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« Les collectivités sont mûres pour un acte de décentralisation qui parte du territoire »

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A l’occasion des 31es Journées de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des départements et métropoles (Andass), son président – également directeur de l’action sociale, de l’enfance et de la santé de la Ville de Paris – s’exprime sur la situation actuelle des départements et prend position sur les propositions de l’Assemblée des départements de France pour « un bloc médico-social renforcé ».
Quelle est la situation financière actuelle des départements ?

C’est difficile pour un certain nombre de départements car la question des compensations financières n’est toujours pas réglée à ce stade. Le pacte de Cahors – dit « de confiance » – qui impose une trajectoire financière, n’a pas apporté de solution à ce problème qui demeure pendant.

La contractualisation Etat/départements dans le cadre du plan « pauvreté » va-t-elle améliorer la situation ?

Cela va dans le bon sens car l’Etat tient compte des compétences décentralisées en apportant des subsides financiers importants. Mais la différence de compensation se chiffre en milliards alors que la stratégie de lutte contre la pauvreté n’apporte que 135 millions supplémentaires. Elle ne recouvre qu’un des segments de l’action sociale en comparaison de ce qu’ont pu produire les allocations de solidarité en l’absence de compensation pour les départements. Concernant l’aide sociale, par exemple, ce plan ne prend en compte que la question des ruptures de parcours et des jeunes majeurs.

Envisagez-vous des solutions plus globales ?

Nous avons initié en 2014 une réflexion sur la question de la délégation, qui s’est poursuivie par la création en 2018 d’un manifeste pour la création d’une action publique sobre et de qualité. Et nous avons rédigé en juin un texte de méthode sur un acte III de décentralisation durable et réussi. Dans les départements, nous pilotons l’action sociale avec une vision à 360 degrés. On touche selon les territoires entre un tiers et un quart de la population. Or aujourd’hui la décentralisation est une fausse décentralisation. On ne fait pas assez confiance aux collectivités pour prendre en charge l’ensemble de l’action sociale. Maintenant, que veut-on ? Une décentralisation avec des territoires sous injonction de l’Etat ou faire confiance aux élus et aux citoyens pour décider ?

L’illusion est de penser qu’il faut garder un pilotage national strict pour permettre une équité de traitement sur les territoires. Nous proposons un principe de différenciation : pour apporter une réponse appropriée, il faut tenir compte des ressources du territoire, du rapport culturel aux aides, au travail, au vivre ensemble. Pour le moment, cette adaptation fine est considérée comme une erreur dans la traduction du national au local. Alors que c’est l’inverse. L’évaluation devrait porter sur les résultats et non sur les moyens. Il suffit d’inclure dans la contractualisation des objectifs nationaux clairs avec l’impact pour la population, et les moyens qu’apporte l’Etat pour atteindre ces objectifs.

Les spécificités territoriales – en ce qui concerne l’APA à domicile par exemple – ne peuvent-elles pas être source d’inégalités ?

Citez-moi une entité décentralisée qui pourrait apporter des éléments de comparaison au niveau national ? Cela n’existe pas. Les pratiques différentes s’expliquent par les richesses du territoire, les coûts. Il faut regarder l’APA [allocation personnalisée d’autonomie] au regard du nombre de places d’hébergement dans des structures médico-sociales : c’est parfois la variable d’ajustement d’un manque de places. Et la contrainte que l’Etat exerce sur nos propres moyens, nous la répercutons sur nos partenaires. Prenez l’hébergement d’urgence : les organismes sont pressurés pour atteindre des prix à la limite de la dignité. Ce n’est plus tenable pour les gestionnaires. Nous essayons, grâce aux CPOM [contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens], de retrouver des ressources en créant des mesures nouvelles à côté de la tarification. Il faut être inventif car nous sommes dans la même seringue budgétaire. Le social, pour un département, c’est plus de 53 % de son budget. L’évolution du RSA [revenu de solidarité active] à Paris peut être l’équivalent du budget d’une autre direction. La moindre évolution sociale interagit sur tout le reste : certains départements avaient d’ailleurs menacé en 2017 de ne pas payer le 12e mois de RSA car c’était insoutenable pour eux. Il faut revoir la fiscalité. Mais comme les départements ne sont pas autonomes, ils sont des opérateurs de l’Etat, avec des élus qui sont censés gérer cette contrainte. C’est un paradoxe national dont il faut sortir.

Dans certains départements en manque d’offre médico-sociale, les particuliers sont incités à devenir employeurs au titre de l’APA, ce qui engendre de nombreuses dérives : personnes en perte d’autonomie qui se retrouvent aux prud’hommes, départements qui incitent à employer un membre de la famille bénéficiaire du RSA pour économiser des prestations…

Les départements sont dans le conseil et le contrôle d’effectivité de la dépense, et sont donc soucieux des deniers publics. Qu’on trouve de la souplesse dans la manière de valoriser le statut d’aidant – ce dont il est en partie question ici – si cela perfectionne le système. Avec de la confiance, on peut décongestionner les systèmes si cela est juste, dans un cadre dérogatoire pour certaines situations justifiées. Mais on revient au sujet de la marge d’appréciation par les départements.

Que pensez-vous des récentes propositions de l’Assemblée des départements de France pour un « bloc médico-social renforcé » ?

Entrer dans des réorganisations laborieuses avec des transferts de moyens, d’effectifs, est d’un coût phénoménal, et compte tenu du service à fournir à la population, on ne peut pas mettre les services en stand-by pendant un certain temps. Les collectivités sont mûres pour un acte de décentralisation qui parte du territoire. L’Etat doit pouvoir accompagner des processus décloisonnés en encourageant les départements qui veulent augmenter leur prise de compétence dans les domaines, en incitant la mutualisation, la délégation entre partenaires. L’ADF demande un transfert entier du bloc médico-social aux départements, mais peut-être qu’ils ne sont pas toujours les mieux placés par rapport à d’autres entités, une délégation territoriale, par exemple. Il faut savoir changer d’échelle selon la compétence : métropolitaine, groupement de départements… Il y a une volonté d’agir ensemble sur les territoires, et il faut capter ces énergies pour savoir qui est le mieux placé pour agir.

L’ADF propose de récupérer la formation (pré­rogative des régions), la protection maternelle et infantile (prérogative des ARS), et a maxima une absorption des CAF. Faut-il consacrer le département comme acteur majeur du médico-social ?

C’est déjà un acteur majeur. Il faut trouver des modalités pour l’expérimenter au niveau local, mais le temps n’est plus à l’injonction. Il n’y a pas eu l’investissement en ingénierie pour cette construction. Si on constate que les formations sociales sont le parent pauvre de certaines régions, et qu’il est nécessaire que le département récupère cette compétence, qu’il la prenne. Mais ce n’est pas le cas dans toutes les régions, et tous les départements n’ont pas envie d’exercer cette prérogative. Quand certains veulent créer un “cluster social” comprenant la recherche, la formation, l’action et l’intervention sociale, cela peut être pertinent : c’est le projet qui donne du sens, pas un arbitrage des compétences en amont.

Concernant la protection maternelle et infantile, on peut réviser les missions de santé publique, pour combler notamment un déficit en matière de prévention. Sans moyens supplémentaires (médecins, puéricultrices, infirmières), il faut utiliser l’ensemble de cette ressource à bon escient et laisser à d’autres opérateurs, voire aux gestionnaires eux-mêmes, la compétence d’agrément et de contrôle des services et des établissements de jeunes enfants.

Les maisons France services, en passe d’être déployées sur le territoire, vont-elles améliorer la qualité des services rendus aux usagers ?

Faut-il labelliser ces structures y compris dans des lieux où elles existent déjà ? Va-t-il y avoir une plus-value au niveau de l’accessibilité du service ? Dans plusieurs territoires, les opérateurs (caisses d’allocations familiales, Pôle emploi, caisses de retraite…) proposent déjà des permanences dans des maisons des solidarités. S’il y a un cahier des charges précis avec des moyens supplémentaires et une bonne visibilité, pourquoi pas ? Sinon, ce sera un gadget.

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