Claude range les derniers drapeaux de la manifestation sous son bras. « J’ai de plus en plus de mal à payer mon loyer. Le 20 du mois, on est déjà dans l’eau… », glisse le retraité, locataire d’un logement social depuis 2010. Claude est venu devant le 80e congrès HLM en tant que membre d’une amicale de locataires reliée au CLCV, l’association nationale de défense des consommateurs et usagers. « Nous sommes là contre la loi “Elan” et pour nous opposer à l’entrée des intérêts privés dans le logement social », précise-t-il. Les cinq grandes associations de locataires se sont donné rendez-vous. Cela faisait des années qu’elles n’avaient pas organisé une telle action commune. Signe que l’heure est grave ? Parmi les intervenants du congrès, les inquiétudes sont unanimes : l’horizon serait celui de la financiarisation du secteur, au détriment de la mission sociale qui lui est historiquement rattachée.
« La loi “Elan” entre en contradiction avec tout ce que nous sommes en train de dire aujourd’hui. Comment assumer la mission sociale des HLM avec une telle pression sur les budgets ? », interpelle Eddie Jacquemart, président national de la Confédération nationale du logement (CNL). « On nous demande d’assurer notre mission sociale tout en réduisant nos coûts de gestion. Si quelqu’un a la solution… », ironise Isabelle Rueff, directrice générale d’Opac38. « Nous pousser à nous tourner vers des formes plus lucratives d’habitat met à mal notre mission sociale. » Les acteurs du secteur ont néanmoins tenté d’échanger sur les manières de renforcer cette mission à l’heure où, comme le remarque Agnès Thouvenot, adjointe au maire de Villeurbanne, les bonnes pratiques sont portées « organisme par organisme, sans que cela fasse système ».
L’« aller vers » est un levier d’action préconisé. « Avec un camping-car, nous allons à la rencontre de nos résidents âgés ou en situation de handicap, accompagnés d’une ergothérapeute. Cela permet d’apporter des réponses d’aménagement de leur logement et du lien social », raconte Martine Jardiné, présidente de Gironde Habitat et vice-présidente du département. Face à nombre de locataires qui « crèvent de solitude, même en milieu urbain », Michèle Attar, directrice de Toit et Joie (affilié à La Poste Habitat), insiste sur le relationnel. Son organisme a mis en place des jardins partagés qui ont « permis de resocialiser des gens, de les aider à sortir de leur dépression, à se remobiliser pour la recherche d’emploi… ».
Pour s’améliorer, Martine Jardiné préconise également de « sortir des cloisonnements entre les publics – personnes âgées, jeunes, monoparentaux… ». Gironde Habitat a ainsi mis en place « une résidence multi-publics, avec une présence du bailleur 24h/24, couplée avec un appel à projets du Logement d’abord ». Là où le dispositif « Logement d’abord » met l’accent sur l’accès à un toit, d’autres initiatives se veulent complémentaires. C’est le cas du dispositif « Logement toujours », créé par trois bailleurs et trois associations en Isère. Isabelle Rueff, d’Opac38, fait valoir que 50 ménages par an bénéficient via cette démarche d’un « accompagnement dans la durée et dans la globalité » visant leur maintien dans le logement.
Reste à pérenniser les bonnes initiatives locales et expérimentations nationales. « Les 10 000 logements accompagnés, cela marchait très bien, mais le financement s’est arrêté », regrette Michèle Attar, qui a mis en place des équipes mobiles spécialisées en santé mentale. « Nous n’avons pas souhaité arrêter nos équipes mobiles psychiatriques, alors nous avons pris sur nos budgets… J’aimerais que l’on pérennise les expériences concluantes qui se font au bénéfice de nos locataires ! »
Reste que les problématiques sociales des résidents doivent être travaillées avec des professionnels de l’accompagnement. « Certaines personnes peuvent être abîmées en raison de leur genre, de leurs orientations sexuelles… Ce sont des lectures que les travailleurs sociaux ont en tête », donne en exemple Agnès Thouvenot. Les bailleurs ont leurs limites : « Les problèmes psychiques, nous n’allons pas les prendre en charge ; nous avons besoin de partenariats locaux pour que des travailleurs sociaux et d’autres professionnels le fassent », témoigne Isabelle Rueff.
Les partenariats à déployer sont aussi nombreux pour accompagner les évolutions du parc social, comme le vieillissement de sa population : « Nous avons un rôle à jouer pour nouer des partenariats avec les Ehpad et les agences régionales de santé, pour faire des plateaux techniques, des Ehpad hors-les-murs… », affirme Michèle Attar, de Toit et Joie. Idem pour les jeunes dont la proportion, à l’inverse, diminue dans le parc : « Cela pose la question de la volonté politique des départements et des communes à accompagner les bailleurs financièrement pour accueillir ces populations », souligne Martine Jardiné. Pour eux aussi, « il faut de la coordination avec les travailleurs sociaux et les associations ».
« Le bailleur, on l’attend pour respecter les charges locatives, réparer les ascenseurs… Pas pour faire du médico-social ! Il y a pour cela des associations », recadre tout de même Eddie Jacquemart, du CNL. « Le logement social est en train de récupérer toute la misère sociale à cause du désengagement de l’Etat. Les bailleurs ont une mission sociale, non pas médico-sociale », précise-t-il. Au contraire, une élue comme Agnès Thouvenot estime qu’il s’agit de « réinventer le rôle du bailleur pour qu’il soit un accélérateur de politiques publiques, notamment sur l’urgence sociale, écologique… ». Le débat sur la mission des bailleurs repose donc sur une interrogation résumée par Maryse Prat, directrice générale de la Cité Jardins : « Celle de la légitimité : jusqu’où intervenir ? »
Reste à faire de l’accompagnement une plus-value. Eddie Jacquemart met en garde : « Le coût de l’accompagnement social ne doit pas être répercuté sur les locataires. Il doit être vu comme un investissement, pas comme une charge. » Pour Maryse Prat, la plus-value sociale devrait être prise en compte dans l’évaluation des bailleurs. Pour l’heure, « ce sont les mauvais qui y gagnent : celui qui ne fait aucun accompagnement social est bon sur ses coûts de gestion ! A nous de savoir comment démontrer notre plus-value sociale en termes économiques… »
Pour la clôture du congrès, pas d’annonce ni de coup de pouce surprise dans l’allocution d’Edouard Philippe, lue par le ministre chargé de la ville et du logement, Julien Denormandie. Au bout de quelques minutes, l’association Droit au logement (DAL) l’interrompt avec une dizaine de militants scandant « Un toit c’est la loi ! », « Il faut plus de HLM ! » et évoquant la baisse des APL. Puis des membres du CNL se lèvent en silence, brandissant des affiches « HLM pour tous ».
Tandis que l’assemblée se vide, Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL, fustige un discours de l’exécutif qui « confirme la casse du logement social ». Il annonce pour le 28 mars 2020 une manifestation réunissant « mal-logés, sans-abris, associations qui ne s’en sortent plus et travailleurs sociaux ». Dans son discours de clôture, Jean-Louis Dumont, président de l’Union sociale pour l’habitat a martelé que : « Jamais, à un congrès HLM, le mouvement HLM, la Caisse des dépôts, le secteur associatif, n’avaient autant parlé d’une seule voix. Parce que nous formons une digue, qui protège les citoyens d’un monde du marché violent et cruel. » Assez forte pour contrer l’ébranlement du « modèle français du logement social » et sauvegarder ses missions d’origine ?
L’intervention d’associations partenaires peut aussi ouvrir des perspectives pour les bailleurs. « Sophrologie, soins de beauté, massages de bien-être et accompagnement en estime de soi » sont proposés par Patricia Chauffourier, fondatrice de l’association Les Fées papillons, dont l’équipe bénévole intervient auprès des femmes d’un quartier aux problématiques sociales complexes. En partenariat avec le bailleur Domofrance, filiale d’Action logement, près de 600 femmes ont été accompagnées depuis sept ans. Avec des « transformations visibles dans leurs postures physiques mais aussi dans leur reprise de confiance », assure la fondatrice, récompensée d’un trophée de l’innovation sociale.