Le néologisme fait son chemin, dans une société ultraconnectée. L’« illectronisme », dérivé d’illettrisme, désigne la fracture numérique, c’est-à-dire la non-maîtrise d’Internet au quotidien. Une véritable problématique, tant les démarches administratives tendent à se dématérialiser. Le lycée agricole d’enseignement privé (LEAP) de Nermont a décidé d’y remédier du mieux qu’il pouvait sur son territoire. Fanny Cavalier, référente du dispositif pour le lycée, observait un constat partagé. « Sur notre territoire rural, des bureaux de services publics ferment partout. Nous avons une population vieillissante. Les élus, le département, la région, tout le monde souhaitait un projet autour de cette question. » Après plusieurs conférences de financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, l’idée commence à voir le jour. Aidé par la maison départementale de l’autonomie, la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail et des fonds européens, Perche Digital Seniors prend forme. En janvier 2017, le projet est engagé pour trois ans. Grâce aux subventions, le lycée s’équipe d’une douzaine d’ordinateurs portables et loue un minibus pour pouvoir se déplacer dans les communes alentour. « Le petit plus de Perche Digital Seniors ? C’est inclus dans le parcours des élèves, comme un projet d’établissement », souligne Fanny Cavalier. Et même si certains ont eu « quelques appréhensions au début, pensant qu’on les emmène à la maison de retraite », tous semblent aujourd’hui apprécier l’expérience. Ainsi, des élèves de 4e à la Terminale se plient à l’exercice, avec bienveillance. « Ce sont des élèves qui se dirigent plutôt vers des métiers de services à la personne donc ce projet est idéal pour eux. Ils sont fiers aussi de montrer comment se servir de ces outils. »
Le concept itinérant a été pensé dès le début. Le lycée a pris contact avec les mairies, mettant en avant l’aspect gratuit et innovant du dispositif. Tous les maires rencontrés ont accepté. Une opération de communication a alors été mise en place : courriers, affiches, flyers… Et des réunions collectives pour les personnes intéressées. A chaque déplacement, quatre ou cinq élèves accompagnent les seniors lors de l’atelier, qui se déroule le plus souvent dans une salle communale (avec un bon réseau wifi !). A raison de dix séances de deux heures, Perche Digital Seniors permet une première approche de l’outil informatique. Certains ont leur matériel, d’autres s’équipent au fur et à mesure des ateliers, selon leur intérêt. Si le programme est établi en fonction des besoins, le processus d’apprentissage reste cependant assez semblable d’un groupe à un autre (voir encadré). « Ce qui intéresse le plus les participants touche aux démarches administratives. Ils subissent l’air du temps, celui de la dématérialisation », observe Fanny Cavalier. Même si apprendre à communiquer à distance avec des enfants ou petits-enfants recueille aussi leurs suffrages. « Certains nous disent avoir reçu des tablettes en cadeau. Ils ont envie de rester à la page. » Alors autant apprendre à s’en servir pour rompre l’isolement et garder un lien, même virtuel.
Si Perche Digital Seniors propose ses ateliers à partir de 60 ans, aucun âge limite n’est fixé. Ainsi, la doyenne des ateliers a… 95 ans ! Et tous les « niveaux » se côtoient. Hervé, 68 ans, n’était pas novice en informatique. Mais le concept lui a plu. « Il y a toujours quelque chose qu’on ne maîtrise pas tout à fait. Donc on apprend quelque chose d’intéressant. » Lui est venu aux ateliers avec sa femme, agréablement surpris par l’émulation du groupe, « l’ambiance bon enfant » et la bonne « prestation » des élèves accompagnateurs. « Ce qui est indiqué dans le programme est fait, il n’y a pas de loupé. C’est une belle cohésion de générations. Ces jeunes n’hésitent pas à donner de leur savoir, à leur tour d’éduquer les anciens ! » Fanny Cavalier, qui coordonne le dispositif, observe aussi une forme de cohésion lors des ateliers : « Il y a un côté très convivial, ce sont des gens qui se connaissent, mais un autre lien social se crée. Venir aux cours rompt l’isolement… Ça remplit beaucoup de champs ces ateliers. »
En presque trois ans, Perche Digital Seniors a permis à plus de 1 000 personnes sur 30 communes d’apprivoiser ordinateurs ou tablettes. De quoi réaliser l’importance du projet et les besoins réels du territoire. Alors que les subventions vont cesser en décembre prochain, l’équipe du lycée envisage la suite. Et cherche des financements sur le long terme, souhaitant conserver la gratuité des ateliers. « On est dans l’enseignement, on ne veut pas de côté commercial », indique la référente de Perche Digital Seniors. « Bien sûr nous travaillons à la pérennisation du projet, l’idée étant de l’essaimer aux territoires voisins qui n’ont pas pu en bénéficier jusque-là. » Le projet a conquis, et fait parler de lui. Alors secrétaire d’Etat en charge du numérique, Mounir Mahjoubi vient constater l’originalité du projet, tout comme Laure de La Raudière, députée. En avril dernier, le projet obtient le prix de la fondation Korian, visant à récompenser « une action particulièrement originale destinée à favoriser le bien-vieillir dans les territoires ». Et projette peut-être, un jour, de réaliser aussi cette initiation au numérique au sein de leurs établissements. En attendant, les porteurs de Perche Digital Seniors ont déposé le label « Passeur d’usages », et des clubs informatiques informels se sont créés dans les communes, afin que les personnes initiées transmettent à leur tour. Les élèves, eux aussi, sont porteurs du label. « Nous avons la même motivation que nos élèves, explique Fanny Cavalier. C’est un beau projet intergénérationnel que de venir en aide à un public délaissé face au numérique. » Et les projets, l’équipe du LEAP de Nermont les mets en place, l’un après l’autre. Ainsi, un living lab des services à la personne a également vu le jour. Un « lieu-totem, un laboratoire » de rencontres avec des start-up. Celles-ci ont des produits à destination d’un public senior et le lycée se charge de les expliquer et de les faire tester à des seniors volontaires. Montres connectées, applications mobiles, sites Internet… « Ce projet s’inscrit dans la continuité de Perche Digital Seniors. » Devant ce foisonnement d’idées pour aider les habitants du territoire à mieux vieillir, le lycée s’est remis en quête d’appel à projets. Hervé, lui, se souvient de personnes motivées, mais parfois inquiètes de l’outil informatique, qui avaient par la suite « moins d’anxiété » grâce à cette découverte accompagnée. « Cette relation entre jeunes et moins jeunes, c’est très sympathique. Et puis, ça se voyait, que ça leur apportait beaucoup. » Ou comment réduire le fossé numérique.
Les dix thèmes abordés lors des ateliers Perche Digital Seniors.
1. Présentation du projet et découverte de l’outil. Recherche sur Google.
2. Création d’une adresse mail, se servir de Skype.
3. Les dangers d’Internet : phishing, arnarques… Apprendre à vérifier la véracité de ses sources.
4. Atelier photos : comment les sauvegarder, faire des dossiers, se servir d’une clef USB.
5. Les réseaux sociaux : Facebook. Avantages et inconvénients.
6. Démarches administratives : sécurité sociale, banque, impôts…
7. Achats sur Internet : vigilance par rapport au paiement en CB, sécurité, aspects pratiques.
8, 9 et 10 – Pack Office. Apprendre les bases de Word, Excel et Power point.
Chaque séance est accompagnée d’un document explicatif. Une sorte de pense-bête, si besoin.