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Le berceau d’une nouvelle filiation

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Face aux nombreuses critiques formulées devant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, le gouvernement a fait volte-face sur les dispositions concernant la reconnaissance de la filiation pour les enfants des couples de femmes issus de la procréation médicalement assistée. Retour sur un toilettage de dernière minute.

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules est l’une des mesures contenues dans le projet de loi relatif à la bioéthique, présenté en conseil des ministres le 24 juillet. Installée fin juillet, la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi a multiplié, de la fin août jusqu’au 8 septembre, les auditions d’associations, de responsables des cultes ou encore de juristes. Le 9 septembre, c’était au tour d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, de Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, d’être entendues sur ce projet de loi.

Tout d’abord, Agnès Buzyn a souligné : « Ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées avec prise en charge par l’assurance maladie, c’est ouvrir sur ce qu’est la famille aujourd’hui en France, une famille qui a de nombreux visages et qui s’épanouit sous des formes diverses. » Puis Nicole Belloubet a développé : « Un tel progrès ne doit pas se faire en portant atteinte aux équilibres juridiques existants. Nous ne souhaitons pas apporter de nouvelles contraintes aux couples hétérosexuels. Nous tirons dans ce texte les conséquences en termes de filiation de l’ouverture à la PMA pour les couples de femmes. Ce texte n’a pas pour objet de réformer la filiation en général, c’est un projet de loi bioéthique, et non pas un texte sur la famille. Faut-il construire un mécanisme qui imposerait aux couples hétérosexuels de déclarer qu’ils ont eu recours à la PMA ? Certains le souhaitent afin d’en finir avec ce qu’ils qualifient de “culture du secret”. Ce n’est pas complètement le choix fait par le gouvernement, qui avait aussi exploré cette voie et avait demandé son avis au Conseil d’Etat. Nous n’avons pas souhaité forcer les parents à divulguer le recours à une PMA, alors que c’est une évidence factuelle pour les couples de femmes. Le gouvernement a fait le choix de laisser les parents déterminer le moment et les conditions de la divulgation de ce recours à la PMA. »

Lors de cette audition à l’Assemblée nationale, la ministre de la Justice a proposé d’apporter des changements au projet de loi de bioéthique, afin de sécuriser la filiation des enfants de couples de femmes nés par procréation médicalement assistée (PMA). « Une distinction juridique dans le mode d’établissement d’un lien de filiation n’est ni une stigmatisation ni une discrimination. Le projet de loi présenté par le gouvernement entend proposer une voie d’équilibre qui repose sur quatre principes simples : offrir un nouveau droit aux femmes, et en particulier aux femmes qui vivent en couple ; offrir aux enfants nés dans ces conditions absolument et en tous points les mêmes droits qu’aux autres enfants ; apporter la sécurité juridique aux mères et à leurs enfants. La filiation qui n’est pas établie sur la vraisemblance biologique mais sur la base d’un engagement commun doit être juridiquement très solide. Le quatrième principe : ne pas revenir sur le droit applicable aux couples hétérosexuels. Nous souhaitons apporter des droits nouveaux, mais sans rien retirer ou modifier du régime de filiation applicable aux couples hétérosexuels. »

La version initiale du texte du projet de loi prévoyait que les couples de femmes, avant de faire une PMA avec don de sperme, signent une « déclaration commune anticipée » devant notaire, à transmettre à l’officier d’état civil après la naissance pour établir que les deux femmes sont les mères. Le fait que l’enfant d’un couple de lesbiennes ait été conçu par PMA figurerait donc sur son acte intégral de naissance, ce qui n’est pas le cas pour les couples hétérosexuels ayant bénéficié de la même technique. Ce dispositif était contesté par les associations LGBT, qui le jugent discriminatoire. « Pour des raisons d’égalité, nous ne voulons pas de régime spécifique, ni que nos enfants soient marqués au fer rouge sur leur état civil en raison de l’orientation sexuelle de leurs parents », a ainsi expliqué Dominique Boren, coprésident de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) devant la commission spéciale « bioéthique ». Plusieurs amendements avaient été déposés pour changer ce chapitre de la loi.

Une reconnaissance anticipée

Face aux critiques formulées devant la commission spéciale, Nicole Belloubet a décidé de faire évoluer les textes « pour les calquer au plus proche » sur ceux utilisés dans le code civil pour les couples hétérosexuels, afin de « presque banaliser totalement » la situation des couples de femmes. Exit, la déclaration anticipée de volonté… Tout d’abord, la garde des Sceaux a indiqué que le gouvernement souhaitait permettre aux couples de lesbiennes ayant recours à la PMA de passer par une reconnaissance anticipée de l’enfant, comme c’est déjà le cas pour les couples hétérosexuels non mariés. Actuellement, les couples hétérosexuels, mariés ou pas, et ayant recours à une PMA avec donneur signent un consentement au don devant le notaire. Cette démarche scelle la filiation de manière incontestable. La filiation est établie par la présomption de paternité si l’homme est marié à la femme qui accouche. En revanche, si le couple n’est pas marié, l’homme doit reconnaître l’enfant, et cette reconnaissance peut être faite avant la naissance. C’est donc ce dernier mécanisme qui sera appliqué aux couples, mariés ou non, de lesbiennes ayant recours à une PMA. « Le mécanisme repose sur le consentement de l’assistance médicale à la procréation [AMP] devant notaire, précise la ministre, et nous y ajoutons pour les couples de femmes une reconnaissance conjointe de l’enfant qui se ferait en même temps devant notaire. » Et d’ajouter : « Cette reconnaissance conjointe va dans le sens de la simplicité comme pour les pères hétérosexuels, elle se rapproche de la reconnaissance de paternité anticipée. »

« Juridiquement, le texte que nous proposons constitue une novation importante car il permet de sécuriser un lien de filiation sur la base du consentement de deux personnes là où la vraisemblance biologique ne peut à l’évidence pas jouer. Ces femmes s’engageront dans un projet commun. L’une et l’autre de ces deux femmes seront mères toutes les deux, sans distinction et sans hiérarchie […] C’est un progrès qui fera date, et même une révolution dans le droit de la filiation. » Cette reconnaissance sécurisera à la fois l’établissement de la filiation de ces deux mères et la filiation de l’enfant à naître. Nicole Belloubet poursuit : « Nous avons le souci de créer des droits égaux entre les deux mères. La situation sur le plan juridique. Le mode d’établissement de la filiation pour les couples de femmes est novateur, fondé sur un acte de volonté partagé, sur la base d’un projet parental. Notre seul souci est d’offrir aux enfants et aux mères une sécurité juridique absolue. Il faut que, dès la formation des projets de PMA, l’enfant à naître ait un statut clair. Par exemple, pour deux femmes qui se lancent dans un projet, le fait d’établir la filiation par un acte authentique devant notaire avant même la conception fait qu’à la naissance, c’est cette filiation-là qui s’imposera, même si, entre-temps, un homme a fait irruption et revendique sa paternité par reconnaissance anticipée. L’officier d’état civil prendra connaissance de la déclaration devant notaire et il la fera prévaloir sur la reconnaissance de paternité. »

Un cadre juridique commun

Autre évolution par rapport au texte initial : la filiation des enfants des couples de femmes sera intégrée dans le titre VII du code civil relatif à la filiation de droit commun et ne devrait finalement pas faire l’objet d’un titre à part (le titre VII bis). Cela « a pu laisser craindre que nous entendions enfermer les couples lesbiens dans un cadre juridique à part. Telle n’est pas l’intention du gouvernement », a insisté Nicole Belloubet, avant de préciser : « Nous proposons également d’intégrer les dispositions portant sur la filiation des enfants nés d’une PMA avec tiers donneur au sein d’un couple lesbien dans le titre VII consacré à la filiation. […] L’ensemble serait regroupé dans le titre VII et le même chapitre, le chapitre V. Nous construirons un tronc commun de règles applicables aux couples qui ont recours à la PMA, quelle que soit leur orientation sexuelle, et préciserons simplement que la reconnaissance par les deux mères a lieu devant le notaire. »

« Pour les enfants nés d’un couple de femmes, la mention dans l’acte de naissance sera semblable à celle présente dans l’acte de naissance d’un enfant né d’un couple hétérosexuel qui a reconnu de manière anticipée l’enfant devant notaire, ce qui existe aujourd’hui. Dans l’acte de naissance intégral, il sera simplement mentionné, après le nom des deux mères, que ces dernières ont reconnu l’enfant à telle date devant tel notaire. Rien de plus. » Concernant les enfants nés de PMA à l’étranger, la ministre a indiqué que rien n’interdit dans le texte de les prendre en compte si les mères ou les parents ont procédé, comme l’exige le droit, à un consentement à l’AMP et à une reconnaissance conjointe pour les couples de mères. « Nous ne refuserons pas d’établir la filiation dans ces cas-là après le vote de la loi. »

La GPA, la ligne rouge

Le gouvernement le martèle : pas question d’autoriser la gestation pour autrui (GPA), c’est-à-dire le recours aux mères porteuses, que ce soit pour les couples hétérosexuels ou les hommes homosexuels. La ministre de la Justice a confirmé que le gouvernement est « arc-bouté » sur les questions de non-marchandisation du corps humain, d’indisponibilité du corps humain, ces principes-là l’emportent dans notre droit. « L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation est absolument sans incidence sur l’interdiction de la gestation pour autrui, qui est antinomique des grands principes bioéthiques auxquels nous sommes attachés », a assuré la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, mardi, lors de l’examen du texte en commission.

Lors de la séance de questions au gouvernement, le 10 septembre, la ministre de la Justice a rappelé « l’interdit absolu » de la gestation pour autrui en France et a assuré que « le gouvernement n’a pas l’intention de reconnaître de manière automatique la filiation née de GPA et n’entend nullement modifier la situation juridique des enfants nés de GPA ». Nicole Belloubet a confirmé qu’« une circulaire interministérielle sera diffusée aux officiers d’état civil et dans les consulats pour faciliter la bonne application de ces règles ». De son côté, Jean-Louis Touraine, députée (LREM) et rapporteur du projet de loi de bioéthique, a protesté le 10 septembre sur LCP : « L’enfant ne choisit pas sa procréation. Notre combat est de dire : priorité d’abord aux droits de l’enfant. Tous les enfants nés de PMA, de GPA ou dans des conditions naturelles doivent avoir la plénitude des droits. C’est un devoir pour le législateur que de donner tous leurs droits à tous les enfants », La Cour de cassation devrait se prononcer en octobre prochain sur cette question à la suite d’un avis de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), rendu en avril dernier. Une fois cette décision connue que le gouvernement souhaite « rappeler de manière claire ces règles dans une circulaire ». Depuis 2014, la CEDH a plusieurs fois condamné la France pour avoir refusé de transcrire les actes de naissance d’enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger, estimant que le refus des autorités françaises de les reconnaître portait atteinte à leur « identité ».

Les auditions de la commission spéciale se sont déroulées jusqu’au lundi 9 septembre. On y débat désormais jusqu’au 13 septembre des 2 229 amendements au projet de loi. Et le texte amendé sera examiné par l’Assemblée nationale à partir du 24 septembre. Des débats qui s’annoncent houleux.

PMA « post mortem », débat à venir ?

Une femme dont le conjoint est mort après avoir fait congeler son sperme pourrait-elle utiliser ce sperme pour concevoir un enfant par PMA, ou bien se faire implanter un embryon conçu avec les gamètes du couple puis congelé avant le décès de l’homme ? Si, d’après Agnès Buzin, la PMA « post mortem » ne concerne qu’une quinzaine de cas par an, elle devrait donner lieu à un débat lors de l’examen du projet de loi sur la bioéthique à l’Assemblée nationale. « Il y a un certain nombre de risques pour la construction de l’enfant », a argué Agnès Buzin, le 9 septembre, lors de son audition par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi. Selon elle, le « poids du deuil » crée une situation « évidemment » différente de celle d’une femme célibataire désireuse de faire une PMA grâce au sperme d’un donneur anonyme. Dans le cas d’une PMA « post mortem », « il pourrait y avoir une forme de transfert de l’image paternelle vers l’enfant ».

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