La maison est calme. Je suis confortablement installée sur le canapé, un plaid sur les genoux, une tisane sur la table basse, une bougie parfumée qui se consume lentement, et je regarde les informations. Je suis la parfaite illustration de la petite vieille. « Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle… »
Une usine qui brûle. Un président qui meurt. La PMA pour (presque) toutes. Des urgences en grève. Une adolescente révolutionnaire. Le suicide d’une directrice d’école…
Je zappe. On ne le dira jamais assez, mais la télécommande est une invention merveilleuse. Je passe d’un pays à l’autre, d’une info à l’autre, d’une catastrophe à l’autre, sans autre effort à faire que celui d’appuyer sur un bouton.
« Comment osez-vous ? », fustige une adolescente révoltée. J’admire sa fougue et son courage. Le temps de l’enfance est court. Il ne se rattrape pas.
De Gaulle, Mitterrand, Chirac…
Anne Frank, Malala Yousafzai, Greta Thunberg…
Tchernobyl, AZF, Lubrizol…
Des hommes, des femmes, des usines. Des histoires dans l’Histoire.
Des images et des sons qui m’en rappellent d’autres. J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
Mes yeux ont vu tant de choses, mes jambes ont parcouru tant de chemins, mes mains ont tenu tant d’autres mains… Mon corps a tant vécu et je suis fatiguée. Tellement fatiguée.
Je zappe. Je m’arrête sur une série quelconque. Mauvais acteurs, mauvais scénario. C’est stupide et reposant. Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.
Je m’assoupis un peu. Quand je me réveille, ma tisane est froide et le générique touche à sa fin.
Je zappe. Les migrants et l’AME. Les réfugiés et les « dublinés ». Ceux qui arrivent et ceux qui repartent. Moi, j’étais une « exodienne ». C’est ainsi qu’on nous appelait. Je faisais partie de la longue cohorte de ceux qui avaient fui la guerre. Nous ne demandions rien d’autre que la paix et la sécurité. Nous ne voulions rien d’autre que vivre. Et si c’était aujourd’hui ? Serions-nous renvoyés dans un pays en guerre ? Serions-nous accueillis dans un pays en paix ? Serions-nous parqués dans un camp ? Je frissonne. Je crois que je préfère ne pas savoir.
Je zappe. Une émission « feel good », comme dirait ma petite voisine. Injonction au bonheur. Mange bien, habille-toi bien, range ta maison et sois heureux, sinon… Sinon quoi ? Dans la vie, il y a des hauts et des bas. Il faut surmonter les hauts et repriser les bas.
Je zappe. Un vieux film à l’eau de rose dont les acteurs sont presque tous morts. Je m’attarde un peu devant l’histoire abracadabrantesque d’une princesse et d’un roturier.
Je zappe. Un ouragan arrive, mais on ne connaît pas encore sa trajectoire. Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir.
J’éteins la télé. Il est tard, la journée a été longue et j’ai sommeil. Demain, le monde sera encore là.
Il y aura d’autres hommes, d’autres femmes, d’autres catastrophes. Il y aura des enfants qui se révoltent, des chefs qui cheffent, et des vieilles femmes devant la télé.
Moi, Florimonde, je m’installerai sur mon canapé, avec une tisane, un plaid et une bougie parfumée, et j’observerai sereinement la marche du monde. Le courage, c’est de ne pas avoir peur.