La France compte 1,5 million d’associations actives. Il s’agit en majorité d’associations sportives, culturelles et de loisirs ; les associations sanitaires et sociales sont moins nombreuses mais concentrent le plus de salariés, cumulant à elles seules la moitié des emplois associatifs. Aussi différentes soient-elles, toutes sont régies par la loi de 1901 autorisant les citoyens à s’associer librement. Parmi elles, 12 % fonctionnent avec moins de quatre bénévoles et 8,7 % avec plus de 50 bénévoles. Environ 10,6 % des associations ont des salariés. Avec plus de 33 000 nouvelles structures chaque année, le tissu associatif est en forte croissance, et on pourrait penser qu’il se porte bien. Mais il subit des turbulences. Les subventions publiques, même si elles représentent 50,4 milliards d’euros, soit moins de la moitié du budget des associations, diminuent légèrement et la suppression des contrats aidés, financés par l’Etat pour embaucher un salarié, a marqué un recul de l’emploi associatif (– 0,7 % en 2017). Cette décision pourrait porter un coup dur aux associations qui bénéficiaient largement de ce dispositif pour recruter. Leur diversité incite à relativiser ces mutations, mais plus elles dépendent de fonds publics plus elles sont vulnérables. Reste que, depuis vingt ans, la part des financements privés est en hausse dans le budget global des associations. C’est une tendance lourde. La majorité (56 %) de leurs moyens étaient d’origine privée en 2017, c’est 10 % de plus qu’en 1999.
Il y a en réalité une transformation des financements publics avec une diminution des subventions venant de l’Etat et une montée en charge des collectivités locales. Cela n’est pas sans conséquences. Les petites communes, par exemple, financent surtout des associations sans salariés, alors que celles d’échelon supérieur subventionnent plutôt les associations employeuses. Par ailleurs, là où elles attribuaient des aides sans compensations, les collectivités mettent désormais les associations en concurrence via un système de commandes publiques. Ce sont des contrats passés avec les pouvoirs publics en contrepartie des prestations qu’elles offrent. Cette logique de « marchandisation » peut cristalliser des rivalités et déplacer les projets associatifs. A défaut de subventions, les associations vont se tourner vers les publics les plus solvables si elles développent des services aux usagers ou vers les attentes des financeurs. Leur capacité à expérimenter, à innover ou à contester les orientations des pouvoirs publics risque d’être mise à mal. Par ailleurs, ce mode de financement exclut les associations de taille limitée, dans lesquelles l’engagement citoyen civique est souvent le plus important, et privilégie les grosses associations employeuses. Comme si, face aux contraintes de leur environnement économique, les associations n’avaient d’autre choix que de grandir ou de disparaître. Un phénomène particulièrement marqué dans les secteurs de l’action humanitaire, du social et de la santé.
Une définition volontariste et militante a longtemps été accolée aux acteurs associatifs. Mais si les « militants » ont pris tant de place dans les études sociologiques, c’est que la figure du « bénévole » a longtemps été invisibilisée et n’a émergé que tardivement. En réalité, les associations « militantes » ne sont pas si importantes. Il y a de plus en plus de bénévoles : leur nombre était de 12,5 millions en 2002, contre 22 millions en 2017. Mais si s’investir à titre gracieux semble accessible à tout le monde, puisqu’il s’agit d’avoir du temps et l’envie de le donner, les enquêtes révèlent le poids de déterminants sociaux tels que le sexe, l’âge, la profession, le diplôme… Plusieurs enquêtes montrent que la probabilité d’être bénévole augmente avec le niveau de diplôme ainsi qu’avec celui des revenus domestiques. L’âge joue aussi : il y a plus de chance de faire du bénévolat après 65 ans qu’avant 25 ans. Par ailleurs, il y a davantage de bénévoles dans les communes rurales que dans les grandes villes, parmi les enseignants ainsi que les hommes. Ces derniers occupent également plus souvent que les femmes la fonction de président d’association.
Entre 2002 et 2017, le volume de travail des bénévoles a été multiplié par 2,5, passant de 500 000 à 1,4 million d’équivalents temps plein. Les associations ont ainsi bénéficié de 2,3 milliards d’heures de bénévolat, dont les trois quarts sont réalisés dans des associations sans salarié. Les activités les plus pourvoyeuses d’heures de bénévolat concernent la défense des droits et des causes humanitaires ; viennent ensuite, respectivement, le social, les loisirs, le sport, la culture, l’éducation, la santé… Le tissu associatif a un budget annuel de 113 milliards d’euros et emploie 1,8 million de salariés. Il se professionnalise. Participer à une association requiert aujourd’hui des compétences administratives, gestionnaires, juridiques ; la formation des dirigeants des grosses structures augmente et une nouvelle génération de salariés se bouscule dans les réseaux associatifs pour travailler dans un secteur qui « a du sens » et des « valeurs ». Mais on est loin de cet idéal car les conditions de travail y sont plus dégradées qu’ailleurs. Plusieurs études pointent que le salariat « atypique » est la règle : plus de CDD qu’ailleurs, de bas salaires (environ – 18 % par rapport à une entreprise privée), de travail le week-end ou en soirée sans compensation financière… Certes, les conditions d’emploi varient d’une structure à une autre, selon sa taille, son ancienneté, son secteur, mais les salariés associatifs sont fortement touchés par la précarité. La chercheuse Maud Simonet parle de « bénévolisation du travail ».
Les associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, de défense de l’environnement et autres sont productrices d’expertise et font émerger de nouvelles questions sociales. Souvent à l’avant-garde des problématiques, elles sont très présentes dans les territoires les plus délaissés. Mais en se professionnalisant, en devenant performant, compétitif, en rationalisant le travail avec les méthodes du marché privé, le système associatif peut s’éloigner de son objet social initial et de son engagement. C’est un risque. Les procédures de recrutement de personnes qualifiées vont favoriser, par exemple, des profils institutionnels, peut-être moins critiques à l’égard des politiques publiques. Plusieurs études notent que, finalement, les associations employeuses tendent à devenir des entreprises comme les autres. Les mutations actuelles vont-elles les forcer à choisir entre l’emploi et le projet ?
associé au Laboratoire techniques, territoires et sociétés (LATTS), Simon Cottin-Marx a fait son service civique dans une association et s’est intéressé au rapport entre l’éthique et la pratique. II est l’auteur de Sociologie du monde associatif (éd. La Découverte).
Sur le même sujet : « Le paysage associatif français », de Viviane Tchernonog et Lionel Prouteau (éd. Dalloz).