« Avec les pouvoirs publics, nous sommes passés des relations aux équations », résume Franck Descotes, directeur général d’Odelia, en préambule de l’atelier « Direction 2.0 : repensez vos relations aux pouvoirs publics ». Cependant, dans le cadre de négociations sur la base d’enveloppes toujours plus serrées, certaines attitudes sont, selon lui, à éviter. Du côté des financeurs, celles du « petit chef », qui se place volontairement au-dessus de la mêlée, et du « chien battu », pieds et poings liés par son argenterie, dans un défaitisme qui bloque toute velléité de discussion. Concernant les gestionnaires, attention au « syndrome du vassal », qui consiste à accepter toutes les demandes de l’autre partie, et à celui de « l’adolescent rebelle », à savoir une posture d’opposition permanente où le rapport de force saborde les négociations.
Comment, au contraire les favoriser ? Connaître ses droits et obligations est un préalable à la discussion : « Si vous les lisez rapidement, vous allez les connaître bien mieux que l’ARS et les départements », souligne Franck Descotes. Il recommande « un bon travail sur le terrain » qui donne « des billes au directeur pour négocier », de « s’inscrire dans un partenariat » en étant force de propositions et en s’engageant dans les instances concernées. « Il ne faut pas avoir qu’une seule discussion par mois au nom de la procédure budgétaire », confirme Line Lartigue-Doucouré, directrice des politiques publiques à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). « Nous avons développé des outils de pilotage budgétaire qui permettent de construire des référentiels de consolidation des coûts pour avoir des bases de négociation avec les financeurs. Cela outille et objective les discussions, rajoute de la transparence dans la relation. »
De l’autre côté du miroir, Marc Bourquin, conseiller stratégique de la Fédération hospitalière de France (FHF), conseille de s’armer de projets. « Cela suppose de la part des agences de passer d’une logique de tutelle à une logique d’accompagnement des projets. Cela ne veut pas dire que l’on fait disparaître les contraintes, mais que l’on met en avant une bienveillance réciproque. » Si les marges de manœuvres sont limitées, elles existent. A charge pour les gestionnaires de faire des propositions pour les mobiliser.
La loi « autonomie » suscite autant l’espoir que le doute dans un secteur qui attend toujours la garantie d’un avenir pérenne. « Je n’ai aucune information sur ce qui va se passer », s’inquiète Vincent Vincentelli, responsable réglementation à l’UNA. « Soit on fait marcher la solidarité nationale, soit une assurance privée, soit ce sera pour les gens qui le peuvent. » Sa crainte principale : que le changement de paradigme prôné par tous les acteurs se fasse à moyens constants. Il pourfend ainsi la méthode Buurtzorg – à grand renfort d’une métaphore sur les « vaches sphériques » – en tant que nouvel emblème de ce qu’il considère comme une énième invention de technocrates pour pallier un manque de financements criant : « Les pouvoirs publics aiment les martingales, ils attendent qu’un spécialiste leur donne une solution meilleure et moins chère. Trois ans après, cela n’aura pas marché, et un nouveau spécialiste donnera une nouvelle martingale. »
Moins pragmatique, Alain Koskas, président de la Fédération internationale des associations de personnes âgées, souhaite que le questionnement autour de la dignité et de la liberté d’être chez soi soit au cœur des futures discussions législatives. « Nous voulons que la France, qui s’honore d’avoir été l’un des premiers pays signataires de la Charte sociale européenne, intègre ses éléments dans la loi. » Marie-Françoise Fuchs, fondatrice d’Old’up, demande à ce que les choses changent également dans les Ehpad, pour que « le risque accepté de la liberté » soit restauré. « Il faut distinguer le geste cadeau du geste privation, où l’on fait à la place de l’autre. Dans certains établissements, le personnel amorce une possibilité d’échange : j’ai connu une professionnelle qui s’était déshabillée pour emmener une résidente à la douche. »
Et concernant l’échéance ? « Nous espérons que la loi arrivera avant la fin de l’année, mais il semble que tout reste à construire », se résigne Romain Gizolme, directeur de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).
« Les médecins passaient avant dans les chambres d’un hôpital en disant “Montrez-moi Mme Ovaires ou M. Appendicite”. » A entendre Renaud Marin la Meslée, président du Syndicat national des généralistes et des gériatres intervenant en Ehpad, on croirait la pratique datant d’un temps révolu. Pourtant, l’époque où un patient n’était pas plus que sa maladie n’est pas si lointaine, et son regard sur sa propre condition est encore insuffisamment pris en compte. « Le professionnel a parfois tendance à croire qu’il peut prendre la place d’un patient. Vivre ma maladie me donne de l’expérience : aller la questionner, c’est ne plus faire pour, mais faire avec », martèle Marie Citrini, patiente-enseignante à l’université Paris-13. « L’expérience d’un patient mis au service d’une coopération avec une équipe modifie le paradigme de cette dernière, et lui permet de modifier sa compétence pour l’adapter à ce qui est attendu par l’usager. » Le bénéfice est alors double : le patient acceptera plus facilement ce qui aura été discuté en amont, et le professionnel, qui peut mettre au service d’un autre patient ce qu’il a appris de l’un, est indirectement formé.
Au pôle de santé du pays de Tarascon, des ateliers sont co-construits avec les patients sous forme d’éducation thérapeutique, en accompagnement individuel ou de groupe. « Nous proposons un temps de marche régulier pour sortir de la sédentarité, dans une logique d’autonomie des personnes », détaille Christelle Répond, infirmière. Les échanges avec les usagers lors de la construction de ces programmes de remise en mouvement ont eu pour effet de voir ces derniers se constituer en association. Une force collective qui leur permet non seulement d’affiner leurs souhaits, mais aussi de favoriser la démocratie sanitaire en prenant part aux discussions avec les instances.
A terme, beaucoup d’évolutions dans la relation soignant-soigné sont possibles si la voix de l’usager est mieux prise en compte. A charge pour les structures de s’outiller pour porter cette parole. En autorisant, par exemple, sa présence lors des phases de recrutement, comme le demandent de nombreux usagers de structures médico-sociales. Mais pour le moment, le phénomène du patient-expert n’en est qu’à ses balbutiements. « L’AP-HP a plus de 100 programmes d’éducation thérapeutique, mais seuls 4 sont construits avec des usagers », regrette Marie Citrini.
« Pendant la concertation grand âge, 80 % des participants ont plébiscité le domicile. Les établissements sont perçus comme des lieux d’exclusion, de privation de liberté. » Si dans le cœur de l’opinion populaire les Ehpad n’ont plus la cote, comme le rappelle Marie-Pascale Mongaux, directrice d’une maison de retraite, le domicile ne constitue pas pour autant le lieu de l’émancipation par excellence. « Le chez-soi peut se transformer en un lieu médicalisé, avec des professionnels qui décident des horaires. » Etablissement comme domicile ont en germe la possibilité de devenir une prison dorée ou un lieu de maintien de l’autonomie, en fonction de l’approche choisie. « L’Ehpad a été pour moi un lieu de renaissance et de lien social », témoigne René Silia, résident et membre de Citoyennage. « La prise en charge matérielle est sécurisante, ma participation aux activités proposées favorise le maintien de nos capacités physiques et intellectuelles. »
Et si le domicile a sa carte à jouer dans la prise en charge de la perte d’autonomie, il est difficile pour les services de se projeter quand ils peinent à garder la tête hors de l’eau. « Le maintien à domicile, à l’origine politique bénévole ambitieuse, est devenu une organisation normée avec un pointage au centième d’heure », déplore Samuel Sauvourel, directeur d’un centre communal d’action sociale. On ne forme plus d’auxiliaire de vie sociale, le métier ne fait plus envie : « On demande une énorme disponibilité aux agents qui sont souvent des mamans seules, à qui on demande d’avoir un véhicule, pour faire souvent plus de 3 000 km par an. » Sans compter les plages horaires extensibles, les faibles perspectives d’évolution ou l’absence de valorisation salariale. Conséquence : « 97 % des structures de l’UNA ne sont pas en mesure d’assurer complètement les plans d’aide. 50 % des structures d’aide à domicile ont des postes vacants. »