La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) est-elle une boussole pour la protection de l’enfance ? A cette question, SOS Villages d’enfants France répond par l’affirmative alors que cette association a publié en septembre Les cahiers de SOS villages d’enfants avec pour thème « L’approche par les droits : une boussole pour la protection de l’enfance ». Afin de diffuser au plus grand nombre ce document et en marge de la célébration le 20 novembre prochain des 30 ans de la CIDE, SOS Villages d’enfants France a organisé une table ronde, le 26 septembre dernier à l’Assemblée nationale.
Intitulée « Qualité de l’accompagnement en protection de l’enfance : les droits de l’enfant comme levier », elle a été introduite par la marraine de cet événement, Brigitte Bourguignon, qui est aussi à l’origine de la proposition de loi visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie, tant décriée. La députée, présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, a rappelé les progrès réalisés depuis 30 ans dans le domaine, tout en précisant qu’il restait « beaucoup à faire ». « Trop souvent par le passé, les responsables politiques ont estimé qu’ils étaient les plus aptes à décider ce qui était bon pour l’enfant, sans prendre en considération les besoins spécifiques de chaque enfant. »
Un constat partagé par la directrice générale de SOS Villages d’enfants France, Isabelle Moret, qui a rappelé l’engagement de son association, spécialisée dans l’accueil des fratries, prise en charge par la protection de l’enfance : « L’enfant doit être appréhendé en tant que sujet de droit et pris en compte dans sa globalité. Les politiques publiques en [sa] faveur doivent donc s’inscrire dans une logique de transversalité avec les autres politiques et mettre fin à la logique de silos qui conduit à une appréhension morcelée et partiel de l’enfant. »
Lors de cette table ronde, il a été rappelé qu’il ne suffit pas de signer une convention internationale pour que les changements de paradigme se fassent automatiquement. Il incombe ainsi aux Etats signataires de la CIDE, tels que la France, de rendre possible ce virage qui a permis « de passer d’une perception charitable de l’enfant objet de droit à une conception où l’enfant est sujet de droit », selon les mots de Hynd Ayoubi Idrissi, membre du Comité des droits de l’enfant des Nations unies. Elle a également expliqué qu’il n’y a aucun pays sur les 196 signataires qui peut se targuer d’appliquer à la lettre la convention. « La France a fait beaucoup de choses pour les droits de l’Homme en général, mais, à l’instar des autres pays, il y a des domaines d’interpellation […]. Ainsi, la France ne dispose pas de données qui couvrent l’intégralité des domaines de la CIDE, ce qui rend impossible la conception d’une politique claire avec des objectifs mesurables. » Et d’ajouter : « Le comité a été également interpellé par la montée des inégalités et des disparités au niveau des départements […]. Beaucoup de défis restent à relever, mais je suis confiante », a conclu Hynd Ayoubi Idrissi.
Une analyse qui a fait réagir notamment Sylvie Delcroix, responsable de SOS Villages d’enfants, qui a rappelé que si, en France, il y a un cadre juridique imprégné de cette question des droits de l’enfant, ces derniers peinent néanmoins à s’incarner dans les pratiques des professionnels et in fine dans la vie des enfants. C’est pourquoi cette association a souhaité rappeler l’importance de cette « approche par les droits » dans sa revue de septembre. Une approche qui repose sur les quatre principes de la CIDE à savoir la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à la survie, à la vie et au développement et le droit d’être entendu. La participation de l’enfant est au cœur de cette démarche car « sans participation, nous ne pouvons pas protéger », a argumenté Hervé Laud, directeur de la prospective et plaidoyer de SOS Villages d’enfant. Pour lui, la qualité de l’accompagnement est liée à l’approche par les droits : « Elle permet de dépasser la seule vision de l’enfant à protéger et de nous remettre, nous professionnels, dans notre obligation de l’accompagner dans son développement, son épanouissement et dans le respect de ses droits. » La définition du travail social a d’ailleurs évolué en mai 2017 dans ce sens.
Cette journée a également permis de rappeler aux politiques, présents dans l’assistance, qu’il existe un texte sur lequel ils peuvent s’appuyer. Sorte d’annexe de la CIDE, il a été finalisé en 2009. Il s’agit des « lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants » dans le cadre des Nations unies. Ce document est en fait une série de normes, de standards internationaux pour orienter les Etats dans la mise en œuvre, sur le plan national, de la CIDE pour les enfants privés de prise en charge parentale ou risquant de l’être. Ces « lignes directrices » ont été développées pour répondre aux lacunes observées dans la mise en œuvre de la CIDE. Elles encouragent les Etats à développer des politiques et des pratiques nationales plus pertinentes et efficaces fondées sur deux principes fondamentaux : la nécessité et l’adéquation. Le principe de nécessité consiste à prévenir le recours à une prise en charge alternative par la mise en place d’un mécanisme de prévention auprès des familles à risque. Cela signifie, par exemple, que les familles en difficultés économiques doivent, dès que possible, bénéficier d’un appui adapté pour que les enfants ne soient pas placés ou placés seulement si nécessaire. Les familles doivent ainsi être soutenues pour éviter la séparation. D’autre part, le principe d’adéquation souligne l’importance d’offrir aux enfants sans protection parentale une prise en charge alternative de qualité et adaptée à leurs besoins. Valérie Ceccherini, représentante de SOS Villages d’enfants international auprès de l’Union européenne, regrette que ces « lignes directrices » ne soient pas plus connues et exploitées : « Elles n’auront un véritable impact sur la vie des enfants, de leur famille et de leur communauté que si elles sont mises en application. », conclut-elle.
Si les professionnels doivent s’imprégner des principes de la CIDE pour mettre en place l’« approche par les droits », ils ne pourront le faire que si les politiques leur en donnent les moyens notamment en intégrant cette connaissance au socle de formation. A ce sujet, interpellée par l’assistance sur la réforme de la formation des futurs travailleurs sociaux, en place depuis la rentrée, qui n’intègre pas de module sur la CIDE, Brigitte Bourguignon, en tant que présidente du Haut Conseil du travail social, s’est retranchée derrière des réticences de différents acteurs.
Sur ce sujet, Hynd Ayoubi Idrissi a tenu à préciser qu’une des préoccupations du Comité des droits de l’enfant des Nations unies est « l’insuffisante diffusion de la CIDE » auprès des enfants et des adultes qui les accompagnent. « La diffusion de ces droits est souvent occasionnelle : il y a la Journée internationale des droits de l’enfant, le 30e anniversaire… Nous ne sommes pas dans une démarche structurelle et tant que ce n’est pas ancré dans la politique globale d’éducation et de formation de l’ensemble des intervenants (magistrats, police…), cela ne sera pas efficient. C’est un travail de longue haleine car encore aujourd’hui beaucoup d’enfants ne connaissent pas leurs droits », conclue-t-elle.
Pour pallier cette absence de formation des professionnels, SOS Villages d’enfants a publié, dans sa revue de septembre, un dossier sur « L’approche par les droits : une boussole pour la protection ». L’association espère ainsi que ce dossier devienne un outil pour les équipes sur le terrain et qu’il constitue également un pas de plus vers le passage de la Convention aux actes. Elle milite ainsi pour que cette « approche par les droits » soit une boussole qui guidera les actions et les décisions des acteurs et des politiques. Concernant ce dernier point, la réponse ne devrait pas tarder. Adrien Taquet, secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance, est passé en coup de vent clôturer cette table ronde. Le temps pour lui d’annoncer que la stratégie nationale pour la protection de l’enfance sera présentée le 14 octobre prochain, en principe.