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Pour aider les jeunes à se loger

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Depuis dix ans, le département du Bas-Rhin propose aux jeunes de 18 à 25 ans un accompagnement social renforcé, centré sur l’aide à l’accès au logement. L’association L’Etage est l’opérateur dans l’agglomération de Strasbourg de ce « Pass’accompagnement ». La bonne idée est que le jeune a le même interlocuteur durant tout son parcours.

Ce matin, Émeline Monnier, éducatrice spécialisée de l’association l’Étage, se rend dans le quartier du Neuhof, à Strasbourg, pour rendre visite à Sarah, 21 ans. Grâce au dispositif « Pass’accompagnement » du Bas-Rhin, celle-ci a déjà pu accéder avec son compagnon à un logement d’une pièce dans une résidence sociale Adoma. Une solution provisoire trouvée in extremis par sa référente, alors que Sarah venait d’accoucher et n’avait plus de place dans le logement de sa famille où vivaient déjà 14 autres personnes.

D’abord expérimenté à la suite d’un appel à projets du ministère de la Jeunesse et des Sports, le Pass’ accompagnement a aujourd’hui dix ans et est désormais un outil pérenne du conseil départemental du Bas-Rhin pour insérer les jeunes adultes par le logement. Depuis ses débuts, le dispositif a participé à l’insertion de centaines de jeunes. Mission locale, centres médico-sociaux, service de protection de l’enfance… Les 18-25 ans font l’objet de fiches de repérage de la part de différents prescripteurs, qui les adressent au conseil départemental. La collectivité confie ensuite l’accompagnement global du jeune repéré à l’une des deux associations opératrices : L’Etage s’occupe des jeunes de l’agglomération de Strasbourg, tandis que Gala s’occupe de ceux des zones rurales et des autres villes du département.

L’idée est d’offrir au jeune un accompagnement unique et renforcé pendant un maximum de deux ans, dans l’objectif de l’insérer par l’accès au logement. Une sorte de guichet unique pour permettre l’autonomie des précaires de 18 à 25 ans, à condition qu’ils disposent déjà de ressources. Pour soutenir le jeune accompagné, les référents s’appuient sur un accès facilité à plusieurs outils financiers du département du Bas-Rhin.

Un référent unique

« La plus-value du dispositif est que le jeune est accompagné par un référent unique pour la prospection, pour l’accès au logement et pour le suivi, défend Ludivine Bau, cheffe de service de la plateforme jeunes de L’Etage. C’est-à-dire qu’il a un même interlocuteur durant toutes les étapes de son insertion. » L’autre atout est la contractualisation : « Le contrat est un outil qui sert à fixer les objectifs à atteindre et la fréquence des rencontres, et à expliciter les démarches que le jeune doit effectuer, précise la responsable. Cela permet aussi de reprendre contact quand il ne donne pas signe de vie ou qu’il décroche. »

Désormais, l’objectif de Sarah est de trouver un logement social avec une chambre pour son bébé. La jeune mère au foyer accueille chaleureusement Emeline Monnier à son domicile temporaire : « Ça fait plaisir de voir du monde. » L’éducatrice observe le logement, qui a changé d’aménagement depuis sa dernière visite à domicile, il y a un mois : le lit a été déplacé. Emeline Monnier salue le petit Levis, 7 mois, dans les bras de sa mère. Installées devant un café à la petite table de la pièce, les deux femmes se donnent des nouvelles, tandis que Levis s’agite sur les genoux de sa mère. « Une vraie grenouille », s’attendrit l’éducatrice.

Pour accéder au logement social tant espéré, l’étape à passer est la déclaration d’impôts. « Vous en êtes où ? », demande Emeline Monnier. « Il faut que j’aille la déposer. La semaine dernière, il y avait trop de monde au centre des impôts. Aujourd’hui, il pleut. » « Tant que vous ne déposez pas votre déclaration, ça recule le délai », insiste l’éducatrice. La jeune mère promet qu’elle va laisser le petit à son père quand il rentrera. Pour l’heure, Sarah est surtout préoccupée par sa propre santé – elle souffre d’une hépatite – et par celle de son compagnon qui, pour le moment, n’a pas de sécurité sociale et qui, redoute-t-elle, pourrait lui aussi être malade. Entre cette inquiétude et le bébé qui dort peu, Sarah est très fatiguée. Afin qu’elle puisse se reposer, Emeline Monnier tente d’aborder la possibilité de faire garder un peu Levis. Le sujet est sensible : le père ne veut pas que leur bébé soit gardé, prévient tout de suite Sarah, qui concède qu’elle ne peut pas dormir. « Je vais le laisser deux jours à ma belle-mère pour aller à un mariage », relativise-t-elle. Pour Sarah, hors de question de parler de crèche : « Jamais de la vie, je n’ai pas confiance ! » Emeline Monnier suggère alors l’idée d’une crèche parentale qui permettrait à Sarah de voir du monde. « Il est trop petit, il ne sait pas encore jouer », rejette Sarah. « Et vous, vous allez bien ? », demande pour la seconde fois la visiteuse. « Ça fait long, pour moi, un mois sans vous voir », lâche Sarah.

Le mois prochain, cela fera huit mois que Sarah est entrée dans son logement. Le moment est venu de commencer à rembourser au département la somme avancée pour son dépôt de garantie par le biais du fonds de solidarité pour le logement (FSL). « La prochaine fois, on regardera votre compte CAF [caisse d’allocations familiales] », prévoit Emeline Monnier, après avoir fixé la date de leur rendez-vous à venir dans les locaux de L’Etage. Et de rappeler que, pour le moment, l’urgence est de déposer les avis d’imposition. « Emelyne s’occupe vraiment bien de moi, confie Sarah avant le départ de sa référente. On s’entend bien. C’est grâce à elle que j’ai eu cet appartement. Je la remercie beaucoup. Maintenant, il faut que je parte d’ici, c’est trop petit. » Emeline Monnier reviendra chez Sarah dans deux mois et demi. Entre-temps, elles se verront une fois dans les locaux de L’Etage. L’éducatrice spécialisée n’oublie pas que la couverture maladie universelle de sa protégée expire bientôt et qu’elle va devoir s’occuper de son renouvellement.

Aider à se responsabiliser

Comme pour Sarah et ses problèmes de santé, l’accès au logement avance souvent lentement pour ces jeunes précaires, comme le souligne Ludivine Bau : « L’objectif premier du Pass’accompagnement est, certes, le logement, mais on met souvent des mois avant d’y arriver. Ces jeunes ont tout un tas de difficultés sociales à lever avant de pouvoir se projeter dans le logement. » Pendant le déplacement d’Emeline Monnier, ses collègues se sont affairées depuis leur bureau commun à réaliser de multiples démarches pour les jeunes qu’elles suivent. La plupart d’entre eux travaillent la journée et ne sont donc pas disponibles pour les effectuer aux heures ouvrées. L’équipe pallie également une autre difficulté : une maîtrise imparfaite du français, qui peut être discriminante face aux bailleurs. Elles se posent donc en interlocuteurs tiers pour faciliter les contacts. Ce matin, plusieurs jeunes attendus ne sont pas venus à leur rendez-vous. Un écueil courant pour les travailleuses sociales.

Entre la saisine du conseil départemental et le premier rendez-vous avec un référent du Pass’accompagnement, il s’écoule en général un délai de trois semaines. Les premiers mois de l’accompagnement sont cruciaux pour tester l’adhésion des jeunes. Ils signent d’abord un premier contrat de trois mois de prise en charge, à l’issue desquels le conseil départemental décide du maintien ou non dans le dispositif. Les référentes sont habituées à faire beaucoup de relances téléphoniques pour raccrocher les jeunes à l’accompagnement. « Si le jeune vient aux rendez-vous, il est maintenu, même s’il n’adhère pas à 100 %. Il y a beaucoup de compréhension et de souplesse de la part du conseil départemental », assure Ludivine Bau.

Assistante sociale de formation, Stéphanie Mura exerce à L’Etage depuis 2013 et possède donc des années de pratique du Pass’accompagnement. Elle affectionne particulièrement ce travail d’accompagnement de personnes en construction. « Nous intervenons dans un moment charnière pour elles : le passage de la vie d’adolescent à la vie d’adulte, avec l’accès au logement, à l’emploi, à une vie stable. Cette période est très intéressante. Le dispositif nous oblige à rencontrer le jeune tous les quinze jours, voire plus si nécessaire. Nous les accompagnons aussi à l’extérieur pour les visites de logements, les états des lieux, les démarches à la CAF et à la caisse d’assurance maladie. Nous sommes fortement engagés dans leur quotidien. C’est plus poussé que ce que peut proposer une assistante sociale de secteur. » Le public jeune offre un panel de profils très riche, allant de la jeune mère isolée à l’ex-mineur non accompagné.

Les rendez-vous de l’après-midi sont plus heureux. A 14 h 30, Stéphanie Mura a rendez-vous avec Ahmed, 22 ans. Le jeune homme originaire du Bangladesh vient de trouver un contrat à durée indéterminée et doit prochainement renouveler son titre de séjour auprès de la préfecture. Dans son échange avec lui, Stéphanie Mura prend soin de parler clairement et lentement, car le français est encore difficile pour lui. Elle lui montre sur son ordinateur portable comment faire lui-même la demande sur le site de la préfecture de Strasbourg, en lui notant toutes les étapes sur une feuille. « Vous arrivez à me relire ? » Ahmed la rassure : « Oui, je vais apprendre. » « Je pense que vous savez déjà », l’encourage sa référente. « Oui, mais grâce à vous », insiste le jeune homme. Ahmed va terminer dans un mois sa prise en charge avec le dispositif. Un saut vers l’inconnu pour cet ancien mineur de l’aide sociale à l’enfance qui assure se sentir désormais prêt à se débrouiller, même s’il a encore des difficultés à lire tous les papiers. « Pour les impôts, vous avez fait seul cette année », dédramatise Stéphanie Mura. Pour le prochain rendez-vous, elle prévoit de faire pour Ahmed la demande d’aide personnalisée au logement (APL), de le mettre en lien pour la suite avec le centre médico-social de son secteur et de lui trouver un écrivain public.

Le Pass’accompagnement tente de responsabiliser le jeune, comme l’explique Ludivine Bau : « Il faut aider le jeune à s’aider lui-même en le faisant apprendre par le “faire”. C’est un public qui expérimente tout pour la première fois : premier logement, premier salaire, premier budget… Les référents sont aussi là pour transmettre des apprentissages. Nous essayons d’être dans la valorisation et d’encourager l’estime de soi, plutôt que de ne voir que les difficultés. » Ahmed a bénéficié de six mois supplémentaires dans son accompagnement en raison de ses problèmes en français. En 2018, parmi les jeunes accompagnés, 8 % ont pu bénéficier comme lui d’une prolongation de leur contrat au-delà de la limite réglementaire de deux ans de prise en charge. Une décision toujours négociée avec le département via sa chargée de mission « insertion jeunes », Katia Wartelle, qui pilote le dispositif depuis 2014. L’équipe des référentes du Pass’accompagnement de L’Etage tient avec elle une réunion de liaison mensuelle. C’est à elle qu’elles envoient tous les bilans intermédiaires de suivi, les demandes auprès de la FSL et d’autres prestations financières ainsi que les questions de prolongation de contrat. Katia Wartelle assure s’en référer aux travailleurs sociaux dans leurs avis sur les besoins des jeunes : « Il y a une souplesse qui doit être possible pour que le dispositif profite effectivement au jeune. Les demandes de prolongation correspondent à des situations très fragiles avec des choses encore en cours, un passage de relais à consolider. On ne peut pas tout perdre. L’idée du Pass’accompagnement n’est pas seulement que le jeune accède au logement mais qu’il dispose des conditions pour s’y maintenir. Souvent, l’entrée dans le logement se fait à la fin de l’accompagnement. On en discute et je me fie aux travailleurs sociaux. Ça m’arrive très rarement de penser qu’on peut faire autrement que ce qu’ils préconisent. » La responsable du dispositif au conseil départemental est une interlocutrice de confiance, confirme Stéphanie Mura : « C’est facile d’échanger avec elle sur les situations. »

D’un relais à un autre

En milieu d’après-midi, sa collègue Sophie Balzer, éducatrice spécialisée de formation, reçoit une jeune femme pour une première rencontre. Valeria, 21 ans, a été orientée vers un Pass’accompagnement par l’Ecole de la deuxième chance. Sa fiche de repérage a été validée par Katia Wartelle, qui l’a adressée à l’association L’Etage. Ce premier rendez-vous a tout d’un passage de relais entre l’école et l’association. « Nous essayons au maximum de rencontrer le jeune avec son référent antérieur, observe Sophie Balzer. Cela le tranquillise. » Madeleine Stéphanny, accompagnatrice socioprofessionnelle à l’Ecole de la deuxième chance de Strasbourg, est donc présente cet après-midi aux côtés de Valeria. Les trois femmes reprennent ensemble les informations concernant la jeune femme avant qu’elle signe, seule avec sa référente, son contrat d’objectif. Valeria a connu précocement le décrochage scolaire et vient de stabiliser ses ressources grâce à un petit travail. Madeleine Stephanny explique à l’éducatrice spécialisée le parcours de Valeria, laquelle a su très tôt qu’elle voulait être pâtissière. A l’issue de ses différents stages, elle a décroché un contrat d’apprentissage pour la rentrée. « Ça va être une nouvelle ère pour vous, pointe son ancienne accompagnatrice. Vous allez être à la fois salariée et en centre de formation d’apprentis. Ça va vous demander des efforts, mais vous savez que vous pourrez récupérer les cours et avoir le soutien de l’ancienne apprentie qui reste dans l’entreprise. » En attendant la rentrée, Valeria raconte à Sophie Balzer qu’elle travaille comme employée de service dans une grande surface 35 heures par semaine, mais que son contrat est prolongé de semaine en semaine, ce qui l’insécurise. Elle s’inquiète aussi de savoir si elle pourra venir rencontrer sa référente avec son animal. « Ici on accueille les chiens, vous pourrez venir avec », déclare la professionnelle.

Ce qui va être complexe pour Valeria, c’est d’obtenir un logement HLM avant d’avoir un contrat d’apprentissage. Le Pass’accompagnement va l’aider et l’épauler aussi dans d’autres domaines. Dès ce premier rendez-vous, la travailleuse sociale aborde, par exemple, la question de la sécurité sociale. Valeria est encore sur celle de son père. Mais en tant que salariée, elle doit informer la CAF et la CPAM de son changement de situation. Si le suivi de Valeria par l’Ecole de la deuxième chance court encore pour quatre mois, Sophie Balzer s’engage auprès de Madeleine Stephanny à prendre le sujet en main. L’Ecole de la deuxième chance adresse chaque année environ huit jeunes au dispositif. Pour y prétendre, le jeune doit avoir des ressources. Avec un contrat de travail, Valeria avait le bon profil. « Je sais que quand ils sont là, ils sont vraiment très bien suivis », affirme la représentante de l’Ecole de la deuxième chance.

En 2018, sur 500 demandes de prise en charge avec ce dispositif, seules une trentaine ont été rejetées. « Il y a peu de refus car les critères sont bien connus par ceux qui y font appel », estime Katia Wartelle(1). Son service coordonnant de nombreux dispositifs d’insertion pour les moins de 30 ans, le cas échéant, le jeune ne reste jamais sans solution. Le Pass’accompagnement fonctionne avec une enveloppe de 474 000 €, une somme fournie, en partie, par l’Union européenne. Pérennisé depuis 2013, le dispositif a fait ses preuves et tient particulièrement au cœur du président du conseil départemental du Bas-Rhin, alors qu’il ne relève pas d’une compétence obligatoire de la collectivité et que les départements sont aujourd’hui contraints de se concentrer sur leurs missions premières, au regard des baisses de budgets. « C’est une volonté politique de maintenir cet outil », précise la responsable du dispositif, à l’heure où un projet de collectivité unique Alsace-Europe est en pourparlers et qu’aucun outil comparable n’existe dans l’autre département alsacien.

Notes

(1) Pour pouvoir prétendre au dispositif, un jeune doit avoir entre 18 et 25 ans ; une situation administrative en règle qui lui permette de résider et de travailler sur le territoire ; un minimum de ressources (salaire, allocation chômage, minima sociaux).

Reportage

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