« La question du logement des jeunes est insuffisamment prise en compte par tous les acteurs », constate Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, en introduction du 70e atelier de la Dihal. La faute à des « politiques en silos » avec pour conséquence un phénomène de « relégation géographique des jeunes ». Le témoignage de Matthieu Pon, directeur du centre de formations d’apprentis (CFA) en BTP de Seine-Saint-Denis, illustre l’imbrication des problématiques de logement et d’insertion professionnelle : « Chaque année, dix à quinze jeunes sur nos 250 apprentis se retrouvent à la rue. Dans ces cas-là, l’espérance de vie du contrat est de deux semaines maximum. » En plus de ces situations extrêmes, « beaucoup de jeunes sont dans une zone grise avec des solutions de logement bricolées : chez un cousin, dans un squat… » Au total, une quarantaine de jeunes seraient concernés par ces problèmes de logement chaque année. Pour de jeunes migrants allophones « et de plus en plus de jeunes de bidonvilles », l’apprentissage fait l’objet « d’une forte attente et d’une forte demande ». 30 % du public accueilli dans ce CFA-BTP est allophone. Alors, « on trouve des solutions, on bricole avec nos partenaires… », explique Matthieu Pon. « Quand la situation est urgente on joint le 115 ; et on prend sur le budget de notre foyer socio-éducatif pour payer des nuits d’hôtels quand celui-ci est saturé. » L’équipe de direction estime que « deux à quatre contrats sont rompus chaque année suite à des problématiques de logement ».
Il s’agit de sortir du schéma selon lequel « le logement, c’est après avoir trouvé un emploi », résume Philippe Brousse, directeur de la mission locale Nord Essonne et du Comité local pour le logement autonome des jeunes (Cllaj) du 91. Celui-ci indique que « 20 % des jeunes que l’on accompagne en mission locale sont sans logement, cherchent dans l’urgence, ou sont en cohabitation subie ». L’idée est d’inverser le paradigme, à l’égal de ce que promeut le dispositif « Logement d’abord ». Autrement dit, « penser désormais le logement comme effet accélérateur de l’accès et du maintien dans l’emploi pour les jeunes », synthétise Karine Rollot, responsable de la mission logement à la caisse d’allocations familiales de Paris.
C’est ainsi que la philosophie du « working first » peut être complémentaire de celle du « housing first » sur le terrain, s’amuse à penser Nicolas Seux-Devourdy, qui travaille dans un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues. Celui-ci coordonne le programme Tapaj à Montpellier, modèle québécois importé en France consistant en du travail payé à la journée sur des chantiers d’insertion. « Le matin, on accueille les jeunes pour un petit-déjeuner, puis on va au chantier avec eux, et à la fin de la journée on va récupérer leur salaire auprès de l’association intermédiaire. » Si les équipes du programme Tapaj travaillent en coordination avec Logement d’abord de Montpellier, la principale difficulté reste, selon Nicolas Seux-Devourdy, de « croiser ces acteurs des différents domaines d’accompagnement : santé, logement, veille sociale… » qui ne parlent pas le même langage.
De fait, lier emploi et logement dans les parcours d’insertion implique de modifier les pratiques professionnelles. « Le logement concerne tous les acteurs de la jeunesse, pas seulement certains. Cela nous oblige à nous repositionner différemment », estime Philippe Brousse. Son réseau du Cllaj cherche à mobiliser, au-delà des seules missions locales, « la prévention spécialisée, les structures d’hébergement, les services jeunes des communes, ou encore les conseillers jeunes de Pôle emploi ». Avec tous ces acteurs, l’objectif est de « parler le plus tôt possible du logement : cela change tout au reste des démarches et évite qu’elles ne s’allongent… ».
Faire entrer les jeunes les plus invisibles dans les parcours d’insertion et d’accès au logement, quand ceux-ci sont difficilement repérables ou tiennent les institutions à distance, est un défi de taille. Nombre d’intervenants de l’atelier de la Dihal se sont fait l’écho de cette problématique. Angeline Louzier, chargée de projet de l’association We Ker qui fait partie d’un réseau de missions locales, représente le dispositif rennais « Sortir de la rue ». Expérimenté depuis 2018, celui-ci s’adresse aux personnes entre 18 et 30 ans en situation d’errance, c’est-à-dire vivant à la rue, en hébergement solidaire ou dans des squats. Même s’ils sont généralement repérés par les missions locales, la protection judiciaire de la jeunesse ou la prévention spécialisée, ces jeunes « sont dans l’espace public de manière invisible ». Parmi ceux que le dispositif accompagne – en grande majorité des hommes –, « 30 % sont des sortants de l’aide sociale à l’enfance [ASE], 36 % sortent de prison ou de prises en charge spécialisées hors ASE, et 18 % sont de jeunes migrants », précise Angeline Louzier. « Sortir de la rue » fait appel au 115, aux services intégrés de l’accueil et de l’orientation, aux foyers de jeunes travailleurs… La responsable associative souligne ainsi « l’intérêt de travailler ensemble, dans la mesure où, souvent, ces jeunes ont été connus au moins une fois » par un service.
Surtout, le dispositif repose sur des « permanences extérieures dans les structures », notamment d’hébergement, « ce qui nous permet d’accrocher les jeunes ». L’« aller vers » est un pilier d’action pour récupérer ces personnes en dehors de tout parcours d’insertion professionnelle ou d’accès au logement. « 80 % des jeunes dans les dispositifs d’insertion professionnelle relèvent de la politique de guichet : il y a très peu d’“aller vers” », rappelle le délégué interministériel Sylvain Mathieu. Serge Barrientos, responsable pour l’association Metropop d’un service civique dédié à une dizaine de jeunes en situation d’insertion professionnelle à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), regrette quant à lui l’éparpillement des référents pour les jeunes. « Ils doivent aller à la mission locale, puis dans les services sociaux de la ville, puis au comité local pour le logement autonome des jeunes… Difficile d’avoir une cohérence. » Il faudrait d’après lui mettre en place un comité de référence consacré aux jeunes issus de quartiers populaires, qui permettrait d’avoir un « diagnostic et un coaching social multi-acteurs ». Philippe Brousse explique que parmi les dix missions locales associées en réseau dans le Cllaj dont il est directeur, chacune a désigné un référent logement. Ces référents « permettent l’accompagnement des jeunes sans que ceux-ci aient à se déplacer au siège du Cllaj départemental ».
Une autre population des plus exclues est celle des jeunes habitants de bidonvilles. Le programme Melting Potes, à Toulouse, vise à permettre à des allophones de réaliser des services civiques Unis-Cité en binôme avec des francophones – et ce, qu’ils soient « Roms, réfugiés ou sous main de justice », précise le chargé de mission Stéphane Libois. Première de leurs problématiques commune : la langue. Sans compter « l’isolement. Ils nous disent parfois que c’est la première fois qu’ils rencontrent un Français. » Parmi les 70 à 90 jeunes accueillis en service civique au cours de 2019, beaucoup rencontrent aussi « un grand problème de logement : difficile d’assurer son service civique sans abandon quand on est à la rue. On a donc essayé de régler pour un certain nombre d’entre eux cette problématique en amont », précise le responsable. En plus de la question du logement, la mise en place des services civiques de six à huit mois s’accompagne de cours de français, de travail avec les pairs français… Sans oublier la « préparation à l’après-service civique : il faut que celui-ci soit un tremplin ». Pour ce faire, les équipes de Melting Potes œuvrent avec le plan local pour l’insertion et l’emploi de Toulouse. Elles appuient les démarches du jeune et l’accompagne « pendant six mois » après sa prise de poste. De quoi poursuivre dans la perspective d’une insertion sociale complète, en travaillant conjointement le maintien dans le monde professionnel et dans un logement stable.
« Ces jeunes, pour beaucoup, ne font pas confiance aux institutions », pointe Serge Barrientos, à propos des jeunes en insertion professionnelle ayant intégré le service civique de l’association Metropop en Seine-Saint-Denis. Le but est de « maintenir un lien » pour pouvoir accompagner, expose Angeline Louzier du dispositif rennais « Sortir de la rue ». Pour les plus exclus, en particulier les sans-abri, la responsable constate un « rapport au temps qui n’est pas le même que celui des professionnels », et « une grande difficulté à réaliser les démarches sur le long terme ». Reste la difficulté de déceler les problématiques en amont. « Le problème, c’est que ces jeunes s’évertuent à dissimuler ce type de failles pour avoir leur place en CFA ou décrocher leur contrat », note Matthieu Pon au sujet de ses élèves ayant des problématiques de logement. « Quand ils nous sollicitent, c’est que la situation est déjà devenue critique. »