours extrêmement positifs, qui a aidé Pôle emploi à prendre conscience qu’il vaut mieux que ses informaticiens prévoient ces détails au maximum en amont plutôt que de devoir refaire entièrement un portail d’accès… « Ça met les points sur les i. Le “manque” apparaît plus clairement. » Au-delà du côté pratique et de l’idée d’une meilleure accessibilité du site, cette proposition théâtrale participe à une sensibilisation efficace du grand public au handicap. Bruno Allain a construit des saynètes « amusantes, avec des jeux de mots et des clins d’œil, des doubles sens réel/virtuel », et a vu un personnel « presque sidéré », mais conquis. A tel point que Pôle emploi souhaiterait les diffuser plus largement et a demandé au CRTH de les filmer. Le metteur en scène est actuellement en train de les adapter à la captation vidéo, pour un tournage prévu à l’automne et une mise à disposition pour fin décembre. Un beau moyen de prolonger l’aventure.
Extrait d’une étude du groupe SOS pour créer un réseau pilote art et culture…
« Par la multiplicité de ses champs d’action, la diversité des publics accompagnés, la capacité d’innovation issue de son modèle agile, le groupe SOS Solidarités participe de l’évolution continue de la société. Nous pensons que la culture sollicite l’imaginaire, la projection, l’empathie, le courage, l’évasion… Elle permet l’expression individuelle et son partage. Elle valorise ceux qui y participent et ceux qui la font. Ainsi, convaincu que l’art et la culture sont essentiels dans l’accompagnement des publics fragiles, le groupe SOS Solidarités a mandaté le CRTH afin de réaliser en 2019 une étude sur le sujet auprès de l’ensemble de ses établissements. L’étude s’est faite sur la base de collectes d’informations, d’entretiens et de questionnaires. Elle a pour objet de cartographier les pôles, les acteurs et les pratiques artistiques et culturelles existantes, de cerner les problématiques liées aux spécificités structurelles, mais aussi territoriales des établissements ou dispositifs. Elle a pour finalité de faire des préconisations concourant à la création d’un véritable réseau Art et Culture au sein de l’association, permettant ainsi aux salariés et personnes accueillies de développer quantitativement et qualitativement l’offre culturelle et artistique des 230 établissements et services du groupe SOS Solidarités. »