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« Aller vers », le travail social « hors les murs »

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Toucher les personnes en précarité et celles qui ne viennent pas ou plus dans les structures de droit commun et qui ne demandent pas. La démarche « aller vers », constitue un levier de lutte contre le non-recours aux droits et aux prestations en allant à la rencontre des publics hors des radars de l’action sociale.

Absence ou mauvaise information concernant les différentes prestations, complexité des démarches pour ouvrir les droits, multiplicité des pièces à fournir, sentiment de stigmatisation… l’accès aux droits peut être freiné par différentes trappes à non-recours. « Dans un paysage éclaté, complexe et cloisonné, la personne demandeuse d’aide peut se retrouver démunie, voire découragée, pour identifier l’acteur le plus à même de l’accompagner. On peut faire l’hypothèse que la complexité institutionnelle n’est pas sans lien avec l’importance du non-recours dans notre pays. Ce d’autant plus que les catégorisations des publics sont fondées sur des critères qui renvoient les personnes à un statut social dégradé (“sans domicile fixe”, “travailleur pauvre”, “précaire”, “handicapé”…), ce qui peut nuire à la capacité de se construire une identité sociale positive, et peut être aussi un facteur de non-recours volontaire aux droits sociaux, par refus de se reconnaître dans les dénominations attribuées », souligne Bénédicte Jacquey-Vazquez, membre de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), dans son rapport de capitalisation sur l’accompagnement social, publié en janvier dernier. Cette difficulté d’accès aux droits est encore renforcée pour certains publics par la dématérialisation et la généralisation du « tout numérique », qui touchent l’ensemble des démarches : accès aux prestations sociales, aux soins, à l’emploi, aux services bancaires…

La démarche « aller vers » en travail social tend à devenir le moyen d’aller à la rencontre de ces publics qui ne demandent pas ou ne demandent plus leurs droits.

« L’accès aux droits via l’aller vers a été identifié comme une problématique transversale, qui interroge en particulier les modes de faire des institutions. Ces modes de faire jugés trop complexes, trop rigides, trop cloisonnés, associés à la complexification des démarches administratives, et à la complexité des situations de précarité vécues par les personnes, moins mobiles ou ne connaissant pas leurs droits ou les institutions qui les délivrent, créent des ruptures de confiance et des points d’incompréhension source de non recours », souligne Yolande Pardo, directrice de projets « accueil, accès aux droits, développement social » de la ville de Grenoble(1).

Si les dispositifs pour « aller vers » les plus exclus du système de soins et d’assistance ont été pensés à la fin des années 1990, le concept s’est largement diffusé dans de nombreux champs de l’action sociale. La prévention spécialisée, les maraudes des dispositifs « Samu social », les équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP), les équipes de liaison et de soins en addictologie (Elsa) et les actions du Mouvement du Nid auprès des personnes en situation de prostitution, et sur les lieux de prostitution, s’inscrivent de plain-pied dans cette démarche de l’« aller vers ». Alors que les sujets relatifs à la sexualité restent encore tabous en France, le Planning familial souligne, également, l’importance « d’aller vers », c’est-à-dire se rendre directement au contact des jeunes dans les établissements scolaires, dans les instituts médico-éducatifs, dans les foyers, les missions locales…

Quitter physiquement les structures

Mais comment définir l’« aller vers » ? Pour Yolande Pardo, il s’agit de « toute démarche conduisant les professionnels de l’action sociale, qu’ils soient institutionnels ou associatifs, à quitter physiquement leurs structures pour aller à la rencontre des publics dans leurs lieux de vie. Lieux de résidence : domiciles, squats, camps, foyers…, lieux de rencontre sur l’espace public : marchés, sorties d’écoles, pieds d’immeubles, temps festifs, parcs…, lieux de rencontre sur des lieux “privés” : commerces de proximité, cafés… Toutes les actions se réclamant d’une démarche “aller vers” ont pour objectifs minimaux (toujours avec le consentement de la personne) de créer du lien, d’informer et de réduire les risques auxquels la personne pourrait être exposée. Toutes procèdent d’une démarche d’“aller vers” l’autre pour lui permettre, s’il le souhaite, de formuler une demande et d’accéder à des services. » Elle distingue deux types d’aller vers reposant sur des démarches différentes : un aller vers « spontané » visant à se rendre sur des lieux prédéterminés ou non, mais ne résultant pas d’une prescription ou d’une demande formulée par un tiers, et un aller vers sur demande ou prescription.

Pour les travailleurs sociaux, il s’agit alors d’intervenir hors les murs. « Les déplacements sont de trois sortes. Premièrement, le déplacement peut être physique. Par exemple, l’intervenant se rend chez les personnes avec qui il cherche à entrer en contact. Deuxièmement, le déplacement peut être virtuel. Sans qu’une personne l’ait demandée, elle peut être contactée par mail, téléphone, sur des chats en ligne… Enfin, le déplacement peut être symbolique. Cet aller vers symbolique consiste généralement à adapter son intervention pour que l’accès d’un public cible particulier soit facilité pour qu’il ait envie de revenir », détaille un rapport de l’agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France qui dresse un état des lieux des actions d’« aller vers » à destination des personnes en situation de grande précarité(2).

Revisiter la relation d’aide

A l’occasion de la Journée internationale du travail social, le 18 mars dernier, le Haut Conseil du travail social (HCTS) organisait une journée d’étude sur le thème « L’aller vers, un enjeu de cohésion sociale ». Signe que cette démarche répond aux évolutions du travail social. « Aller vers conduit à revisiter la relation d’aide et d’accompagnement, quand les populations sont en non-demande. C’est une question éthique et une démarche complexe à construire entre libre arbitre et non-assistance à personne en danger », soulignait, à cette occasion, Cyprien Avenel, sociologue et chargé de mission analyse stratégique, synthèses et prospective, à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Pour Marie-Paule Cols, vice-présidente du HCTS, « l’aller vers ne va pas être un dispositif de plus, mais rester une philosophie d’action ».

« Aller vers » implique une modification des pratiques des travailleurs sociaux et une évolution des dispositifs au plus près des populations (bus mobiles, réseaux, micro-structures et équipes de liaison dans les hôpitaux). « Se déplacer là où l’autre est, sur son territoire, dans son espace de socialisation constitue une première dimension de l’intervention. Mais autant que de réduire la distance géographique, se rendre accessible implique de changer son positionnement professionnel, son regard posé sur l’autre. La seconde dimension de l’intervention s’inscrit dans une manière de penser la proximité, telle que l’a décrit Pierre Roche, sociologue au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq), en réduisant la “distance sociale et subjective”. Cela implique de se risquer à rencontrer l’autre autrement que dans une relation institutionnelle classique et d’inventer au cas par cas des façons d’entrer en lien qui estompent les barrières tout en maintenant chacun à sa place », analyse l’association Addictions méditerranée.

Cette démarche instaure d’emblée un autre rapport entre la personne et le travailleur social puisque c’est le professionnel qui est en demande et non l’inverse. L’objectif de la démarche est d’établir une relation de confiance, de construire un lien solide et durable de manière à faire émerger une demande et une réponse à celle-ci. « Les acteurs du “aller vers” sont des facilitateurs, qui tiennent le rôle d’interface et de passerelle n’ayant pas vocation à devenir permanents. Les actions n’ont pas pour objectif de se substituer au droit commun en créant une voie parallèle de recours. Ils visent à pallier une défaillance temporaire en attendant le rétablissement du contact entre le public cible et les structures de droit », soulignent les auteurs du rapport de l’ARS Ile-de-France.

« En allant vers les personnes là où elles sont, il ne s’agit pas de construire des réponses spécifiques en dehors du droit commun mais au contraire de les ramener vers celui-ci », note la Fédération des acteurs de la solidarité. « Dans ce mouvement qui consiste à aller vers pour faire ensemble, il n’est plus envisageable de rejoindre des publics en ayant concocté auparavant les réponses à apporter aux besoins identifiés sans eux et en extériorité des situations concrètes. Aller vers suppose que l’identification des problèmes à traiter résulte d’un diagnostic partagé qui associe étroitement les personnes concernées, les habitants des territoires, les citoyens mobilisés. Il revient ainsi aux organisations du travail social de créer les conditions de l’émergence des demandes des personnes en lieu et place de l’élaboration de réponses aux besoins », analyse Roland Janvier, docteur en sciences de l’information et de la communication et directeur général de la Fondation Massé Trévidy (Finistère). Et de poursuivre : « Finalement, dans cette perspective, aller vers suppose, pour les professionnels, de se déshabiller de leurs certitudes, de leurs savoirs constitués a priori, de leur posture d’expert pour partir à la rencontre des usagers dans un certain dénuement. C’est ce dénuement qui est l’essence même de l’aller vers. La rencontre n’est possible que dans une certaine fragilité des positions, une certaine incertitude quant à ce qui va se produire. C’est une certaine parité des positions qui permet l’aller vers. Sinon, c’est une invasion. Parité des positions ne signifie pas confusion des rôles, bien au contraire. C’est parce que les places, les intérêts, les enjeux, les méthodes, les savoirs ne sont pas confondus que la rencontre est possible et fructueuse. »

Promouvoir les différentes formes d’« aller vers »

La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté entend « promouvoir les différentes formes d’« aller vers » des professionnels des secteurs social, médico-social et sanitaire à travers le développement des visites à domicile des personnes, les permanences sociales hors les murs ainsi que le suivi social hors les murs par les travailleurs sociaux du secteur institutionnel et le déploiement de permanences infirmières dans le secteur accueil, hébergement et insertion (AHI) et de renforcer les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP). Une série de travaux a débuté en avril dernier sur les évolutions à mener et sur l’adaptation de la formation professionnelle continue des travailleurs sociaux. « L’ensemble de ces travaux permettra de définir les modalités de mise en œuvre des nouvelles formations pour les travailleurs sociaux qui débuteront en 2020. Cela se traduit par la création de nouveaux diplômes universitaires et de nouveaux métiers (écrivains publics, médiateurs sociaux, développeurs sociaux) », précise le ministère des Solidarités et de la Santé.

Notes

(1) Accès aux droits via l’aller vers– Rapport de restitution dans le cadre du travail préparatoire au « plan d’action grenoblois pour l’accès aux droits et contre le non-recours » – Yolande Pardo, 2017.

(2) Etat des lieux des actions d’« aller-vers » à destination des personnes en situation de grande précarité en Ile-de-France – ARS Ile-de-France, Aurélie Blanc, Barbara Bertini, Isabelle Chabin-Gibert, février 2018.

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