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Bioéthique : comment appliquer les nouveaux droits des majeurs protégés ?

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Si le projet de loi relatif à la bioéthique, en discussion à l’Assemblée nationale, ouvre de nouveaux droits aux personnes vulnérables, les acteurs de la protection des majeurs rappellent que cela ne pourra se faire sans une reconnaissance de leur mission et de leur fonction.

« Introduite en 1994, révisée en 2004, 2011 puis 2020, la législation dite de « bio­éthique est de plus en plus permissive. Le législateur est partagé par des buts contraires. Promouvoir les principes directeurs du droit français de la biomédecine : la sauvegarde de la dignité, la protection du consentement, la gratuité et l’anonymat des dons. Mais aussi répondre aux attentes des citoyens qui sourient aux législations libérales étrangères. Le projet de loi ne laisse pas sur le banc les personnes vulnérables ; il leur offre de nouveaux droits en matière de don des éléments et produits du corps humain. Soit ! Le respect de leurs préférences et de leur choix ne sera cependant pas effectif sans l’information des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) ni un travail d’accompagnement à budget constant(1).

La biomédecine entre science, éthique et droit

Présenté le 24 juillet 2019 en conseil des ministres, le projet de loi sur la bioéthique a pour objet d’étendre l’assistance médicale à la procréation aux personnes seules et aux couples de femmes (art. 1er). Le gouvernement manifeste aussi clairement son intention de « renforcer l’autonomie des personnes sous mesure de protection juridique avec représentation à leur [personne] en leur permettant d’exprimer leur consentement en matière de don d’organes, de tissus et de cellules » (art. 7).

Dans le détail, le projet change les mots par lesquels sont désignés les majeurs protégés (p. 31). Exit « les personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection légale », qui rassemblait la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle, le mandat de protection future et l’habilitation familiale. La nouvelle formulation s’arrête aux « majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation à la personne ». La nouvelle qualification juridique doit être clarifiée. Or, non seulement les nouvelles règles sont insuffisantes dans le contexte normatif du droit de la santé des majeurs protégés mais leur mise en œuvre est incertaine au regard des moyens.

La levée partielle des interdictions de don

Aujourd’hui encore, les majeurs protégés sont privés de la possibilité de faire don – de leur vivant – de leur sang (code de la santé publique [CSP], art. L. 1221-5), de leurs organes (CSP, art. L. 1231-2), des tissus et des éléments de leur corps humain (CSP, art. L. 1241-2). L’interdiction absolue est protectrice et rigoureuse. En dépit des lourdes sanctions pénales (CSP, art. L. 1271-2), ces textes ne sont pas respectés. Comment en tenir rigueur au médecin de l’EFS qui accepte qu’un curatélaire ou tutélaire consente à un don du sang, alors que ce dernier lui a dissimulé sa mesure de protection juridique ? Quel ministère public poursuivra le médecin ? Quel MJPM portera plainte ? Darwinisme social, eugénisme dévoilé ?

Tous les textes précités auraient mérité d’être abrogés. L’interdiction de don ne le sera cependant qu’en partie (CSP, futur art. L. 1241-2) comme les sanctions pénales (CSP, futur art. L. 1272-2). Y échapperont les personnes protégées par un régime d’assistance en ce qui concerne leur personne. Dans le détail, il s’agit des bénéficiaires d’une curatelle simple ou renforcée, d’une habilitation familiale par assistance. Tous pourront faire don… mais seulement des tissus et des cellules de leur corps humain. En l’état du projet de loi, les tutélaires et les curatélaires ne pourront toujours pas faire don de leur sang ! Et les personnes protégées par un régime de protection par représentation à la personne ne bénéficient même pas de la levée partielle de l’interdiction. L’étendue de la prohibition devrait, selon nous, être revue à la baisse. Les parlementaires y seront peut-être attentifs après avoir voté, en 2019, la levée de l’interdiction de voter des personnes sous tutelle et la suppression des autorisations à mariage !

Les rapports se succèdent pour défendre l’autonomie des majeurs protégés et le respect de leur préférence dans un souci de non-discrimination. Le défenseur des droits, en 2016, le groupe interministériel sur l’évolution de la protection juridique, en 2018, une mission parlementaire sur les droits fondamentaux des majeurs protégés en 2019. Tous défendent un changement de paradigme dans la protection juridique des majeurs et la fin d’un paternalisme tutélaire qui étouffait la volonté de l’intéressé au nom de la sauvegarde de son intérêt supérieur. Chacun connaît maintenant l’existence de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et la supériorité de cette convention sur la loi interne en dépit de l’absence de sanctions. C’est dans cette perspective que la loi du 23 mars 2019 a habilité le gouvernement à réécrire le code de la santé publique et à modifier toutes les dispositions intéressant le recueil du consentement du majeur protégé, la désignation de la personne de confiance et les pouvoirs des organes de protection juridique(2). Les auteurs de la future ordonnance pourront faire prévaloir à loisir la volonté du majeur protégé qui est en état de manifester son consentement, comme le dit l’article 459, alinéa 1er du code civil (C. civ.).

Modification des pouvoirs du MJPM

Le projet de loi « bioéthique » propose aussi de modifier l’article L. 1232-2 du code de la santé publique. A l’avenir, le prélèvement d’organes sur un majeur protégé décédé ne serait plus subordonné à une autorisation écrite du tuteur. Les MJPM étaient très mal à l’aise avec ce texte. D’abord, ils comprenaient mal pourquoi ils bénéficiaient d’un pouvoir de représentation alors que le décès met fin à la mesure de protection juridique (C. civ., art. 443). Ensuite, il leur était souvent difficile de connaître les réelles intentions du majeur protégé à ce sujet. Le majeur protégé sera donc traité comme n’importe quel adulte non protégé ; il sera considéré comme donneur s’il n’a pas inscrit sur le registre ad hoc son refus de prélèvement. En pratique, malgré la présomption légale de consentement posthume au don, les médecins sollicitent l’avis des familles et ne passent jamais outre leur opposition(3).

Les MJPM accueilleront bien le nouveau texte. Ils pourront y voir une moindre compensation avec la suppression de l’autorisation judiciaire pour les actes médicaux portant gravement atteinte à l’intégrité corporelle des majeurs protégés (C. civ., art. 459, al. 3, rédac. loi n° 2019-222, 23 mars 2019) qui oblige les MJPM à partager avec le médecin la responsabilité des actes médicaux pour lesquels leur consentement est requis au titre de l’assistance ou de la représentation du majeur protégé (C. civ., art. 459, al. 2).

Dans tous les cas, les MJPM ont une obligation d’information à l’égard des personnes protégées. Ils devront porter à leur connaissance, suivant des mots accessibles à leur degré d’entendement, les nouvelles dispositions légales (C. civ., art. 457-1). On retrouve ici la problématique traditionnelle relative à l’opportunité d’aborder avec le majeur protégé ses droits relatifs à la fin de vie et à la disposition de son corps (désignation d’une personne de confiance, rédaction de directives anticipées, manifestation de refus de prélèvement posthume…).

D’un point de vue pratique et dans l’accompagnement proposé, chaque service MJPM devra organiser la procédure pour recueillir les choix du majeur protégé, en retraçant les informations délivrées, les enjeux et les limites des choix opérés, les précautions prises et les conditions de réalisation. Par-delà ce processus, les MJPM devront se montrer plus disponibles encore pour accompagner les personnes protégées pour que leurs nouveaux droits deviennent effectifs.

En somme, l’autonomie de la personne protégée dans l’expression de ses choix a pour corollaire un paradoxe : censée répondre aux principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité, la mesure de protection ouverte par le juge désigne le MJPM comme le garant de la recherche et de l’expression de son consentement.

L’efficacité des nouvelles dispositions est, une fois de plus, subordonnée à des considérations pratiques et financières qu’on se lasse de répéter. Pour être de qualité, la démarche d’accompagnement exige une reconnaissance des missions et des fonctions des MJPM, depuis sa formation (initiale et continue) jusqu’à leur rétribution. Le législateur n’atteindra ses objectifs que si les MJPM maîtrisent le cadre juridique et l’approche psycho-sociale de la vulnérabilité, que s’ils disposent d’un temps effectif et raisonnable à consacrer au soutien des projets et décisions individuelles. Sans cette prise de conscience, la sauvegarde de l’autonomie et le respect des préférences des personnes protégées est un leurre. Espérons que les recommandations financières sur lesquelles se clôt le rapport de l’Assemblée nationale le 26 juin 2019 soient prises en considération dans la prochaine loi de finances ! »

Notes

(1) Voir la tribune de M. Pimpeterre et G. Raoul-Cormeil, ASH n° 3088 du 14-12-18, p. 37.

(2) G. Raoul-Cormeil – « En attendant la recodification du droit de la santé du majeur protégé… » in Revue générale de droit médical, n° 72, sept. 2019, p. 159.

(3) Dr G. Viquesnel, in Ethique et conditions de la fin de vie – Ed. Mare et Martin, 2016, p. 321.

Contacts : marc.pimpeterre@live.fr, gilles.raoul-cormeil@unicaen.fr

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