Recevoir la newsletter

Inclusion scolaire : le partenariat médico-social – Education nationale encore fragile

Article réservé aux abonnés

L’inclusion scolaire des enfants handicapés suppose que l’Education nationale et le secteur médico-social travaillent ensemble au quotidien. L’étude sociologique d’un dispositif IME hors les murs installé dans un collège met en évidence de multiples tensions encore existantes entre les deux partenaires.

La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a publié, fin août, les résultats d’une enquête sociologique réalisée en 2018 au sein d’un dispositif hybride dit « institut médico-social (IME) hors les murs », qui articule les accompagnements d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) et d’un institut médico-éducatif (IME) à l’intérieur d’un collège ordinaire(1). Initié en 2010 de façon expérimentale, ce dispositif est devenu pérenne en 2015. La spécificité du dispositif repose sur un accompagnement pédagogique, thérapeutique et éducatif majoritairement intramuros, dans l’enceinte d’un collège ordinaire de 600 élèves. Il s’adresse à des jeunes de 12 à 16 ans ayant une déficience intellectuelle « dont les troubles d’inhibition sociale et intellectuelle nécessitent un accompagnement spécialisé et permanent au sein du collège ». Selon les professionnels de l’IME hors les murs, les jeunes accompagnés ne pourraient pas être scolarisés en Ulis à plein temps s’il n’y avait pas un IME sur place. « Les jeunes orientés sur ce dispositif ont une double notification, IME et Ulis, de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Ils ont essentiellement deux profils : ils sortent soit d’Ulis-école, soit d’établissement médico-social, majoritairement d’IME, et plus rarement d’institut thérapeutique éducatif et pédagogique (Itep) », précise l’étude.

Tensions et dysfonctionnements

Les chercheurs examinent, dans cette étude, la manière dont l’IME hors les murs travaille les frontières entre les mondes de l’Education nationale et du médico-social. De nature hybride, ce dispositif questionne les places respectives des deux acteurs dans la dynamique d’inclusion scolaire. « Cette double inscription institutionnelle suscite de multiples tensions et dysfonctionnements, révélateurs des écarts qui existent entre les deux modes de fonctionnements », notent les chercheurs. Des tensions visibles qui sont apparues dès le déploiement initial du dispositif au collège. L’enjeu principal des tensions réside dans l’épineuse question du partage de la mission d’inclusion scolaire entre les deux secteurs. « En effet, si l’inclusion s’est imposée dans les législations et les discours comme un nouveau paradigme pour penser la scolarisation en France, aucune modification structurelle du contexte scolaire n’est venue appuyer ces changements d’orientation », relève l’étude. La notion d’inclusion scolaire n’est pas appropriée de la même manière dans les deux univers. « Les acteurs du secteur médico-social s’en saisissent activement comme d’une opportunité pour recomposer l’accompagnement médico-social et transformer les institutions, là où les acteurs de l’Education nationale semblent percevoir l’inclusion scolaire davantage comme une obligation imposée de l’extérieur à des établissements déjà sous contrainte. En d’autres termes, le médico-social est davantage à la manœuvre, alors que l’Education nationale se voit contrainte au mouvement », expliquent les chercheurs.

Travail de médiation

Dans ces conditions, l’activité des professionnels qui incarnent le dispositif IME hors les murs consiste, pour une large part, à travailler sur ces tensions afin d’articuler, autant que possible, les deux mondes sociaux. Ce travail de médiation est, le plus souvent, un travail informel, accompli par les professionnels de l’IME hors les murs, dans leurs relations au jour le jour avec les enseignants et des surveillants du collège qui sont exposés à des comportements étranges des élèves du dispositif. Si les éducateurs de l’IME participent à ce travail de médiation, c’est surtout l’accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH) qui est en première ligne dans ce travail. « A travers ces multiples bricolages collectifs, les acteurs professionnels du dispositif travaillent “par le bas” les frontières entre l’Education nationale et le médico-social, y compris lorsqu’ils font remonter des difficultés pour faire évoluer la convention-cadre. En dépit du contexte d’incertitude qui pèse sur la division du travail entre les deux secteurs vis-à-vis de l’objectif d’inclusion scolaire et malgré les tensions à l’échelle du département, ils progressent dans l’articulation des deux mondes », met en exergue l’étude. Un travail de longue haleine qui porte ses fruits puisqu’en 2018, les acteurs du dispositif font état d’une nette progression dans l’intégration et la reconnaissance symbolique de l’IME hors les murs au sein de l’établissement scolaire.

L’après-IME hors les murs

Les chercheurs ont également questionné l’expérience vécue par les élèves accueillis dans le dispositif de l’IME hors les murs. Tout en leur permettant de s’affirmer en tant que collégiens, la démarche inclusive vient questionner leur identité. « Symboliquement, l’inclusion au collège valide un état de “normalité” des élèves et agit comme une preuve de leurs compétences ; au quotidien, elle peut exacerber le sentiment de différence », notent les chercheurs. L’inclusion en classe ordinaire est toutefois assez souvent vécue par ces élèves comme inconfortable. Par ailleurs, à l’issue du collège, les possibilités d’orientation de la majorité des jeunes sont restreintes. Faute d’un accompagnement équivalent à l’IME hors les murs qui leur permettrait d’intégrer un lycée professionnel, avec le soutien d’une équipe de professionnels, elles se limitent souvent à un choix binaire : le retour en milieu spécialisé ou l’insertion dans le milieu professionnel. Sur les vingt élèves sortis du dispositif depuis sa création, un peu moins de la moitié ont quitté le milieu spécialisé. Trois ont été réorientés en cours de cycle vers un IME, sept sont partis en l’institut médico-professionnel (IMPro), un est retourné en IME avec une scolarité partagée en Ulis, un en institut d’éducation motrice (IEM) tandis que six ont intégré une Ulis-lycée pro et deux ont été orientés en CAP en étant tous accompagnés par un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad). Enfin, un a été orienté en entreprise et service d’aide par le travail (Esat). Ainsi, le manque d’initiatives permettant d’assurer une continuité à l’IME hors les murs ou de poursuivre ce que l’IME a pu déclencher est souligné par certains membres de l’équipe éducative.

Toutefois, cette difficulté du passage du collège au lycée pour les élèves en situation de handicap n’est pas propre au dispositif IME hors les murs, rappelle l’étude. En effet, selon les statistiques 2019 du ministère de l’Education nationale, en 2017, près de 35 000 élèves étaient scolarisés en Ulis-collège contre 6 900 en Ulis-lycée, soit près de cinq fois moins d’élèves au lycée.

Un travail « éminemment institutionnel »

De manière plus transversale aux résultats de cette étude sur l’IME hors les murs, les chercheurs s’interrogent sur les liens entre inclusion et désinstitutionnalisation. « Les pouvoirs publics, au niveau national comme à l’international, véhiculent l’idée que l’inclusion scolaire s’opposerait à l’institution, et que l’école ordinaire devrait prendre le relais du modèle institutionnel en place depuis les années 1970. Mais désinstitutionnalisation et inclusion scolaire vont-elles forcément de pair ? En d’autres termes, suffirait-il de décréter l’inclusion et de fermer tous les établissements spécialisés pour que l’inclusion scolaire advienne ? L’école dite “ordinaire” apparaît, aujourd’hui, démunie pour décliner seule l’objectif d’inclusion scolaire des élèves handicapés », interrogent les chercheurs. S’appuyant sur les difficultés concrètes rencontrées tant par les élèves qui s’inscrivent dans cette démarche d’inclusion que par les acteurs de l’environnement scolaire ordinaire, le dispositif IME hors les murs revendique au contraire, selon eux, « un travail “éminemment institutionnel”, qui repose sur un projet, une équipe, qui constitueraient une condition nécessaire à la mise en œuvre d’une démarche qui ne se bercerait pas de mots et s’approcherait d’une inclusion effective ». Et d’ajouter : « Ni “tout institution classique” ni “tout ambulatoire”, ce dispositif essaie de s’adapter à la spécificité des profils de chaque élève accompagné. Il ne se pense pas comme un “modèle” à généraliser, mais comme l’une des réponses possibles pour certains élèves handicapés, au sein d’une offre diversifiée. » Pour les trois chercheurs, la dynamique inclusive gagne à être étudiée comme « un processus évolutif, non dénué de tensions et d’ambivalences, dont les effets ne sont jamais donnés d’avance. »

Un projet financé par la CNSA

Ce projet a été financé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans le cadre d’un contrat de recherche qui lie celle-ci à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) sur le thème de l’offre des établissements et services médico-sociaux du champ du handicap et de la perte d’autonomie au regard de l’évolution des besoins des personnes. Le travail de recherche a été réalisé par Hugo Bertillot, sociologue du laboratoire de recherche Hadepas (pour handicap autonomie et développement de la participation sociale, université catholique de Lille), Noémie Rapegno et Cécile Rosenfelder, ingénieures de recherche de l’EHESP.

Notes

(1) Quand l’institution médico-sociale s’inscrit dans les murs de l’éducation nationale Enquête au sein d’un IME « hors les murs » – Bertillot, Rapegno et Rosenfelder – Juin 2019. L’étude est téléchargeable sur le site Internet de la CNSA. www.cnsa.fr.

Focus

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur