La Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape) a organisé, le 17 septembre, à Paris une matinale sur le thème « la protection de l’enfance, ce qu’on en dit, ce qu’on en fait ». Détendu, sans discours officiel sous les yeux, Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, a présenté aux professionnels la philosophie de son « pacte de l’enfance ». « Dans notre pays, le cœur du problème ou une de ses composantes essentielles est la question de la parole. Il faut que l’on libère la parole des enfants. » Devant un parterre de professionnels de la protection de l’enfance, comme plus tard dans la même journée à l’Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement, Adrien Taquet a insisté sur la nécessité de lutter contre les violences psychiques, physiques et sexuelles faites aux enfants. « 20 000 plaintes pour violences faites aux enfants sont déposées chaque année. La réalité est probablement 5 à 10 fois supérieure », rappelait-il, dans l’après-midi, devant les députés.
« S’il faut libérer la parole, il faut aussi la recevoir », a-t-il insisté. Pour ce faire, Adrien Taquet a reconnu la nécessité d’accorder plus de moyens au 119, numéro téléphonique dédié à l’enfance en danger. Pour ce qui est du recueil de la parole de l’enfant victime de violences, le secrétaire d’Etat a exposé tout l’intérêt des unités d’accueil médico-judiciaire pédiatrique (UAMJP). Ce dispositif permet à l’enfant de parler « dans des environnements protecteurs, avec des professionnels de la police et de la gendarmerie formés, avec des croisements de regards de gendarmes, médecins légistes, infirmières, sur sa situation ». Le témoignage de l’enfant est enregistré, scellé pour lui éviter de répéter à plusieurs reprises ce qu’il a vécu. Comme le rappelait le ministère de la Justice, en mars dernier, il existe actuellement en France un réseau d’une soixantaine d’UAMJP, résultant de partenariats locaux, associant le ministère de la Justice, pour le paiement des actes réalisés sur réquisition judiciaire, le ministère des Solidarités et de la Santé, par la mise à disposition de personnels et de locaux et le milieu associatif. Le secrétaire d’Etat souhaite que ces unités soient pérennisées et généralisées « à raison d’une par département ».
S’agissant de la formation des professionnels de la protection de l’enfance, Adrien Taquet a jugé nécessaire « de passer d’une posture du face-à-face à un côte à côte ». Selon lui, la formation est importante car elle concourt à réduire les segmentations de parcours. Il a toutefois pointé du doigt le manque de culture commune entre les différents intervenants, « ce qui conduit à des ruptures et des incompréhensions de l’enfant ». Le secrétaire d’Etat a souligné le risque d’une « prise en considération différenciée » de la parole de l’enfant en fonction de l’interlocuteur que l’enfant aura en face de lui. Il s’est déclaré en faveur de la construction de formations croisées entre les différentes catégories de professionnels – juges, travailleurs sociaux, personnels de l’Education nationale – afin d’« offrir un corpus commun cohérent », « une écoute commune » à la parole de l’enfant.
Lors des négociations budgétaires dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2020, il escompte pouvoir décrocher des financements pour « de vrais plans de formations allant dans ce sens-là », mais également des moyens pour le parrainage de proximité. Enfin, comme en juillet dernier, lors des Assises nationales de la protection de l’enfance à Marseille, Adrien Taquet a rappelé sa volonté, dans le cadre de la réforme de la gouvernance de l’aide sociale à l’enfance (ASE), de « renforcer la participation des jeunes à l’élaboration des politiques publiques qui les concernent ».
Concernant le volet « santé » du projet pour l’enfant (PPE), Adrien Taquet a déploré, à nouveau, que seuls 30 % des bilans de santé soient actuellement effectués. Les dispositions de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant ne sont, en effet, pas toujours appliquées. Dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018, des parcours de soins coordonnés sont actuellement en cours d’expérimentation, pour une durée de quatre ans (2019-2022), en Loire-Atlantique, Haute-Vienne et Pyrénées-Atlantiques pour 7 047 enfants et adolescents placés ou protégés sans placement. « Cette expérimentation sera étendue, dès l’année prochaine, à dix départements dans le cadre du projet de LFSS 2020 qui va entrer en discussion très prochainement. Si l’expérimentation prouve la pertinence du dispositif, l’idée sera alors de le généraliser aussi vite que possible », a précisé le secrétaire d’Etat. Ce dispositif viendrait en parallèle, en complèment de tout un travail de fond « qui prendra cinq à six ans. L’enjeu est de reconstruire une filière entière, celle de la pédopsychiatrie », a-t-il ajouté. Pour rappel, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a débloqué 100 millions d’euros supplémentaires pour la psychiatrie, dont 20 millions spécifiquement destinés pour financer notamment la création d’une offre de psychiatrie infanto-juvénile dans les territoires aujourd’hui dépourvus. Après la création de dix nouveaux postes de chefs de clinique en pédopsychiatrie en 2018, dix de plus sont prévus en 2019-2020.
Pour les 20 % à 25 % des enfants pris en charge par l’ASE et présentant un handicap, « il faut inventer un nouveau système de prise en charge. Dans un pays qui aime fonctionner en silos, quand on est au croisement de deux institutions, il y a un risque de se retrouver nulle part », a-t-il poursuivi.
Le chantier sur la gouvernance a fait l’objet d’un des six groupes de travail de la concertation. Adrien Taquet a rappelé que si le champ du handicap dispose d’un outil de pilotage, en l’occurrence la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), la protection de l’enfance ne dispose pas d’un tel système. « Je ne sais pas s’il faut dupliquer ce modèle. Le Conseil national de la protection de l’enfance n’a pas les moyens, les missions de jouer ce rôle-là. Sans contrevenir à la libre administration des collectivités territoriales, l’Etat se doit d’être le garant des droits et de l’équité territoriale », a-t-il souligné. Faisant référence aux conclusions du groupe de travail sur la gouvernance, le secrétaire d’Etat les a jugées « intéressantes mais avec un manque d’opérabilité à [son] goût ». Pour l’heure, il reconnaît donc ne pas avoir le modus operandi pour faire évoluer la gouvernance de la protection de l’enfance. « Il faut doter le champ de la protection de l’enfance d’une instance. Il faut des référentiels nationaux élaborés par les acteurs. »
Pour ce qui concerne les relations entre l’Etat et les conseils départementaux, Adrien Taquet se dit partisan du « soft management ». « Dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, nous nous sommes dotés d’un nouvel outil dans la relation entre l’Etat et les collectivités locales : la contractualisation. En septembre 2019, tous les départements sauf ceux des Hauts-de-Seine et les Yvelines ont accepté de contractualiser avec l’Etat », a-t-il précisé. Cette contractualisation prévoit qu’un certain nombre d’indicateurs soit fixé et que les collectivités qui les respectent obtiennent des financements supplémentaires de l’Etat.
Interpellé par une question dans la salle sur la réforme de la protection maternelle et infantile (PMI), le secrétaire d’Etat a expliqué que celle-ci s’inscrit dans la logique de renforcer le volet de la prévention, de l’éducation de la petite enfance. « Globalement, la France a un système très tourné vers le placement. Sur 8 milliards d’euros, 6 sont consacrés au placement. Le pays n’a pas suffisamment investi sur la prévention. » C’est d’ailleurs dans ce volet préventif, premier pilier du « pacte de l’enfance », que s’inscrit le parcours des 1 000 premiers jours de l’enfant annoncé pour 2020. « Un comité d’experts autour des 1 000 premiers jours de l’enfant va être officiellement mis en place le 19 septembre. On veut véritablement développer une vraie politique publique sur les 1 000 premiers jours de l’enfant, du 4e mois de la grossesse jusqu’au 2 ans de l’enfant. Ce comité d’experts, présidé par Boris Cyrulnik [neuropsychiatre de renom, NDLR], regroupe une quinzaine de scientifiques ainsi que des praticiens, des sages-femmes. » « Pour la première fois, nous allons arrêter de penser les besoins de l’enfant d’un côté, les besoins des parents de l’autre mais on va penser les deux conjointement. On va arrêter de ne penser que la santé mais également le socio-éducatif, le psycho-relationnel, le psycho-affectif », a-t-il expliqué.
Mi-octobre, le gouvernement annoncera les mesures et leur mise en œuvre concernant la réforme de l’aide sociale à l’enfance, troisième pilier du « pacte de l’enfance ». « On n’a pas une grande loi de la protection de l’enfance à faire. On est plutôt dans l’art de l’exécution, l’art de la pratique », a jugé Adrien Taquet. Après le temps du « ce qu’on dit », le temps décisif du « ce qu’on fait » sera alors venu pour le secrétaire d’Etat.