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Indemnités de licenciement en Europe : le barème plane sur le juge

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Indemnités de licenciement en Europe : le barème plane sur le juge

Crédit photo Laetitia Muller
Des turbulences secouent l’application du « barème Macron » depuis sa création il y a deux ans. Aujourd’hui, la cacophonie perdure. Malgré la validation du référentiel au regard des normes internationales par la Cour de cassation en juillet dernier, conseils des prud’hommes et cours d’appel maintiennent leur désaccord. Prenons de la hauteur et observons ce qui se passe chez nos voisins européens.

Dans les pays européens, en cas de licenciement, les salariés peuvent demander réparation s’ils considèrent que leur licenciement est injustifié, sans cause réelle et sérieuse. Selon les États, si les juges de la relation de travail estiment le licenciement injustifié, ils peuvent réparer le préjudice subi par le salarié de deux manières : soit librement, soit en fonction de montants plafonds et planchers prédéfinis.

Le mode de réparation national du préjudice du salarié victime doit respecter, aux niveaux européen et international, deux textes majeurs. D’une part, la Charte sociale européenne et son article 24, qui impose « le droit des travailleurs, licenciés sans motif valable, à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». D’autre part, l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce dernier précise que si les juges nationaux « n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». En outre, la notion de réintégration possible du salarié injustement licencié rentre en ligne de compte. C’est pour cette raison que le tableau intitulé « Base de données sur les législations de protection de l’emploi, voies de recours et procédure contentieuse », pages 43 à 46, indique si le pays prévoit cette possibilité ou non.

En France, dès 2015 sous la pression patronale, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, a souhaité mettre en place un barème indicatif afin de sécuriser les risques encourus par un employeur qui licencie un salarié. Lors de son accession au pouvoir, en 2017, il a imposé, par le biais des fameuses ordonnances1, le barème d’indemnisations prud’homales en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, communément nommé le « barème Macron ». Ce dernier est retranscrit dans le Code du travail à l’article L. 1235-3 et le montant de la réparation est compris entre un minimum d’un mois et un maximum de 20 mois, lequel varie selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise.

Vent de révolte

Une fronde s’élève alors en France contre ce barème. En effet, de nombreux conseils de prud’hommes refusent de l’appliquer, notamment au motif qu’il ne respecterait pas les dispositions précitées des articles 24 de la Charte européenne et 10 de la convention n° 159 de l’OIT. Nous pouvons citer le conseil des prud’hommes (CPH) du Mans, qui ouvre les hostilités le 26 septembre 2018, un an après la publication des ordonnances Macron. Le 22 novembre 2018, le CPH de Paris rend une décision similaire. Il est intéressant de remarquer, que dans son jugement, le montant octroyé au salarié par le conseil est inférieur au barème. Trois semaines plus tard, le 13 décembre, le CPH de Troyes reste sur le même plan de vol et ose la référence à une décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS). Il considère le maximum de 24 mois d’indemnisation de la loi finlandaise contraire à la Charte sociale européenne4, et il en déduit que, de facto, le plafond français de 20 mois d’indemnisation est, lui aussi, contraire à la norme européenne puisqu’il est moindre.

À noter : Le CEDS n’est pas une juridiction. Il examine la situation des dispositions de la Charte sociale européenne, laquelle est une convention du Conseil de l’Europe.

Toujours au mois de décembre 2018, le CPH d’Amiens écarte le barème, le 19, suivi de près par le CPH de Lyon, le 21. Le CPH de Grenoble prend une décision similaire le 18 janvier 2019, celui d’Agen le 5 février, le conseil de Bordeaux le 9 avril, l’instance prud’homale de Montpellier enfonce le clou le 17 mai dernier. Face à la révolte, les plus hautes instances françaises prennent les manettes et se prononcent dans le but de rétablir l’application du « barème Macron ».

Dans une décision du 7 décembre 2017, le Conseil d’État affirme que le barème est légal. Le 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel déclare le barème conforme à la constitution et aux respects des droits fondamentaux. Enfin, la Cour de cassation entre en piste, saisie pour avis par deux conseils de prud’hommes, dont celui de Louviers (Normandie). Dans un jugement du 10 avril 2019, le juge départiteur et les quatre conseillers prud’homaux normands demandent à la Cour de cassation de lui dire si le « barème Macron » est, oui ou non, compatible avec l’article 10 de la convention de l’OIT et avec l’article 24 de la Charte européenne. La Cour prend position le 17 juillet 2019. Elle estime « que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct »2. Elle apporte ainsi une réponse à la question qui n’avait pas encore été tranchée par la chambre sociale de la Cour de cassation. La formation plénière de la Haute Cour s’est fondée « sur les termes de la partie ii de la Charte et sur ceux de l’article 24 qui lui sont apparus comme laissant une trop importante marge d’appréciation aux parties contractantes pour permettre à des particuliers de s’en prévaloir dans le cadre d’un litige devant les juridictions judiciaires nationales »2.

Voyants au vert, mais…

S’agissant de la compatibilité du barème avec les stipulations de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT, la Cour de cassation déduit en juillet 2019 que « les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, sont compatibles avec les dispositions de l’article 10 »2. Après cette prise de position claire, tous les voyants sont au vert pour une jurisprudence alignée avec des conseils et des cours qui appliquent le barème.

Pourtant, le 26 juillet 2019, soit neuf jours après les deux avis favorables au référentiel Macron de la Cour de cassation, le tribunal de prud’hommes de Nevers (Nièvre) écarte son application. L’affaire concerne une salariée du secteur de l’aide à domicile qui n’a jamais été déclarée. En l’espèce, l’application du barème aurait limité l’indemnisation du préjudice de la salariée à seulement 375 €, du fait de son ancienneté de deux ans au sein d’une entreprise de moins de onze salariés. Le tribunal fixe à 2 500 € le montant des dommages et intérêts. Les prud’hommes soutiennent que ce texte a le caractère d’un traité international s’imposant à la France3, alors que la Haute Cour a au contraire estimé que la disposition de la charte n’avait pas d’effet direct interne dans un litige entre particuliers. La cour d’appel de Reims, dont l’arrêt du 25 septembre dernier était très attendu4, considère également à sa hauteur que le « barème Macron », même s’il est conventionnel, peut être écarté en cas « d’atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné, c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché »4. En clair, ce n’est pas parce que le barème est conventionnel que le juge n’a pas le droit de l’écarter. La résistance à l’application de cette mesure phare du quinquennat Macron se poursuit avec un vade-mecum à l’interprétationin concreto ouverts aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse.

Aucune obligation ?

De nombreuses questions restent en suspens et tout inspire le pourvoi en cassation. Que dira la Cour au moment de juger en droit cette décision de cour d’appel ? Juridiquement, il est probable qu’elle estime que l’appréciation in concreto relève du pouvoir souverain des juges du fond. Il n’en ressortirait alors aucune décision définitive quant à l’application obligatoire du « barème Macron » par les juges français. Ceux-ci pourraient très bien choisir d’appliquer le barème ou pas, par-delà la conventionnalité aux textes internationaux. Le barème a été introduit en France pour une meilleure sécurité juridique, c’est finalement tout l’inverse qui semble se produire. La résistance de la prud’homie française illustre la difficulté à faire évoluer le droit social vers plus de souplesse. Afin de mieux comprendre notre problématique, nous proposons dans le tableau pages 43 à 46 un tour d’Europe des barèmes des pays membres de l’OIT. L’objectif est de vérifier l’existence de systèmes, de référentiels ou de limites légales ailleurs que dans notre pays. Il en est de même de la possibilité de réintégration du salarié.

Force est de constater que la quasi-totalité des États à économie de marché adhérents de la convention n° 158 de l’OIT possèdent un barème d’indemnités ou des limites légales en cas de licenciement. Ces systèmes fonctionnent et n’ont pas été indiqués comme contraire à ladite convention. Selon un directeur d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de service à domicile (SAD), « le secteur médico-social a besoin de règles de droit plus flexibles. Le “barème Macron” permet de prévoir pour une structure le coût du départ d’un salarié. La saga juridique autour de ce référentiel nous déstabilise dans la gestion de nos établissements ». Ce n’est pas la Cour de cassation qui va rassurer ce professionnel. En effet, elle a rejeté le 25 septembre dernier deux demandes d’avis portant sur l’article 24 de la Charte sociale européenne. Pour motiver sa décision, la Cour a rappelé ses avis du 17 juillet 2019 et elle s’est contentée d’indiquer que les dispositions de l’article 24 n’avaient pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers6. La cour d’appel de Reims avait jugé, le même jour, que ces dispositions bénéficiaient d’un effet direct permettant à un salarié de s’en prévaloir dans un litige prud’homal4. Face à ces décisions contradictoires : y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Les cas de la Suisse et de la Finlande doivent être traités à part

En Suisse, tout comme en Finlande, il n’existe pas de possibilité de réintégration du salarié dans l’emploi. C’est à l’aune de cette information que doit être comprise la décision du Comité européen des droits sociaux qui estime que les plafonds finlandais d’indemnisation peuvent être insuffisants pour couvrir le préjudice subi5.

Notes

(1) Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, JORF n° 0223 du 23 septembre 2017, texte n° 33, NOR : MTRT1724787R.

(2) Cour de cassation. Note explicative relative aux avis n° 15012 et 15013 du 17 juillet 2019 (Demandes d’avis n° 19-70.010 et 19-70.011) – Formation plénière pour avis.

(3) CPH Nevers, 26 juillet 2019, N° F 18/00050.

(4) Cour d’appel de Reims, 25 septembre 2019, n° F18/00035.

(5) CEDS, 8 septembre 2016, n° 106/2014, « Finish Society Social Rights c/Finland ».

(6) Cass. soc., 25 sept. 2019, n° 18-60.206 F-P+B, Cass. soc., 25 sept. 2019, n° 18-16.323 F-P+B.

Sources : CPH Le Mans, 26 juin 2018, n° 17/00538.

CPH Paris, 22 novembre 2018, n° 18/00964.

CPH Troyes, 13 décembre 2018, n° F18/00036.

CPH Amiens, 19 décembre 2018, n° F18/00040.

CPH Lyon, 21 décembre 2018, n° F18/01238 et 7 janvier 2019, n° F15/01398.

CPH Bordeaux, 9 avril 2019, n° RG F 18/00659.

CPH Montpellier, 17 mai 2019, n °F18/00152.

Conseil constitutionnel, décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018.

Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

CE, 7 déc. 2017, n° 415243.

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